Beauseigne. Comme beau seigneur. Comme le nom du premier album de Zed Yun Pavarotti. Après avoir expérimenté différents concepts sur French Cash, le rappeur stéphanois élargit davantage sa palette artistique en livrant ce projet. Rencontre avec Zed Yun Pavarotti, artiste en constante évolution.
Photos : © Paul-Louis Godier
La Vague Parallèle : Ton premier album Beauseigne est sorti. Comment te sens-tu actuellement et qu’est-ce que cela signifie pour toi de sortir un premier album ?
Zed Yun Pavarotti : Ça me fait bizarre ! Ça marque un temps sur le plan commercial. J’ai fait deux mixtapes, je sors un album, il faut que ça marche. Je ne suis pas obligé de faire diamant, mais il faut que je passe un palier. Même dans le discours, je ne peux pas sortir dix projets avant de péter. Au bout d’un moment les gens vont lâcher. Et puis même, je ne ferai pas dix albums. Mon but c’est qu’un maximum de personnes m’écoutent et qu’il y ait un succès. En tout cas pour cet album, je vise sur la longueur. Je vais essayer de le faire vivre au maximum. Je pense que j’ai vraiment un très bon album, donc ça ne devrait pas être trop dur, mais après je ne sais pas du tout jusqu’où je vais pouvoir l’amener.
LVP : Tu as annoncé il y a peu de temps que tu décalais la sortie de deux semaines. Il y a une raison particulière, ou bien c’est vraiment la date du 25 septembre qui te dérangeait, comme tu l’as fait comprendre sur Instagram ?
ZYP : Non, c’est des détails d’organisation. Je ne me suis pas levé et je n’ai pas rendu les masters à temps en fait (rires).
LVP : Tu commences l’album par le morceau Beauseigne, une expression qui vient de Saint-Étienne. Quand j’écoute le son, j’ai du mal à trouver un thème en particulier qui ressort. Ça me fait penser à French Cash où il y avait ce truc assez abstrait. Qu’est-ce que tu veux communiquer avec ce premier son ?
ZYP : Effectivement, c’est un des morceaux qui se rapproche le plus de la méthode que j’ai pu utiliser sur French Cash, en tout cas sur le texte. Le fait de parler de plein de trucs en même temps, plein d’images, etc. Sur ce morceau, tout est écrit pour que ça fasse penser à l’ambiance à Saint-Étienne. Pour qu’on essaye de capter un peu ce que ça peut être là-bas. Un truc un peu noir, un peu nerveux, mais en même temps assez positif. Je trouve qu’on est assez proche de l’ambiance qui, en tout cas, me définit.
ZYP : Tu peux nous parler de Saint-Étienne et de ton lien avec cette ville ? Pourquoi mettre Beauseigne en introduction du projet ?
J’ai décidé de mettre ce morceau en intro parce que j’avais envie d’apporter de l’énergie. Pas mal de médias me définissent comme un “sad”. Je ne dis pas que le morceau est particulièrement positif, mais je voulais annoncer qu’on n’allait pas être sur un truc planant style cloud. Là, c’est un son qui tape, et au final, l’album se finit un peu plus tranquillement. Mais oui, l’idée de base était d’apporter de l’énergie dès le début du projet.
LVP : Dans le morceau Mon frère, tu t’adresses à ton ami Osha. Est-ce que tu peux nous parler de votre relation, que ce soit son aspect personnel comme professionnel, et nous présenter un peu ton entourage dans la musique ?
ZYP : Effectivement, ce morceau a été écrit pour le bon Osha. En fait, c’est arrivé un peu comme ça. Je trouvais qu’il méritait un morceau. Après tout ce qu’on a fait ensemble et puis là, c’est le premier album. Je savais que ça allait me permettre de faire un morceau simple. En faisant un son pour lui, je ne pouvais pas me permettre de devenir trop complexe et qu’il ne comprenne pas le morceau. Là, il était avec moi, donc je voulais m’adresser à lui. Et puis sinon, pour parler de mon entourage, il est assez restreint. C’est essentiellement mes potes de Saint-Étienne. C’est Osha mon producteur, Charles Leroy mon réalisateur, Jason Destrait mon graphiste. C’est lui qui a fait tous les visuels pour l’album, d’ailleurs. On est tous monté en même temps sur Paris et on continue de bosser ensemble.
LVP : On en a déjà un petit peu parlé, cet album est une bonne continuité à French Cash d’un côté, mais de l’autre, c’est moins abstrait et plus direct. Est-ce que c’était vraiment une intention de ta part d’être plus précis dans ce que tu allais raconter ?
