Photos par : Melissa Fauve pour La Vague Parallèle
Le premier album Cub et ses touches grunge n’avaient pas manqué d’agiter le monde du rock à sa sortie en 2022. Inutile de préciser qu’un deuxième projet était attendu avec impatience dans la sphère indie. Les premiers singles, comme le puissant July, amorçaient déjà une nouvelle identité laissant les flammes consommer les artifices.
Initialement un projet solo mené par le frontman Jacob Slater, Wunderhorse est aujourd’hui un groupe consolidé par l’addition de Harry Tristan Fowler (guitare), Pete Woodin (basse) et Jamie Staples (batterie). Ce deuxième album, intitulé Midas, marque le début d’une nouvelle ère pour le groupe. Composé de dix chansons aussi brutes que poétiques, Midas tente de reproduire l’adrénaline des performances live avec un son féroce qui nous prend par les tripes.
Avant la sortie de ce nouvel album, nous avons eu l’occasion de discuter avec le désormais groupe de cette nouvelle dynamique, marquée par la confiance et l’honnêteté.
La Vague Parallèle : La première question est plutôt simple : comment allez-vous ?
Wunderhose : Bien, super !
LVP : Au moment où on se parle, Midas n’est pas encore sorti, quel est votre état d’esprit ?
Jamie Staples : On a tous hâte que l’album sorte en réalité. C’était chouette, je pense qu’on en est très fiers, en tout cas c’est le plus fier que je n’aie jamais été pour un projet musical. Donc, on est très excités.
Pete Woodin : Oui, je pense qu’on se sent tous pareil. Le premier album de Wunderhorse est sorti il y a deux ans, donc c’est chouette de pouvoir enfin jouer de nouveaux morceaux sur scène, même si on le faisait déjà un peu avant.
LVP : Il y a t-il un morceau que vous appréciez particulièrement jouer sur scène en ce moment ?
Jamie : Probablement July pour moi.
Harry Tristan Fowler : Je ne sais pas, July, peut-être Emily ou Silver, ça dépend.
Pete : Je pense que ça change au fur et à mesure des concerts. Parfois, je m’appuie sur certaines chansons du set pour me mettre dans un certain état d’esprit. Tu ne sais pas toujours comment le set va se dérouler. Tu es juste là, parfois une chanson va déclencher un bon sentiment, et ça te fait du bien.
LVP : L’écriture d’un second album est souvent un challenge puisque le public a des attentes, dans quel état d’esprit avez-vous commencé à écrire ?
Harry : On n’a pas vraiment ressenti de problème. Clairement, il y avait une certaine pression avant de commencer parce qu’on n’avait pas beaucoup de chansons, donc on s’est mis au travail avec à peine un demi album, un peu angoissés. Mais finalement, les chansons nous sont venues lorsque nous sommes entrés en studio. On n’a pas eu le syndrome du deuxième album parce que cet album nous a semblé être le premier, en tout cas c’est comme ça qu’on l’a ressenti.
Jamie : Oui, c’est devenu une sorte d’exercice de se dire : “Voyons ce qu’on peut créer en un mois en partant presque de rien“. On avait dix chansons mais on en a éliminé la moitié presque immédiatement. Donc, on s’est posé des questions sur l’approche. On avait eu des conversations sur le fait qu’on avait envie de quelque chose de très brut et cru. Quand on a écrit Midas, c’était seulement la troisième fois qu’on jouait cette chanson, mais notre producteur était comme : “C’est ça! “. On l’a écoutée et c’est devenu une sorte de patron pour la suite, ce qui a enlevé pas mal de pression, parce qu’on s’est dit qu’on pouvait simplement se lancer et ne pas trop y penser.
Pete : Le plus difficile était de se lancer, mais une fois qu’on y était on a oublié tout le reste et on s’est juste dit : donnons le meilleur de nous-même et voyons ce qui en découle.
Jamie : L’endroit a pas mal joué aussi. Notre studio était dans les bois, c’était magnifique et ils avaient une pièce pour le live qui était magnifique dans laquelle Nirvana a enregistré, il y a toute une histoire et on s’y est vite sentis bien.
LVP : On se demandait justement si ce studio, qui a beaucoup d’histoire et dans lequel Nirvana a enregistré In Utero, avait eu une quelconque influence sur le son global de l’album ?
Harry : L’effet s’en va plus vite qu’on ne le croit. Les premiers jours on a eu un peu ce truc de “Waouw, Nirvana était ici“, mais ça quitte rapidement ton esprit. Il y a quelques techniques de production qu’on avait envisagées dans les premiers temps, comme le fait d’enregistrer avec les portes ouvertes, pour que les sons extérieurs transpercent dans le studio et donnent une énergie proche du live. On savait que Steve Albino, le producteur de In Utero , travaillait comme ça : en positionnant des micros à des endroits inhabituels ou des choses comme ça.
