Alliance Club : Mission vers Sagittarius A*
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Auteur·ice : p.tx
22/04/2025

Alliance Club : Mission vers Sagittarius A*

| Photos : p.tx pour La Vague Parallèle

Alliance Club Night : New Forms of Silence – était censé être une soirée, une expérience sonore parmi d’autres à Bruxelles. On a pris nos places sur un coup de tête. Plus tard, nous avons appris que c’était la release party du nouvel album d’OTON. Le soir venu, on est entré·e, on a traversé la galerie vitrée du Botanique en observant les groupes épars se fondre avec les jardins dans la nuit qui tombait. Un instant, la lumière dorée rasait les façades. L’instant d’après… Un court-circuit dans le cerveau. On se souvient d’un éclat de lumière blanche et du froissement d’une onde sonore déformée. La sensation étrange d’un espace qui se plie, se comprime, se réarrange. Quelqu’un a ri – ou bien crié ? Les murs ont vacillé. La foule a tangué, un bref vertige collectif, puis…

Le sol n’avait plus tout à fait la même texture. L’air vibrait différemment. Notre corps n’avait plus le même poids. Il y avait du son mais c’était silencieux. Il faisait noir. L’horizon était parsemé de petits points blancs, certains brillant plus que d’autres. Mais c’était noir… et vide. On a ouvert les yeux – les avait-on fermés ? -, les instruments de l’Alliance Club mesurent une gravité en baisse. La vitesse, quant à elle, est en accélération constante. La Terre rétrécissait à mesure que nous nous en éloignions. Il nous restait plus ou moins 252 340 674 146 565 540 km, soit 26 673 années-lumière avant d’atteindre Sagittarius A*.

Alliance Club est le nom d’un vaisseau imaginé par un groupe d’ami·es — Baptiste, Raoul, Alex, bientôt rejoints par Charline. Né en pleine pandémie, le label Alliance s’est construit comme un collectif indépendant, avec l’envie farouche de contourner les contraintes du monde de la musique électronique : celles des contrats (intérêts des labels) et du temps (dates de sortie). L’idée fondatrice était simple et ambitieuse : créer un espace où cet amour pour une certaine forme de musique électronique pourrait non seulement être pris au sérieux, mais aussi partagé, valorisé et diffusé. Avec le temps, la structure s’est étoffée et les collaborations se sont multipliées (Fuse, le C12 ou encore le Listen Festival) et des artistes internationaux·les sont venu·es enrichir le catalogue. C’est ainsi qu’est née Alliance Club, l’extension nocturne du label : des soirées où cette vision singulière et indépendante de la musique électronique prend vie, s’écoute et se danse.

Sagittarius A* est le nom du trou noir supermassif (environs 4,3 millions de masses solaires) situé au centre de notre galaxie et photographié en mai 2022 par une mission internationale d’astronomes à l’aide de l’Event Horizon Telescope, un réseau mondial de radios/observatoires. Un trou noir est un objet d’une masse et d’une densité considérables qui attire à lui tout ce qui se trouve en périphérie et les piège à l’intérieur. En lui-même, un trou noir n’est pas visible puisque la lumière qui y pénètre est incapable d’en ressortir. Le rideau tombe, il n’y a littéralement plus rien à « voir ».

© p.tx

Sortie du système solaire

C’est le début. Le corps flotte, l’air est rare, mais le souffle est encore humain. Les ondes technos produites par Nefeli retentissent doucement, comme une pulsation lointaine. La salle est plongée dans une lueur bleu pâle. La planète, un point lumineux, s’éloigne lentement. C’est le vertige, on vient de quitter le berceau. Le silence commence à s’installer. Un silence neuf, étranger, plus profond que prévu. Dans les enceintes, le rythme se mêle à l’immensité du silence spatial. Le voyage commence. Un voyage vers le cœur d’un trou noir, là où tout se confond. Les sons de l’hyperespace se mélangent aux battements du cœur. Le détachement peut commencer. Depuis la Terre, des images nous parviennent déformées par la gravité. Elles se superposent bientôt à la soirée elle-même. Que sommes-nous en train d’expérimenter ?

Le voyage dans l’espace

La salle traverse des champs d’étoiles qui clignotent comme des pulsars. Les pensées deviennent lentes, spacieuses. C’est Jonnnah qui pilote. Les mots terrestres s’évaporent, on les sent s’éloigner en morceaux. Une sensation étrange se produit : est-ce le cœur ou le temps qui commence à ralentir ? L’espace autour de nous devient flou, une distorsion où le temps se courbe. Pour nous la soirée suivait son cours… Sur Terre, du temps a passé. Trump est mort d’un cancer du cerveau à la suite de la balle qu’il avait reçue dans l’oreille. Un petit fragment que les médecins n’avaient pas vu a migré vers l’hémisphère gauche de son cerveau, provoquant un arrêt cérébral. Pour nous, là-haut, les vagues technos-gravitationnelles sont devenues des battements cosmiques. Le flux visuel est opérationnel, une image nous parvient, c’est instantané !