ZYP : Oui, c’est totalement intentionnel de resserrer et de moins permettre ces multiples interprétations. C’était important pour moi de restreindre la lecture. Je voulais être davantage dans le contrôle de mon projet. Avec cet album, je voulais proposer quelque chose de condensé, mais surtout pouvoir faire tout ce dont j’avais envie sur le plan musical. Du coup il fallait que je resserre un peu plus au niveau du texte. J’ai vraiment du mal à écrire simplement et de manière lisible, donc il reste quand même pas mal de morceaux où on est encore dans ce truc d’images. Notamment sur le morceau Beauseigne.
LVP : Dans l’album, on retrouve pas mal de guitare, notamment sur l’Interlude et sur Merveille. Mais on trouve également des instrumentales qui se rapprochent presque de la two-step ou même du rock. La palette est hyper large. Tu peux nous parler un peu des sonorités que tu as amenées sur ce projet et ce que tu as amené en plus par rapport au projet précédent ?
ZYP : Presque tout, en vrai ! Déjà, sur chaque morceau il y a au moins un instrument. Alors que sur French Cash, c’était loin d’être le cas. Il n’y avait pas d’enregistrements et de prises en direct. Là, sur tous les morceaux de Beauseigne, il y en a. J’avais envie de ramener un aspect folk, globalement. Sur le plan théorique, c’est ce que je voulais en tout cas. J’ai vraiment voulu me faire plaisir. Je n’avais pas envie de me mettre trop de barrières, et en même temps, je ne voulais pas trop craquer pour ne pas me perdre. Mais je voulais rester sur cette logique de faire absolument ce que je veux. Donc, si je veux faire un morceau rock et un morceau two-step, je le fais. Par contre, je veux que les deux morceaux se lient bien. J’ai fait très attention à la cohérence, même si au début j’avais peur d’exploser dans tous les sens. Au final, je pense que la rigueur dans la méthode de création a bien aidé.
LVP : On parlait des sonorités. Tu peux nous parler du processus de création ainsi que des personnes avec qui tu as travaillé ? Notamment sur les instrumentales ?
ZYP : Osha est sur tous les morceaux ! Il y a cinq tracks où on est en co-prod, mais c’est toujours Osha à la baguette. C’est la première fois que je compose aussi. Sur Un jour, c’est moi au piano et sur Interlude, c’est moi à la guitare, par exemple. Je fais beaucoup les violons aussi. Je suis fanatique. Tous les violons, c’est moi, c’est sûr (rires) ! On a déconstruit le modèle, en fait. Je n’avais plus envie de rester dans ce truc de rappeur/producteur. C’est hyper limitant. Je pense que certains artistes n’ont pas envie de s’investir dans la composition parce qu’il y a une facilité à avoir un producteur qui fait une instru et toi, tu poses dessus. Mais moi, j’avais vraiment besoin de m’investir à 100%. De toute façon, si j’avais envie de signer mon projet, il fallait que j’aille encore plus loin dans l’appropriation.
LVP : Un autre son fort de l’album, c’est le morceau Rien. Sûrement grâce à la composition piano qui amplifie le tout. C’est un son hyper personnel, avec un tempo qui fait presque penser à une valse. Tu peux nous en dire plus sur ce son ?
ZYP : Le piano, c’est Iliona ! C’est une artiste belge qui m’a envoyé un piano. On a fait beaucoup de versions différentes. Je pense que c’est le morceau qui m’a pris le plus de temps, d’ailleurs. Il est archi personnel, et puis c’est un trois temps. C’est toujours dur à gérer. Je l’ai fait réarranger par Yannaël Quenel, un pianiste qui n’avait jamais bossé avec des rappeurs. Je lui avais filé une maquette et je lui ai vraiment donné carte blanche. Je voulais qu’il aille au bout de son idée, et qu’après je fasse le tri de mon côté. C’était vraiment long. Au final, le résultat est hyper bien ! Le problème c’est qu’il est trop fort, c’est un trop bon pianiste et du coup pour le faire en live je ne sais pas comment je vais faire (rires). Je vais trouver peu de mecs qui ont son niveau.
LVP : Est-ce que c’est facile pour toi de faire un morceau de ce style ? Tu en as déjà fait, mais celui-ci je le trouve beaucoup plus clair et il va droit au but. Comment ça se passe à ce niveau-là ?