Pete : Nous avons été au studio à deux occasions, une fois au printemps, et une autre fois en hiver. Les chansons les plus sombres ou les plus heavy sur l’album ont clairement été enregistrées en hiver, donc l’environnement et les saisons ont eu un impact sur les chansons.
LVP : L’album dans son ensemble sonne en effet assez brut. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aller dans cette direction ?
Jacob Slater : On aime tous le premier album en tant que collection de chansons, ce sont des choses que j’avais besoin de sortir de moi-même depuis longtemps parce qu’elles flottaient dans ma tête. Mais en termes de production, on s’est rendus compte que ce n’était pas vraiment le genre de groupe que nous voulions être. C’était quelque chose de plutôt safe, et on avait envie d’aller vers quelque chose de différent. On voulait qu’il soit le plus brut possible, le plus dénué d’artifices et avec des imperfections.
Jamie : Comme des ados dans un garage.
Jacob : Oui voilà, on voulait que ça sonne comme les sons que tu sors quand tu commence à faire de la musique avec tes potes quand t’as 16 ans, et toute l’excitation que ça te procure.
LVP : Depuis que vous travaillez en tant que groupe, comment vos différentes personnalités se sont complémentées dans le studio ?
Pete : On se connait depuis assez longtemps, et c’est la première fois qu’on a l’occasion de se réunir dans une pièce et de poser des choses. C’est presque instinctif, on s’écoute l’un et l’autre et on essaye de remplir l’espace de manière adéquate. C’est important de simplifier les choses, de ne pas jouer au dessus d’un autre, et de se faire confiance dans nos capacités à apporter aux chansons ce dont elles ont besoin. On a laissé nos égos à l’entrée et les choses se faire.
Jacob : Je pense qu’une des meilleures choses à propos de l’alchimie d’un groupe, c’est que les meilleurs moments arrivent sans que tu saches vraiment pourquoi ça fonctionne si bien. C’est juste le produit de ce moment-là et de cette chose intangible qui s’est lentement développée au fil du temps, au fur et à mesure que la relation évolue. Et puis, tu captures ça à un moment donné, tu ne sais pas vraiment pourquoi ça marche, mais tu sais que c’est vraiment toi, et que personne d’autre, aucun autre groupe de quatre personnes dans cette combinaison-là, n’aurait pu créer ça. C’est un peu la magie de tout ça, je suppose.
Jamie : Je suppose qu’on n’avait jamais fait ça avant. Avec le premier album, il y avait toutes ces chansons que Jacob avait depuis des années, certaines étaient peut-être plus récentes, et elles avaient déjà été travaillées et peaufinées jusqu’à leur forme finale. Et ensuite, je pense que c’est juste la façon dont ça s’est passé, on n’a même pas vraiment essayé de l’orchestrer ainsi, mais on était tous là pour développer les choses ensemble, donc ça a simplement donné un ensemble solide.
Jacob : Je pense que quand quelque chose est vraiment nouveau pour tout le monde, personne n’a le temps de s’y habituer, de l’apprendre vraiment, donc les chansons sont en quelque sorte en avance sur toi, si ça fait sens. Je sais que c’est un peu étrange de le dire comme ça, mais c’est comme si la chanson savait ce qu’elle faisait, qu’elle se développait d’elle-même avant qu’aucun de nous ne l’ait retravaillée. Avec un peu de chance, on arrive à la capturer à ce moment-là.
Harry : Ouais, sans vouloir paraître trop mystique, c’est comme s’il y avait autre chose que les quatre personnes dans la pièce qui font la musique. C’est un peu comme si la chanson savait ce qu’elle voulait mieux que toi, même si elle vient de toi. C’est un peu farfelu mais c’est comme ça que je le vois.
LVP : Donc Midas est un peu la première chanson que vous avez écrite ensemble. Est-ce qu’elle a une histoire ?
Jacob : Oui, c’était la première du genre, un prototype.
Harry : En réalité, la première chanson que nous avons écrite ensemble était Arizona, en tournée avec Fontains DC.
Pete : Mais le style d’écriture de Midas est véritablement devenue comme un patron, une essence pour le reste de l’album.
Jacob : Avec un deuxième album, il y a un peu cette angoisse de “mince, qu’est-ce qu’on va faire”… Et quand les options sont infinies, ce n’est pas une bonne chose. Je pense que c’est important de se fixer des paramètres dans lesquels travailler pour être plus créatif. Donc on a un fait de l’editing à la Hemingway, c’est-à-dire que tu te demandes : “Est-ce que cette phrase est nécessaire ou peut-elle être plus courte ?” Et je pense que si tu fais ça, ça te donne en fait un cadre pour travailler. Ensuite, tu construis l’univers beaucoup plus rapidement parce que tu sais quelles sont les règles. Tandis que si c’est comme, “Oh, ça pourrait être n’importe quoi”, alors tu pourrais y être pour toujours.
