Blondshell : photographie d’une jeunesse oscillant entre rage et mélancolie
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Auteur·ice : Hugo Payen
01/06/2023

Blondshell : photographie d’une jeunesse oscillant entre rage et mélancolie

| Photos : Chapman Baehler

Une plume intime et engagée sur des riffs saturés venus tout droit des eighties : bienvenu dans l’univers éloquent de Blondshell. Avec la sortie récente d’un premier album éponyme bouleversant, c’est tout naturellement que Blondshell fait partie des révélations rock de l’année. Curieux que nous sommes, on a voulu en savoir plus sur la genèse de ce premier album, sur tous ces souvenirs émouvants et sur cette rage les habitant. Rencontre avec Sabrina Teitelbaum.

Vous l’avez bien compris, comment ne pas succomber au style rafraichissant de la jeune artiste américaine. La musique comme « exutoire thérapeutique », Blondshell nous emmène sans détour dans ses souvenirs de vingtaine les plus sombres parfois, mais surtout les plus mélancoliques. Si son passage entre les murs du Botanique vous a échappé, l’heure est venue de vous laissez emporter une bonne fois pour toute. Vous ne pourrez pas dire qu’on ne vous a pas prévenu.

LVP : Ce premier album, Blondshell, est plein de sonorités à la fois très libératrices et honnêtes. C’était quelque chose d’important pour toi d’avoir cet éventail d’émotions et d’atmosphères différentes ?  

Sabrina : C’était même inévitable je pense. Toutes ces émotions, je les ai traversées pendant l’écriture de cet album, je les ai vécues en même temps que toutes ces choses que je raconte. Je voulais que l’album soit le plus ressemblant, le plus honnête peut-être, vis-à-vis de cette période de ma vie. En fait, tout est venu très naturellement pendant l’enregistrement.

LVP : Avec Veronica Mars, tu poses le ton de l’album. En quelques secondes on est immergés dans cet univers très adolescent et dans ton écriture aussi authentique que directe. C’est un peu comme si cette histoire sonnait le début de toutes les autres. 

Sabrina : Pour Veronica Mars, j’ai voulu être très littérale en réalité. Je pensais à la série du même nom que tout le monde regardait à l’époque, et à la manière dont la télévision pouvait jouer un rôle assez important dans notre famille. Avec mes frères et sœurs, je pense qu’on s’identifiait socialement à certaines dynamiques que la télévision et que les séries renvoyaient en permanence. Je me suis replongée dedans il y a quelque temps et j’ai réalisé à quel point c’était fou pour un enfant de regarder ce genre de série. Puis ça a pris un sens plus large et j’ai tenté d’aborder ces choses auxquelles j’étais exposée en étant une adolescente à New York dans les années 2000.

LVP : Olympus est l’un des premiers single que tu nous as dévoilé, et on peut dire que c’est rapidement devenu un sacré succès. Il s’est passé quoi dans ta tête quand tu as réalisé à quel point ça l’était ?

Sabrina : Tout était différent avec Olympus. J’ai surtout ressenti beaucoup d’excitation, ça prenait comme j’en ai toujours eu envie. Pour la première fois, un nombre important de personnes prenait le temps d’écouter le morceau, d’en profiter. J’ai tout de suite compris que c’était quelque chose que je n’avais pas encore expérimenté par le passé. Et c’est quelque chose d’incroyable quand toutes ces histoires signifient autant pour toi.

LVP : Un succès qui arrive avant même la sortie de l’album. Tu enchaînes un Late Show américain, des interviews avec des médias de renom, un affichage à Time Square. Est-ce que le feu des projecteurs peut s’accompagner d’une pression quant à l’accueil de cet album ?

