Yseult nous raconte comment elle a retourné la chanson française en un EP
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
26/12/2020

Yseult nous raconte comment elle a retourné la chanson française en un EP

Yseult Onguenet. 26 ans. Voix d’or. Dure à cuire. Claque. Trois EPs après son envol indépendant en 2019, on a eu la chance de discuter avec elle de son dernier coup de génie : BRUT. Un projet franc et frontal, suintant d’érotisme, qui aura su secouer le petit monde (trop) frigide de la chanson française. Et ça, ça n’a pas de prix. Entretien avec une femme libre, forte, vulnérable et fière de l’être. 

Habituée de nos colonnes, c’est au stade embryonnaire de sa carrière, lors de sa participation au télé-crochet Nouvelle Star en 2013, qu’Yseult et son grain de voix singulier rencontraient nos tympans pour la première fois. Match immédiat. Après un premier projet éponyme qu’elle qualifiera elle-même d’impersonnel en 2015, elle nous revenait en 2019 plus déterminée que jamais à imposer ses codes. Son label. Sa vision. Son projet. Sa musique. La marque Y transcende l’entièreté de ses deux premiers EPs, Rouge et Noir, pour délivrer deux facettes symbiotiques de la jeune artiste. Avec BRUT, troisième écrin de la créativité débordante d’Yseult, il semblerait qu’elle soit prête à embrasser une dimension musicale plus élevée encore, teintée de technique, de versatilité, d’expérimentations et de surprises. Un monde qui lui ressemble davantage.

J’avais envie de me surpasser. Musicalement, je voulais proposer une nouvelle direction artistique, quelque chose d’hybride entre la pop et la chanson française. J’ai décidé de creuser dans cette direction-là et d’y aller à fond, et je trouve qu’il y a un côté très frontal et direct. C’est ce que je suis dans la vie.

 

L’esthétique brute

Invitée en novembre dernier chez Radio Nova pour l’excellent format Chambre noire, elle affirmait “Qu’est-ce que ça fait du bien d’entendre de la vraie musique. De la putain de musique !” Une phrase qui, sans le recul nécessaire, pourrait passer pour de la prétention, mais qui cache en réalité l’essence même du produit : une authenticité brute, dure. Comment contredire Yseult à l’écoute de ces six morceaux profonds, dénudés, honnêtes et pertinents ? Un esprit de vérité qui se ressent tant sur le fond que sur la forme, tant sur les textes que sur les structures. Le mot brut n’a que rarement si bien trouvé sa place.

Sur BRUT, c’est vraiment genre “Je suis comme ça, point à la ligne.” Et ce n’est même plus “Que ceux qui m’aiment me suivent.”, mais plutôt “À ceux qui arrivent à suivre ma versatilité artistique : bon courage, suivez la vibe, suivez l’évolution globale du projet. Et vous allez pas être déçus.”

Additionnée à cette justesse musicale, c’est toute l’artillerie visuelle qui a été pensée et léchée par Yseult elle-même, entourée d’acolytes de taille. On soulignera notamment la présence pérenne de David Foulkes, directeur de la photographie présent depuis Noir, ou encore celle du tandem Thibault-Théodore Babin et Nicola Scarlino sur l’ahurissant clip de BAD BOY. Des collaborations fructueuses qui n’ont qu’une seule ligne de conduite : l’art.

Ces trois personnes, j’ai vraiment beaucoup de plaisir à collaborer avec. Au-delà de leur profession respective, ce sont vraiment des artistes avec une vision complète. En collaborant avec eux, je me suis rendu compte que je voulais vraiment m’entourer d’artistes pour développer l’univers de mes projet futurs.

 

La sexualité brute

En musique, par rapport aux hommes, on ne retrouve que peu de jeunes femmes qui abordent leur sexualité de façon frontale. Et c’était un vrai kiff de pouvoir le faire, à ma manière.

Véritable ode à la femme qu’elle est, et plus profondément à sa sexualité, BRUT va permettre à Yseult de mettre en musique les passions libidineuses qui l’habitent. Un terrain de jeu trop longtemps interdit aux femmes de l’industrie, mais qui se voit repris d’assaut par des figures tutélaires de la scène musicale actuelle, comme nous le soulignions dans notre dossier Comment les femmes de la musique se réapproprient leur propre sexualitéAux côtés de l’évocateur positions d’Ariana Grande ou du phénomène WAP de la reine Cardi BBRUT s’inscrit donc dans la célébration émancipatrice des désirs féminins en musique.

J’ai eu une sorte de lâcher-prise pour cet EP. J’avais un peu fait le tour par rapport aux thèmes de la confiance en soi, et la suite logique de ce développement, selon moi, c’était ma sexualité. L’EP transpire d’érotisme. La volonté c’est de casser tous ces codes, tous ces préjugés, tout ce tabou qui existent autour du mot sexe. Au final, c’est quelque chose de naturel, d’organique, de commun à tous et toutes.

 

On retiendra ainsi la chaleur du banger BB, teinté de dancehall et de vibes solaires qui nous ramènent à l’énergie soutenue de son EP Rouge. “Tes deux doigts, c’est de l’or, un bail de demi-dieu. Tu connais l’antidote pour attiser le feu.” lance-t-elle, dans un élan jouissif d’impudente explicité. Mais force est de constater que c’est SEXE qui reste le plus osé de la collection. Tant pour sa sensualité extravagante que pour sa structure complexe et genre-bending : entre chanson françaiserock progressifdream pop et R’N’B. Tout ça. Et comme la curiosité artistique d’Yseult ne semble connaître aucune limite, le morceau fait près de 7 minutes. Vous avez dit audacieux ?