LVP : Est-ce que cet album défini plus clairement votre identité musicale que le précédent ?
Jacob : Oui, ça nous semble être le premier album.
Jamie : Je pense que Jacob nous a emmené déjà très loin, mais que maintenant c’est le début de quelque chose de nouveau.
Harry : Et ça semble différent quand on joue en live aussi. Quand on joue les titres de Midas, c’est une énergie complètement différente qui nous porte.
Pete : Je suppose qu’on ressent tous naturellement qu’on en fait partie. Dans cette unité-là, on est les seuls à jouer ces parties. C’est comme si on était les seuls à être impliqués dans l’interprétation de ces parties, on les joue sur scène et on est ensemble, c’est assez spécial.
LVP : Quand on écoute l’ensemble des titres, on ne peut pas clairement identifier une époque, l’ensemble semble comme hors du temps. Qu’est-ce qui, selon vous, fait qu’un album reste dans la durée ?
Jamie : J’imagine qu’on verra si ce que vous dites est vrai !
Harry : Tu ne peux jamais savoir, t’es foutu si t’essaies de faire de la musique avec cette intention.
Pete : Si on savait comment faire ça, on le ferait à chaque fois. Je pense que si tu rentres dans un projet avec cette attitude, tu lui donne une date d’expiration. L’important est de faire un album qui est toi, et que seul toi peux faire, et c’est la seule façon de faire un album qui dure. Mais seul le temps peut le dire.
Jacob : C’est aux autres de décider, et non à toi. Je pense que c’est une question d’authenticité. Quand tu écoutes tous ces grands albums, tu ne te dis pas que les artistes les ont écrit avec l’intention de faire quelque chose pour le public. Cela sonne sincère, c’est une expression de comment iels étaient à cette période, ce sont des choix, des personnes avec qui tu travailles et ce que tu ressens, plutôt que ce que tu espères que les gens aiment.
Jamie : Tu ne peux pas faire confiance aux gens. (rires)
LVP : Et est-ce que c’est difficile de rester authentique dans cette industrie ?
Harry : Il y a deux choses qui rentrent en conflit, vous ne pensez pas ? D’un côté, tu fais de la musique avec des amis et tu vis une expérience réelle, tu fais ça pour toi. Mais de l’autre côté, cela devient ta carrière, cela devient un job et tu dois t’aligner avec certaines choses qui contredisent ça.
Jamie : On nous dit souvent qu’on devrait faire certaines choses et on proteste pas mal, on est des cauchemars pour notre manageuse, on lui rend son travail très difficile. (rire)
Jacob : Mais quelque part, c’est une bonne chose, ça veut dire que tu tu écoutes et que tu essaies de faire fonctionner ce qui est vraiment important pour toi. Parfois c’est difficile mais je pense que c’est mieux que de te laisser aller et de faire ce qu’on te dit. Par exemple, pour nos clips vidéos, ça a été une courbe d’apprentissage assez intéressante. On a fait beaucoup de clips et à l’époque, on n’y avait pas vraiment réfléchi. Maintenant, on les déteste tous, on est dans une mission pour les détruire. (rires)
Cette fois, c’était différent : on s’est dit “ok, on a appris de tout ça, et même si c’est pas notre domaine de prédilection, ça s’ajoute à notre univers”. On tient vraiment à la musique, et à cause de ça il faut qu’on fasse de notre mieux pour lui rendre justice à travers notre univers visuel. De nos jours, ça semble vraiment important car c’est la façon dont les gens perçoivent les choses. Donc ouais, on apprend.
LVP : On se demandait justement ce qui avait amené l’esthétique autour de l’album ?
Jacob : Tout a été écrit assez rapidement, et beaucoup de choses ont été écrites en studio. C’est seulement quand tu regardes en arrière que tu te dis : “Oh, il y a en fait des thèmes communs ici.” Il semble y avoir beaucoup de choses à propos d’objets jetés, brisés ou oubliés. Et donc, il y a eu ce genre de thème autour des vieux jouets vintage, des objets avec une sorte de mécanique interne. Je suppose que c’était une métaphore pour certains sentiments exprimés dans les chansons de l’album, et ça semblait être un bon moyen de les représenter visuellement. Et puis, je pense que ça avait un look sympa, même si je suis sûr que beaucoup de gens ne sont pas du même avis. Donc voilà, c’est un album assez sombre. Il n’y a pas de moments ensoleillés ou joyeux dessus. Mais ce n’est pas ce que l’un de nous ressentait ou voulait faire, donc ça va.