Sabrina : C’est surtout la nouveauté de la chose qui amène la pression. J’ai envie d’offrir quelque chose de bien, de faire du bon travail. Et je fais tout pour car ce que j’ai entrepris est très important pour moi. C’est ça qui me stresse le plus. D’autant plus avec la tournée qui arrive, je veux que tout soit parfait. Après, j’essaye souvent de relativiser et de me dire que ça reste de la musique. Je ne fais rien de fou, la vie de personne n’en dépend (rires). Quand j’entends et que je vois que les gens qui écoutent ma musique s’identifient et se connectent à ce que j’écris, c’est magique. Dans le fond, j’essaye juste de créer quelque chose grâce auquel certaines personnes peuvent se sentir entendues et comprises. Puis si d’autres personnes n’y accrochent pas, ce n’est pas la fin du monde. Je me dis qu’on n’est juste pas au même endroit.

LVP : À travers l’album, tu nous parles de ces incertitudes et questionnements que tu as traversés durant toute une période de ta vie, de ces relations qui finissent par être toxiques, de certains désirs ardents qui finissent par être destructeurs mais aussi de ton identité et d’à quoi ressemble la réalité quotidienne d’une jeune femme dans sa vingtaine aujourd’hui. Est-ce que tu dirais que faire de la musique t’aide à comprendre toutes ces émotions différentes ? 

Sabrina : Totalement ! Je pense que parfois je ne comprends certaines de mes émotions qu’après les avoir couchées sur papier. C’est quelque chose de très thérapeutique dans le fond. Plus j’écris, plus je comprends ce qu’il se passe dans ma tête. C’est plus facile pour moi de les écrire que de les dire à voix haute toute seule dans mon salon (rires). Personnellement, c’est en écrivant toutes ces choses que j’arrive à les appréhender et à les digérer. Puis quand tu expérimentes quelque chose de lourd, c’est toujours bien d’avoir une trace de ce par quoi tu es passé·e. C’est comme si j’utilisais ma propre expérience et les émotions que j’ai traversées au même moment, que je les mettais dans un petit paquet pour l’offrir à quelqu’un d’autre tout en l’ayant constamment sous la main.

LVP : On entend souvent ce terme de “revenge songs” quand on parle de ta musique. Mais plus que ça, cet album Blondshell ressemble un peu à un journal intime rempli de colère, d’envies et de désirs en tous genres. Un carnet de souvenirs d’une certaine période de ta vie, voire de nos vies. Une période durant laquelle on reçoit plus de questions que de réponses. 

Sabrina : Je pense que c’est une assez bonne manière d’illustrer l’album. Cet album je l’ai fait pour moi avant tout le reste. J’aime ce sentiment d’avoir moi aussi ce carnet rempli de souvenirs de jeunesse que je pourrais montrer à mes enfants par exemple. C’est quelque chose que je peux montrer à quelqu’un et lui dire que cet album est synonyme du moi de 25 ans. En même temps, cet album me sert aussi de piqure de rappel quant à toutes les choses à ne plus faire.

LVP : Est-ce que tu dirais que cet album est aussi rempli de mélancolie d’une manière ou d’une autre ?

Sabrina : J’ai toujours eu du mal à faire des happy songs parce que souvent quand je suis heureuse ou excitée, je ressens moins le besoin d’écrire ou de faire de la musique pour être honnête. J’ai toujours eu cette relation très thérapeutique avec la musique. Je veux vivre pleinement tous ces moments où tout va bien et j’essaye de ne pas les analyser. Il y a clairement de la mélancolie dans cet album, j’en étais remplie pendant cette période.

LVP : Je suppose que la relation que tu as avec ces souvenirs, donc ces morceaux, évolue avec le temps ?

Sabrina : Beaucoup de morceaux sur l’album correspondent à une époque pas très saine de ma vie. C’est sûr que quand je réécouterai les morceaux dans une paire d’année je me dirai : « quel moment chaotique et dramatique » (rires).  Ce qui est vrai au final. Ce n’est pas tous les jours facile mais plus le temps passe, moins je suis dramatique et chaotique donc bon, c’est super (rires).