ZYP : J’ai mis pas mal de temps à m’approprier le piano et à me dire que ce sera le seul accompagnement pendant plus de trois minutes. J’aurais pu le faire arranger, mais je perdais la brutalité du piano-voix. Et puis j’avais envie de me prouver que je pouvais tenir un morceau comme ça de A à Z, que je pouvais arriver à créer un morceau avec juste un piano et une ligne de chant. Ce qui n’est vraiment pas facile ! J’ai dû faire dix versions différentes. Ça demande beaucoup de concentration et de précision. On a dû mettre six mois à le faire en tout.
LVP : Tes inspirations sont très variées. Tu es passé par le métal, le rock, le rap et j’en passe. C’est assez difficile de te définir un style. Personnellement je dirais un mix entre la pop, la variété, le rock, la folk et le rap. Comment définirais-tu ton style ?
ZYP : Avec mes potes on appelle ça de la Fuzz. C’est un nouveau truc ! Peut-être que j’aurai créé un nouveau genre musical (rires). Je vais essayer de créer une catégorie sur les plateformes de streaming. Mais plus sérieusement, je m’en fous un peu de ça. Mon ambition c’est d’aller suffisamment à l’essentiel pour que n’importe qui puisse se retrouver dans au moins un de mes sons.
LVP : Comment fais-tu pour passer d’un son avec un tempo assez rapide où tu vas envoyer (Beauseigne) à une valse-piano (Rien) où il faut vraiment se concentrer sur sa performance vocale ?
ZYP : Ce n’est pas les mêmes moments. Ce n’est pas des morceaux que je fais sur le même laps de temps. Un morceau comme Rien, je ne peux pas arriver à le provoquer s’il n’est pas en train de se passer un truc dans ma vie, par exemple. Beauseigne, c’est un morceau qui parle de toute ma vie, donc j’ai juste à me replonger un peu dans mes souvenirs, analyser ce qu’il s’est passé jusqu’ici. Rien, ça sort parce que c’est le moment de le faire !
LVP : Beaucoup de personnes voyaient French Cash comme un projet sombre, moi le premier après l’avoir écouté une première fois. Avec Beauseigne on a l’impression qu’il y a quand même une lueur d’espoir et un mood beaucoup plus positif. C’est la bonne analyse ?
ZYP : Ouais carrément ! Je n’ai jamais été particulièrement attiré par le négatif. Je suis fan des musiques mélancoliques, mais c’est un goût artistique. Ça ne veut pas dire que je suis triste. Après, je pense que j’ai fait mon lot de sons tristes. Dans French Cash, tout est en mineur. Là, il fallait que je ramène de l’énergie, parce que j’adore ça ! Je déteste la musique cloud, par exemple. C’est trop lent à mon goût. Après, je grandis, je change de goûts musicaux et puis j’ai envie de me dépasser. Si j’ai fait French Cash, je ne vais pas refaire la même chose. J’ai besoin de défi absolument tout le temps. J’espère juste que je ne vais pas me perdre et que je vais trouver mon truc. En tout cas, Beauseigne, c’est la suite logique et c’est là où je me retrouve le mieux. Après, effectivement, je pense que les événements de la vie ont amené un peu de déformation dans ma manière de créer. Parce que ça va mieux quand même, je suis plus confortable.
LVP : À la différence de beaucoup d’artistes aujourd’hui, tu t’en fous totalement de l’image que tu renvoies en tant que personnage. Pour toi, tout ce qui compte, c’est le message que tu vas laisser dans le temps avec ta musique. Ce n’est pas difficile pour toi d’aller sur scène et de défendre des chansons en assumant autant cette vision des choses ?
ZYP : Maintenant, j’y arrive. Au début c’est difficile, il faut trouver la recette et être sûr de son coup. Le truc, c’est que dans le rap, le show est très important. Le problème, c’est que les gens vont dans un concert de rap comme s’ils allaient à la salle de sport. En mode je vais aller m’enterrer (rires). Je ne dénigre pas ce truc-là et je comprends cette logique, mais j’ai une ambition différente et plus axée sur le principe musical pur et dur. Donc, ça demande un peu d’attention. L’idée c’est d’arriver à créer un entre-deux, mais je ne pense pas que je sois obligé de sauter partout pour que les gens le fassent. Et de toute façon, l’histoire l’a prouvé, puisque, quand je joue Papillon en live, c’est la foire. Alors que je n’en fais pas une… En tout cas, je fais extrêmement bien la zik et je la chante du mieux que je suis capable. Il n’y a pas de backeur, je suis tout seul et j’essaye de ramener ce truc de la performance. Les gens sont hyper sensibles à cela. Ils n’ont pas l’habitude de se dire « je vais voir du rap et voir un mec qui va faire une performance vocale impeccable ».
