You Can’t Kill Me : 070 Shake délivre son amour pour la vie sous un éclair divin
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Auteur·ice : Maya Buhay
11/07/2022

You Can’t Kill Me : 070 Shake délivre son amour pour la vie sous un éclair divin

Il y a un peu plus d’un mois, la rappeuse du New Jersey 070 Shake nous livrait son dernier album You Can’t Kill Me, signé GOOD Music Records. Au programme : des singles imparables tels que Skin & Bones ou Medicine, et même un featuring inattendu percutant avec la chanteuse pop Christine and the Queens sur Body. Malgré un manque de présence intentionnel sur les réseaux sociaux, marque de la communication artistique de Shake, l’album a tout de même bénéficié d’une reconnaissance mondiale. À juste titre : sa richesse sonore et l’expérience visuelle qu’il apporte est digne d’un film de Ridley Scott. Un bel exploit pour GOOD Music.

La protégée de Kanye West se fait déjà une place parmi les artistes les plus inspirant·es pour la jeune génération. L’heure de consécration pour celle qui a enchaîné les collaborations avec MadonnaNas ou encore Pusha T. Souvenez-vous comme Danielle Balbuena, de son vrai nom, nous marquait il y a deux ans encore par ses textes sincères, sa voix unique et son style androgyne reconnaissable entre mille. Son couplet sur Ghost Town de l’album Ye de Kanye, par exemple. Inoubliable. Et on ne cessera de jouer on repeat Guilty Conscience.

Après Glitter et l’album Modus Vivendi paru en 2020, Shake peut enfin se dévoiler vulnérable et amoureuse dans une nouvelle ère, celle de You Can’t Kill Me. Le 3 décembre dernier, quelques mois avant la parution de l’album, sortait Lose My cool en featuring avec NLE Choppa et donnait fortement le ton de ce qui allait suivre. Même si le titre ne figure pas sur la tracklist de l’album, il constitue certainement une pièce forte du puzzle. Shake y parle de l’industrie musicale dans laquelle elle est arrivée, de sa vision du couple, de son style androgyne qui ne cesse de troubler.

I’m so androgynous
I keep confusing them
Think I’m a polygamous
I want like two of them
I know I’m a prodigy

L’album résulte d’un travail main dans la main entre Shake et son producteur, le légendaire Mike Dean. L’identité sonore s’inscrit dans une réelle continuité des travaux réalisés par le producteur, multi-instrumentiste, génie technique qu’on retrouve derrière tous nos hits rap préférés. Les morceaux ont tous la même structure. On passe d’une progression lente à un drop ultra rythmé, avec distorsions et autotune, assénés de coups magistraux de synthétiseurs. Son travail puise son inspiration dans des sources considérables telles que celles de Kanye West, Kid Cudi (plus particulièrement dans l’album The Man on the Moon : The End of Day), Michael Jackson, Pink Floyd et Travis Scott sur les albums Days Before Rodeo et Owl Pharaoh.

Anti-héroïne du rap et exemple pour les jeunes de notre temps en quête de sens, 070 Shake rappelle tout d’abord que notre existence sur terre n’est qu’un passage et qu’il est important de le vivre en restant soi-même. Le titre original de l’album You Can’t Kill Me Because I Don’t Exist, (ndlr. Tu ne peux pas me tuer parce que je n’existe pas) fait comprendre l’importance du soi intérieur. L’artiste l’exprime d’ailleurs « Nous sommes tellement attaché·es à ce monde physique que cela nous rend plus susceptibles d’être blessé·es ». Cette vision est traduite par une pochette fantasmagorique à la façon de Francis Bacon, signée Nicola Samori : une image macabre dépeignant bien l’état éphémère du corps et l’infinité de l’âme. Le travail musical de Shake résonne particulièrement avec la démarche artistique du peintre.

Tout commence par un dialogue-interrogatoire que Shake adresse au public et à elle-même. Sereine et contemplative, Web introduit You Can’t Kill Me. Sa voix pure, libérée de tout effet vocal, s’accompagne d’harmonies gospel et angéliques. Le morceau, symbole de révélation et renaissance, mérite assurément sa version a cappella.

 

La complémentarité entre corps et âme et la relation amoureuse sont les deux grands thèmes de cet album. Une danse entraînante s’ouvre avec Invited où orchestre et chœur répondent en écho aux émotions de Shake. Blue Velvet vient faire un clin d’œil au morceau de Bobby Finton. Ces deux morceaux retranscrivent l’euphorie douce des premières rencontres, comme la description d’une seule robe bleue replonge l’artiste dans des moments sensuels partagés avec une autre.

Une lumière vient éblouir tout un être et le rend à la vie, mais cette fois dans le vrai monde. Shake n’est pas parfaite et accepte l’amour tel qu’il lui vient. History, morceau versatile aux changements de rythmiques, effleure volontairement le dynamisme de Queen. Il associe à son slow des mélodies dramatiques. Skin & Bones est probablement le morceau qui reflète le mieux les deux thématiques et l’ambiance globale de l’album. Il nous frappe par son vent froid, une altération au souffle léger qui faisait voler les cheveux de Shake dans Web. Le morceau nous enveloppe dans un rêve planant, ses harmonies grandioses nous donnent presque la chair de poule. Nous reconnaissons la touche très caractéristique du dieu du synthé aka Mike Dean aux trois quarts du morceau, rappelant précisément la mixtape Owl Pharaoh de Travis Scott. Dans le clip, le théâtre est une métaphore de la société moderne. Shake souhaite prendre distance de la pression sociale pour jouer au mieux son propre rôle.

Skin and bones under the covers/Kept our love undercover/Nonchalant, very subtle./Tryin’ not to step on the puddle

La ballade de Shake sur Wine & Spirits, plus secrète et intime, nous fait entendre par un rythme lent sa voix posée, accompagnée à la guitare folk. Ce dernier titre ainsi que History et Skin & Bones témoignent de véritables déclarations d’amour. Un autre chef-d’œuvre, c’est Medecine, aux sonorités de synthé sombre et futuriste sous des influences de Pink Floyd – se distingue de Stay et Purple Walls en représentant la relation amoureuse sous son jour le plus sombre. L’écoute de l’album est ensuite contre-balancée par l’énergie salvatrice de Body, morceau d’empowerment féminin. Vibrations et Cocoon viennent aérer l’ambiance lourde et orageuse avant de clôturer ce chapitre où, pourrions-nous dire, le pouvoir de cette histoire d’amour s’éteint, avec Se fue la luz.

When you were sick babe
I was your oxygen
I’m your oxygen
But I’m cutting off your supply

 

Dans son souhait de ne jamais rester la même, nous comprenons que 070 Shake se laisse porter par le mouvement et refuse une quelconque étiquette. Chatouillée par un grain rock psychédélique, elle voyage entre la synthpop des eighties et le hip-hop, et surfe sur une vague cloud cap, genre musical dopé à l’autotune, qui connait une montée en puissance depuis quelques années. Nous pouvons ressentir cette fluctuation dans sa musique. La classer relève d’une tâche complexe ; cela l’aide sans doute à rester elle-même et laisse beaucoup de place à l’expérimentation. Une chose est sûre, 070 Shake n’a pas encore atteint son full potentiel et ne compte pas s’arrêter là.


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