LVP : Quelque chose qu’on adore avec cet album est la manière dont tu arrives à transformer cette anxiété, cette rage et ces incertitudes en quelque chose de lumineusement puissant. Tu abordes d’ailleurs ce sujet important qu’est la santé mentale et de comment notre génération y fait face. La parole semble se libérer par rapport à ça et de plus en plus d’artistes osent mettre des mots sur pas mal d’émotions.  Est-ce que c’est plus facile qu’il y a quelques années de parler de ce genre de sujet aussi ouvertement ? 

Sabrina : Ah mais clairement. Et ça se voit, de plus en plus de personnes écrivent sur le sujet. Tu peux trouver des conversations à propos de la santé mentale partout, que ce soit sur TikTok, sur Instagram, dans les séries, etc. Du coup ça en devient moins honteux pour beaucoup de personnes je pense. Parler d’abus, de violences faites aux femmes et d’identité aujourd’hui est plus accepté. C’est super que mes textes résonnent avec tant de personnes et aient un impact. Car c’est encore un peu trop nécessaire parfois. Puis vraiment je pense qu’on est chanceux de vivre à une époque où c’est devenu normal et encouragé d’aborder des sujets comme la santé mentale, l’anxiété, la dépression.

LVP : Est-ce que tu as eu peur à un moment pendant l’écriture de cet album justement, de te mettre autant à nu ?

Sabrina : Je vais pas te mentir, oui. J’ai parfois eu peur c’est sûr. Pas par rapport aux gens que je ne connais pas, je m’en fous, ils peuvent écouter ce qu’ils veulent. Mais surtout par rapport à ma famille, mes amis. C’est compliqué parce que j’ai tendance à contrôler les parties de moi que je veux montrer à certaines personnes par exemple. Quand tu sors un album avec autant de titres qui parlent des moments les plus personnels de ta jeunesse, ce n’est pas des plus confortable. En tant qu’artiste, ça a été la partie la plus dure.

LVP : L’album se termine sur Dangerous, un morceau dans lequel toute cette rage semble avoir disparu. Tu y parles de ce besoin de vacances émotionnel très humain qui arrive assez souvent après une période intense et forte en émotions. Le dernier titre d’un album est pour certain·es quelque chose de symbolique. Est-ce que c’est le cas pour toi avec ce morceau-là en particulier ? 

Sabrina : J’aurais tendance à dire oui. Le fait de sentir tout cet enragement et cette colère s’évaporer comme ça m’a fait avancer. Dangerous était mon moyen de m’en défaire je dirais. C’est peut-être aussi ma petite lueur d’espoir après ces moments un peu plus compliqués. Si j’ai ressenti le besoin d’écrire sur toutes ces choses, c’est qu’au fond j’en avais besoin pour les comprendre et évoluer. Finir avec ce morceau en particulier a directement fait sens.

LVP : Parce qu’on a nous-même eu du mal à le faire et parce qu’un mot serait trop peu, comment qualifierais-tu cet album en une phrase ? 

Sabrina : Comme la photo de ce que représente “être dans sa vingtaine”. Dans ma vingtaine en tous cas (rires), où j’essayais encore de comprendre qui j’étais.

LVP : Plus on écoute Blondshell, plus on est curieux d’en savoir plus sur tes influences musicales. 

Sabrina : Ça change en permanence ! Je déteste écouter quelque chose en boucle. Au moment d’écrire l’album, j’écoutais énormément du Smashing Pumpkins, Nirvana, Alex G, Mitski, Angel Olsen, tous ces groupes un peu indie. Puis personnellement j’utilise beaucoup d’accords très rock à la Rolling Stones. Et je pense que ça se ressent pas mal sur l’album.

LVP : 2023, c’est l’année de quoi pour Blondshell ? 

Sabrina : Des dates, plein de dates ! Je ne suis jamais venue à Bruxelles et j’ai hâte.  Et c’est le cas pour toute l’Europe pour être honnête. On va clairement faire de la route. Je suis très très excitée !