LVP : En parlant de scène, tu es un grand fan du groupe Oasis, et en particulier de Liam Gallagher. Tu as fait une reprise de Once récemment. Pourquoi ce son ? Et qu’est-ce que tu trouves de particulier chez cet artiste ?
ZYP : C’est LA rockstar. Il est arrivé au sommet de la provocation. En tout cas, de l’attitude provoc’. C’est extrêmement fin comme attitude. Il ne fait rien et il arrive à renvoyer cette image. Il n’y a personne qui arrive à faire ce qu’il fait. Perso, j’ai d’abord été tarté par Oasis et par la suite j’ai découvert qui était Liam. Les deux mélangés, c’est trop subtil. C’est la perfection selon moi. En fait, je me sens assez proche de Liam au niveau de la démarche et même naturellement, sur scène. Par exemple, le délire de mettre les mains dans le dos sur scène, c’est un truc que j’ai fait la première fois en guise de clin d’œil à un de mes potes. Je voulais juste imiter Liam Gallagher, et au final je suis devenu accro à cette gestuelle. La posture est top ! C’est fantastique, je ne peux plus m’en détacher. Pour le choix de Once, c’est tout simplement parce que, selon moi, c’est l’un des meilleurs morceaux des dix dernières années !
LVP : Pour toi c’est essentiel d’être concentré sur scène et de faire une bonne prestation vocale. Tu mets aussi beaucoup d’importance à ce que ta musique véhicule des émotions. Est-ce que tu fais de la musique avec la scène comme finalité ? Est-ce que le fait de défendre ses titres sur scène va jouer sur ta manière d’écrire ou de composer tes morceaux ?
ZYP : Sur cet album, oui, complètement ! J’ai fait en sorte que tous les morceaux soient jouables avec des instruments sur scène. On veut essayer de se rapprocher petit à petit de la version acoustique. Le fait d’arriver avec un producteur, il lance la prod et toi, tu rap, c’est horrible. J’ai fait ça sur la dernière tournée, j’en peux plus. Ça n’a aucun sens par rapport à ce que je propose, en plus !
LVP : Dans une récente interview, tu dis « je n’ai pas envie de changer, j’ai envie d’évoluer ». Est-ce qu’avec ce premier album, tu as réussi ce pari, au moins musicalement parlant ?
ZYP : Je me suis transformé sur cet album ! J’ai validé trop de cases que j’avais envie de cocher. Je suis hyper fier de moi. J’ai vraiment fait, pour moi, le meilleur album que je pouvais faire, à ce moment-là en tout cas. Ça c’est sûr ! Et j’aime tous les morceaux autant les uns que les autres. J’ai des petites préférences mais ça évolue. Et c’est aussi des préférences par rapport à la suite, ce que j’ai envie de faire plus tard. Mais sinon, tous les morceaux me baffent.
LVP : Le premier album est toujours une étape importante dans une carrière. Qu’est-ce que tu attends de cette sortie ? Qu’est-ce que tu espères en secret avec la sortie de Beauseigne ?
ZYP : J’ai aucun moyen de pouvoir imaginer quoi que ce soit. Ce n’est pas possible ! Je n’ai jamais eu moyen, par le passé, de savoir quel morceau allait prendre, par exemple. À part pour Papillon, là, je savais que ça allait hyper bien marcher. Mais sinon, je ne sais jamais, en termes de chiffres, ce que je peux faire. Sur Beauseigne, je ne sais pas te donner un morceau qui pour moi fonctionnera plus que les autres. On est incapable de savoir les morceaux qu’on doit clipper (rires). Secrètement, j’aimerais arriver au disque d’or quand même. Avec plusieurs mois d’exploitation, bien sûr, je ne vais pas le faire en première semaine ! French Cash, par exemple, c’est un des projets qui a eu, pour un mec en développement comme moi, la meilleure exploitation sur le temps. Après, on verra ce qu’il va se passer. Peut-être rien, c’est possible aussi, mais ça ne me dérange pas, à la limite. J’ai fait le meilleur album que je pouvais faire. J’ai accompli ce que je devais accomplir !
Culture musicale inexistante car, pour certains, le rap n’en fait pas partie.
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