Je n’ai pas forcément eu de mal à assumer la structure plus alternative de SEXE. J’avais juste envie de me faire kiffer, j’avais envie de revenir à l’essence de la musique, de revenir au texte aussi. Du coup, je n’avais pas forcément de pression par rapport à la forme ou la longueur que cela allait prendre. Je n’ai pas peur de cet esprit plus expérimental, j’aurais même très bien pu le rallonger de quinze minutes si je voulais. (rires)

Les connexions brutes

Ziggy et Romain sont deux très belles personnes qui m’impressionnent et qui ont foi en la personne que je suis. Et ça, ça change tout.

À la création des morceaux, on retrouve évidemment l’autrice-compositrice-interprète elle-même, mais pas que. Romain Descampe et Egil “Ziggy” Franzén, membres du célèbre trio belge Puggy, épaulent la chanteuse depuis l’ère Noir. Un duo que l’on retrouvera notamment à la création du classique Corps, véritable tremplin pour la jeune entrepreneuse. Sur BRUT, les deux musiciens ont eu l’occasion de marquer chaque morceau de leur expertise et de leur vision propre. Une équipe gagnante, une usine à art, dont le secret semblerait tenir en deux ingrédients tout simples : l’écoute et le respect.

Ziggy et Romain m’écoutent énormément. Je les respecte et ils me respectent, comme je suis. Ils n’ont jamais porté aucun jugement sur la personne que je suis : mon apparence, ma manière d’être, ma manière de me comporter, ma personnalité. Parce que je suis quelqu’un de très complexe. Beaucoup de personnes pensent me connaître, mais ce que je montre ce n’est pas forcément la réalité. Ces deux personnes-là, elles ont largement gagné ma confiance. Et c’est ça qui a donné Corps, qui a donné Noir, qui a donné SEXE

La voix brute

S’il y a bien un domaine qu’Yseult manipule avec maestria, c’est le piano-voix. Nul besoin de vous rappeler les frissons occasionnés par Corps à chaque écoute. Pour BRUT, c’est à travers INDÉLÉBILE et BAD BOY qu’elle gagne nos entrailles, dans des exécutions bluffantes de technique vocale. Des aigus aux graves en passant par les trémolos, rien ne semble échapper à l’éventail acoustique de l’instrument divin qu’elle cache au fond de sa gorge. Quelle voix. Et quelle meilleure manière pour la mettre en valeur que la pureté d’un piano-voix ?

J’adore le piano-voix, c’est un intemporel de la chanson française qui ne mourra jamais. C’est une configuration dans laquelle on ne peut pas mentir, parce qu’il n’y pas de prod, pas de métronome : c’est une sorte de mise à nu. C’est un exercice assez intense. J’aime aussi chanter en cappella, alors que c’est très complexe. Il faut savoir chopper la bonne tonalité, capter le même BPM que si la musique passait dans le fond. C’est une forme de rigueur artistique qui me fait du bien.

 

La force de cette voix hors norme, on la retrouve également sur les vocalises si caractéristiques d’Yseult. Des sections extrêmement techniques, plus abstraites, qui reposent le plus souvent sur une maîtrise pointue de l’improvisation et un sens calibré de la rythmique. Si ces extravagances vocales se retrouvent énormément dans les lives de la chanteuse, il n’est pas étonnant des les retrouver sur les versions audio des morceaux. C’est notamment le cas du titre 101 REGRETS, partagé avec le rappeur S.Pri Noir et sur lequel le couplet d’Yseult est majoritairement composé de vocalises.

Les vocalises c’est important car ça fait partie de moi et c’est ce que j’aime faire en live. Ça donne de l’amplitude au morceau, et c’est parfois mieux que les mots. Par moment, il n’est pas nécessaire d’en dire plus, et c’est là que ces vocalises entrent en jeu. Sur 101 REGRETS, par exemple, mon couplet c’est surtout une vibe. Des sentiments que je pose ici et là-bas, de manière un peu irrégulière. Et ça me plaît, parce qu’encore une fois ça prouve qu’on s’en fout des refrains, on s’en fout des couplets, il n’y a pas de règle, en fait. On fait juste de la musique, on est des artistes et on fait tout ça pour la culture.

La tournée brute

Pour présenter son précieux troisième EP à son public, Yseult opte pour la formule inédite d’une tournée piano-voix. Accompagnée de son fidèle et talentueux pianiste Nino Vella, elle nous emmènera dans une création contemporaine et personnelle, emplie de vulnérabilité, pour enchanter les scènes de France, Luxembourg, Suisse et Belgique. De quoi nous réjouir davantage de mettre un pied dans 2021.

Le but c’est que chaque concert de cette tournée piano-voix soit différent, qu’il ait sa propre vibe, ses propres sentiments. Je pense que c’est ça la vérité, c’est ça être à nu. C’est important pour moi de donner tout ça à mon public. En achetant une place de concert, je pense que c’est ça que veut mon public : entendre mes textes, ma voix, comment j’interprète mes chansons. Je suis très excitée et j’ai vraiment hâte de débuter cette tournée !


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