|Photo : Colin Solal
Sur La Favorite, son premier album, Yoa nous parle de doutes, de rupture, d’enfance, d’échecs d’amour (sous toutes ses formes) et de trauma. Ces quinze titres résonnent au plus profond de notre être. Intime et accessible, La Favorite raconte une époque : celle d’une génération un peu cynique, bercée par la culture internet, qui parvient à trouver des raisons de s’amuser malgré le chaos.
Extraits d’interview recueillis par Caroline Bertolini
Après avoir sorti trois EP : Attente (2021), Chansons (+) tristes (2023) et Nulle (2024), l’artiste franco-suisse a notamment collaboré avec le rappeur Georgio et le chanteur Ben Mazué. Récemment, elle nous en a mis plein la vue sur la scène du Fifty Lab à Bruxelles et on l’attendait avec impatience : son premier album, La Favorite, est sorti le 31 janvier. La Vague Parallèle l’a rencontrée il y a quelques jours pour échanger sur ce nouveau projet.
La force de Yoa, c’est son honnêteté brute et crue, couplée à son humour tranchant. On partage les mêmes références, on a l’impression d’être sa pote. Cette proximité, on la sent directement sur les premières chansons de La Favorite.
Autoproclamée « meuf triste », Yoa nous régale d’une bande-son parfaite pour twerker en pleurant solo dans notre chambre : Sad Girl illustre l’ambivalence du spleen rempli d’autodérision. D’ailleurs, sa sad girl préférée, c’est la reine, la seule : Lana Del Rey. Yoa cite ses paroles préférées, issues de son titre Happiness is a Butterfly : « If he’s a serial killer, then what’s the worst that could happen to a girl who’s already hurt ». Simplicité, poésie et puissance, à l’image de l’écriture de Yoa.
Yoa parle aussi à la gosse en nous. La voix chargée de nostalgie d’une période qu’elle semblait pourtant subir, elle nous chante son adolescence sur 2013, un titre fragile où elle raconte les chorées de clips qu’elle répétait dans sa chambre. « Du Beyoncé : Single Ladies et Run The World, mais aussi Waka Waka de Shakira. », précise-t-elle.
Ensuite, les chorées dans sa chambre virent à la teuf techno avec Mes Copines, titre ultra-entraînant qui donne – encore une fois – très envie de devenir pote avec Yoa. Dévoilé en avant-première en live au Fifty Lab, Mes Copines avait sécrété une vague de sérotonine dans la foule. Une chanson qui fait du bien et pour son autrice aussi :
« Quand je l’ai écrite, j’en avais ras-le-cul de mon album. C’était la première fois depuis super longtemps que j’avais envie de l’écouter tout le temps, j’étais trop contente. »
Le très bossa nova Matcha Queen est à ajouter sans plus attendre à votre playlist Girl’s girl, l’artiste nous parle de sororité, de l’expérience féminine quasi-universelle. Le refrain, l’irrésistible « tais-toi et danse » a un arrière-goût amer… comme le matcha avant qu’on s’habitue à son goût de gazon, finalement.
Yoa, c’est aussi celle qui fait chialer en parlant avec une vulnérabilité touchante de ses doutes romantiques (Bombe), ou en te faisant gamberger sur tes propres erreurs de parcours (Nulle)… Juste avant de te donner des envies charnelles avec le très suggestif Tu veux me ?, où elle se réapproprie son désir sur des basses bien rondes. Le titre fait inévitablement écho à ses chansons Bootycall et Maddy <3, issues de Chansons (+) tristes, s’adressant aussi aux plus de 18 ans. Sur Tu veux me ?, Yoa renverse les codes de la séduction et se place en contrôle de son récit. Elle raconte : « J’ai essayé d’être plus proactive dans la manière de parler de sexe que je l’ai été dans mes précédents textes et je trouve que j’y suis arrivée, même si effectivement le titre renvoie toujours à ‘C’est le garçon qui fait’. »
« Ma manière d’écrire est toujours naturelle, très instinctive. J’intellectualise pas trop comment j’écris. Mais j’essaye juste de me casser la tête pour que ce soit nouveau, que l’on n’ait pas déjà entendu ça.»