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Approche du trou noir

Les instruments de bord indiquent une anomalie. Gravité fluctuante. Vitesse relative incohérente. NTHNG fait une manœuvre rythmique, Sagittarius A* est en vue. Nous sommes dorénavant sous son influence directe. Les étoiles deviennent des traînées lumineuses, étirées comme des fils de soie sur le fond d’un tableau noir. Nous comprenons que la nuit cosmique est totale, irrévocable. Le froid est plus que physique, il est mental. La techno est plus que physique, elle est mentale. Le temps se dilate, se tord. Les ondes sonores vibrent différemment maintenant, leur forme changent : fractale. Mélodie écrasée sous la gravitation. Ce n’est plus de la musique, c’est l’espace lui-même qui parle. Les fréquences sont étouffées, distordues. Le trou noir est de plus en plus proche, le vide se fait immense.

L’horizon des évènements

Nous sommes au seuil. Le moment où la salle franchit, ce que les astrophysicien·nes appellent, l’horizon des événements. La rentrée dans le trou noir est marquée par un silence total, une rupture dans le son, comme un arrêt brutal de la musique suivi d’une reprise par OTON. En face, nous comprenons que certaines images nous parviennent grâce à Onohno. Les échelles deviennent absurdes. Les couleurs changent et dansent. Des flashs éclatent. Le son est liminal. La salle, sous l’effet de la techno-gravitation, se glisse dans l’obscurité infinie. Les étoiles sont devenues des points indistincts. Le temps n’existe plus. Il n’y a plus rien. Juste un abîme infini. Le trou noir a englouti toute réalité. Au début, c’est presque paisible. L’attraction est irrésistible, mais nous n’avons pas l’impression de tomber. L’espace lui-même nous aspire, nous étire, nous plie à ses lois. Le signal visuel se perd. Les réalités superposées les unes aux autres apparaissent en même temps. Vertige. Les dernières images nous parviennent. Il semblait faire beau.

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Descente vers la singularité

Tout ce qui nous était familier devient une traînée de couleurs distordues, comme si quelqu’un avait tiré sur les fils du réel. C’est là que nous entrons dans l’inconnu le plus total. Il n’y a plus de carte, plus d’échelle. Les ondes technos-gravitationnelles de LEEMAADELAIDE convertissent le voyage. La matière rêve. La salle murmure. Les voix se multiplient. Nous ne sommes pas seul·e dans nos corps. Nous n’avons jamais été un·e seul·e. Ici, plus rien ne s’échappe. Pas même la lumière. Aucune frontière nette. Tout semble normal… sauf que l’univers extérieur s’efface. Les étoiles derrière nous sont comme figées, s’étiolant en un spectre rougeâtre avant de disparaître.

La Singularité

Plus de mots. Plus de forme. VCR accompagne l’effondrement de l’espace/temps comme un drap qu’on replie. Nos corps se tendent à l’infini, l’esprit devient un rayon. Nos corps sont lancés à travers l’abîme. Nous avons l’impression d’être suspendu·e dans une bulle où les lois de la physique s’effilochent. Une force invisible prend possession de nos cellules, les allonge, les distord. Nos membres ne nous appartiennent plus vraiment. Puis, la chute s’accélère. Ou du moins, c’est ce que nous croyons. Dans cet espace sans repère, où haut et bas n’ont plus de sens, il n’y a que cette attirance démente vers la singularité. Nous ne sommes plus qu’un filament de conscience étiré dans l’inconcevable. Peut-être sommes-nous déjà mort. Peut-être sommes-nous encore en train de tomber. Peut-être les deux à la fois. Et puis… plus rien.

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Prologue

Le silence se déchire lentement. Une fréquence surgit, lointaine, mais elle croît. Ce n’est pas le même son, c’est autre chose. Un monde parallèle, une réalité fracturée. Ou peut-être le même monde, mais vu autrement. Les ondes technos-gravitationnelles ont cessé. Tout d’un coup nous sommes de retour dans la galerie du Botanique. Vous vous demandez sûrement comment, d’une soirée techno nous en sommes arrivé·es à embarquer dans un voyage à travers la galaxie pour en atteindre le centre ? Nous n’avons pas la réponse, cependant nous avons une hypothèse.

Nous postulons que les ondes gravitationnelles émises par Sagittarius A* sont entrées (par un moyen encore inconnu) en résonnance avec les ondes technos émises par le crew d’Alliance Club. La rencontre de ces deux types d’ondes, nous l’appelons “techno-gravitationnelle”. Cocktail explosif entre le travail de NEFELI, de JONNNAH, de NTHNG, de OTON, de LEEMAADELAIDE et de VCR, elles ont ouvert une brèche dans l’espace/temps, transportant tout ce qui se trouvait dans le Botanique à travers les courants de l’espace. Les archives terrestres diront que la soirée a eu lieu le 29 mars 2025. D’autres diront qu’elle a eu lieu en 2035. D’autres, encore, diront qu’elle se poursuit en ce moment même, quelque part là-haut. Nous sommes revenu·es, bien sûr. Nos corps sont rentrés chez eux. Mais quelque chose d’autre est resté là-bas. En orbite, autour de l’inconnu.

© p.tx

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