LVP : Et l’homme sur la pochette de l’album, il a une histoire ?
Jacob : Il a plein d’histoires ! Il est assez vieux, l’autre jour il me racontait la fois où il trainait avec Howlin Wolf dans une toilette dans les années 1960, et Howlin Wolf est mort dans les années 1970 donc je me suis dit: “Waouw, ce mec en a vu des choses !”. Mais attendez… vous voulez dire la personne ou le personnage ?
LVP : Le personnage (rires)
Jacob : Ah je me disais bien ! J’étais là “Évidemment qu’il a une histoire, tout le monde a une histoire !”. Donc, le personnage est une sorte de représentation visuelle de Midas, une sorte de vilain. On avait envie qu’il soit une sorte d’ombre qui plane sur les chansons, ce n’est pas un mec gentil. Terry, la personne, est un mec super, juste pour faire la distinction avant qu’il lise cette interview. (rires)
LVP : L’album et les paroles sont assez sombres, dans un monde qui lui aussi est assez sombre, quel est pour vous le rôle de la musique ?
Pete : Je pense que l’art est souvent une réflexion de la société dans laquelle il existe. Je ne pense pas que c’est ce que nous avons essayé de faire ici mais cela trouve toujours le moyen de s’introduire dans ce que tu crées. Tu ne peux pas vraiment y échapper, cela va forcément se retrouver dans une forme ou une autre.
Jamie : La musique est une sorte de langage universel, cela peut atteindre tout le monde.
Pete : Si assez de personnes ressentent un certain sentiment, alors cela va raisonner avec elles et eux.
Jacob : Tout cela nous ramène à l’authenticité. Quand j’étais plus jeune, il y avait des groupes, et quand je me sentais un peu perdu, que je ne m’y retrouvais pas dans le monde, ces groupes agissaient comme des repères, des balises. Je pense que c’est ça qui est super avec l’art. Evidemment, l’art a beaucoup d’utilités mais une des choses que je préfère, c’est ce sentiment que tu n’es pas vraiment seul·e. Tu lis quelque chose, et tu te dis que c’est l’expression de quelque chose que tu as ressenti mais que tu n’as jamais su exprimer. Je pense que ce qui est important, surtout de nos jours dans un monde ou la technologie est sensée nous rapprocher mais en réalité nous fracture socialement. Donc, cela serait chouette que quelque part, les jeunes entendent la musique et que ça les rapproche de manière honnête, ça serait cool.
Jamie : Que ce soit avec notre album ou avec autre chose.
LVP : Cela nous fait penser à la chanson Superman, elle parle en quelque sorte de cette personne qui se sent incomprise ?
Jacob : Cette chanson est probablement la plus triste que j’ai jamais écrite. Je pense que beaucoup de gens finissent par faire des choses, traverser leur vie, et c’est comme si la vie leur arrivait, même si il y avait plein de choses que ces gens auraient voulu vivre. Mais à cause de certaines circonstances, iels ne peuvent pas donner ce qu’iels sont au monde. Ce n’est pas une chanson optimiste, c’est la chanson d’une personne qui n’a jamais fait ce qu’elle voulait faire et qui ne le fera jamais. Mais il y a ce désir en elle qui ne meurt pas complètement, c’est quelqu’un·e qui sait qu’iel a encore quelque chose à offrir, sans que cela ne sorte jamais. Je ne sais pas d’où m’est venue cette idée mais c’est un peu ça.
LVP : Une dernière question pour la fin, vous vous apprêtez à partir dans une tournée européenne avec Fontains DC, comment vous préparez-vous pour un tour pareil ?
Jamie : Avec une autre tournée, on a d’abord notre propre tournée donc on sera assez rodés … mais oui, avec le plus d’amour et de respect possible, on va essayer de leur voler la vedette tous les soir. (rires)
Jacob : C’est une sorte de compétition saine, parce que on ne sait pas faire mieux que ces gars-là, mais c’est un super sentiment de monter sur scène et d’essayer de plaire à leurs fans. Tu donnes tout et tu y vas à fond. On fait pareil quand on cherche des artistes pour faire nos premières parties, on cherche des groupes qui vont nous pousser à nous dépasser parce ça va élever le niveau en général. Je ne supporte pas les groupes qui choisissent expressément une première partie qui ne fonctionne pas, je trouve ça lâche.
LVP : Et bien on vous souhaite de beaucoup vous amuser avec ces deux tournées ! Merci pour cette interview.
Wunderhorse : Merci !
Ma playlist est aussi bipolaire que moi. J’aime le metal, le sang et les boyaux, tant que ça reste vegan.