En fait, Yoa, c’est une bouffée de lucidité qu’on se prend en pleine poire. En témoigne Princesse chaos, single très radiophonique aux relents de Clara Luciani, où elle fait preuve d’un recul et d’une clairvoyance sur ses échecs. Contredite entre maturité et immaturité, elle sait qu’elle est perdue, au moins. Cette prise de conscience d’elle-même est prégnante sur La favorite.
« J’ai beaucoup travaillé sur moi-même, en analyse, ce qui me permet d’être consciente de là où je viens et qui m’aide à prendre conscience de mes privilèges. Heureusement pour moi, ça ne déborde pas dans quelque chose de nocif. J’ai conscience de comment je me présente, de ce à quoi je ressemble, de comment je parle, du vocabulaire que j’utilise. Ça m’aide à avancer et à savoir où je vais. Mais c’est très nouveau. » explique-t-elle.
On sèche ses larmes sur Contre-coeur, récit d’une rupture amicale qui donne envie de DM cette pote que t’as perdue de vue mais qui connaissait tous tes secrets en 2015… Puis, on plonge dans une partie assez romantique de l’album, avec notamment Les grandes chansons, titre acoustique qui fustige les modèles dépassés des classiques de la chanson française “pas inclusifs”, selon Yoa. Sur Héros, l’artiste part au front, en massacrant les normes. « J’essayais de renverser la figure du héros, du soldat, en parlant de femmes. Parce que les femmes se battent plus que les hommes dans le quotidien. »
Toi mon héros qui n’est pas fait de pierre
Vise au plus haut comme une femme à la guerre
S’il y a bien une métaphore que Yoa aime explorer, c’est celle de la guerre. Elle largue son ex comme une bombe (Bombe), avant de faire la guerre comme un soldat qui se rend (Nulle). Même ses copines sont plus armées que le plus grand des soldats (Mes copines). C’est notamment ça, le génie de la plume de Yoa : quelques métaphores filées et de l’auto-référence subtile. Moins subtile pour Là-bas part.2, la suite de la chanson Là-bas, figurant sur Chansons (+) tristes, dans laquelle elle pose une série de questions rhétoriques sur l’après-rupture. Avec Le collectionneur, Yoa se réapproprie avec délicatesse le récit d’un viol sous forme de dialogue. Elle culmine avec une répétition de “Je te déteste“, aussi glaçants que fins.
La favorite, inspiré du film de Yorgos Lanthimos, referme cet album avec une morale équivoque, entre enthousiasme et résignation. Elle y parle de sa relation avec ses parents, des pardons qu’elle n’aura jamais. Encore une autoréférence subtile, les « quelques traumatismes en héritage » sur Matcha Queen deviennent « l’intelligence en héritage » sur La favorite. Changement de perspective donc, sur ce titre éponyme qui, plein de candeur, dresse le portrait plutôt optimiste d’une femme qui a conscience d’elle-même, de ses forces et qui s’accepte.
Inspirante, nostalgique, puissante et douce, Yoa, c’est cette pote qui répondra toujours quand tu l’appelles. C’est celle qui trouvera toujours le truc drôle à mettre en description de post insta. Celle avec qui tu peux te plaindre des mecs cis, twerker en teuf et puis pleurer devant une comédie romantique. Celle qui te sert de psy, qui sait te redonner confiance en toi, qui te soutient coûte que coûte (même quand t’es clairement en tort). C’est cette pote pleine d’amour qui te connaît un peu trop bien et qui te comprendra toujours. Et c’est notre préférée, notre favorite à nous.
du genre à twerker sur du Phoebe Bridgers