De James Brandon Lewis à Horse Lords : un peu de sax dans votre post-punk ?
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Auteur·ice : Mathias Valverde
23/10/2022

De James Brandon Lewis à Horse Lords : un peu de sax dans votre post-punk ?

L’irruption de sons jazz dans le post-punk actuel nous a donné envie de proposer quelques pistes d’exploration musicale à travers des concerts et des disques du moment faisant la part belle aux saxophones et à l’énergie post-punk. On vous propose donc une liste de quelques concerts à Paris et en Belgique ce mois-ci, ainsi que quelques recommandations d’albums tous neufs.

Nous devons repasser deux à trois fois devant l’entrée du Café Erzulie sur Broadway (avenue qui sépare les quartiers de Bedford-Stuyvesant et Bushwick) à Brooklyn avant de remarquer sa petite porte en fer. La rue bout de cette énergie relâchée après une journée de chaleur moite typique de New York. Des groupes se sont formés sur les trottoirs et une voiture passe en inondant la rue d’un beat hip-hop.

Nous entrons dans le bar et commandons un cocktail à base de sorrel caribéen avant de s’installer dans le patio du club. Là, James Brandon Lewis et son trio montent sur scène pour une heure de jazz qu’on ne saurait plus rapprocher d’une tendance punk-rock. Cet artiste, qui se produira à Rijkevorsel (Belgique) le 28 octobre et à Paris en 2023, a collaboré avec The Messthetics (anciens de Fugazi) et vient de signer sur le label américain Anti-. Le trio qu’il propose avec Chris Hoffman et Max Jaffe repousse les frontières des genres musicaux.

 

Cette fusion entre rock et jazz n’est pas neuve. Depuis les années 1950 et l’invention à partir des bases blues, R’n’B et jazz de l’histoire du rock, les saxophones se sont immiscés entre les guitares. D’ailleurs, le groupe Morphine a fait carrière dans le rock progressif sans guitare mais avec un fabuleux saxophoniste, Dana Colley. Si cette histoire n’est plus à faire, il faut tout de même regarder attentivement ce qu’il se passe sur une scène musicale qui ne craint plus de mélanger les genres.

 

Le mois prochain, plusieurs concerts parisiens permettront de juger en live cette effusion de cuivres. Tout d’abord, le 27 octobre au Trabendo (le 31 octobre au Botanique à BX), le collectif canadien Crack Cloud viendra déployer l’étendue de ses labyrinthiques productions musicales et multimédias très souvent accompagnées de solos de saxophone. Le tout, dans une énergie débordante ressassant nos angoisses modernes et nos contradictions. Pour celleux qui ne pourront pas se rendre au Trabendo, un excellent quartet jazz punk se produit le même soir (27/10) au Supersonic, le Robocobra Quartet.

 

Le 14 novembre, dans le cadre du Pitchfork Paris, les Londoniens de Black Country, New Road viendront souffler dans vos bronches avec des solos inspirés du klezmer. Depuis le départ du chanteur Isaac Wood pour raisons de santé, chaque membre du groupe prend la lumière sur les morceaux avec voix. Si les solos sont moins percutants que dans leur premier album (la chanson Sunglasses en était un excellent exemple), il reste une intensité générale qui ne décevra pas les amateurs de saxophone dans des morceaux de post-punk. Nous avons pu les voir en septembre au Bowery Ballroom de New York, et les morceaux qui n’existent pas tous sur la toile sont encore de qualité, même si on ne retrouve pas la génialité des premiers albums.

 

Toujours dans le cadre du Pitchfork, le 16 novembre, Shabaka Hutchings viendra jouer avec son projet The Comet is Coming. Ce jeune saxophoniste anglais enflamme les scènes du monde entier avec son instrument. Son dernier projet, Sons of Kemet, est en pause mais The Comet is Coming propose une bonne alternative pour découvrir ce talent. Le mélange ici avec des sons électroniques ajoute une nouvelle dimension aux litanies des cuivres. Quelque chose de plus extatique que le son brut et redondant (mais quelle puissance !) de Sons of Kemet.

 

Enfin, le 17 novembre, celleux préférant des rythmes rapides inspirés du math-rock se rendront à la Gare EX dans le 19e arrondissement pour voir Horse Lords. Son saxophoniste, Andrew Bernstein, maîtrise à la perfection la technique du souffle continu. Pour les avoir déjà vus en concert, n’hésitez pas à découvrir ce groupe instrumental assez dingue !

 

Pour revenir à la scène jazz new yorkaise qui défie de plus en plus les traditions free-jazz pour se rapprocher des musiques rock, il faudra aller voir du côté de Zoh Amba. Cette saxophoniste a sorti deux albums coup sur coup. L’un, Bhakti, avec le compositeur et percussionniste Tyshawn Sorrey, l’autre, O Sun, avec et sur le label de John Zorn (Tzadik). Ce dernier, a entamé dans les années 1980 la première tentative d’une fusion jazz-métal. On attend de pied ferme à Paris la venue espérée de son New Masada Quartet, et peut-être de sa nouvelle protégée Zoh Amba.

 

James Brandon Lewis, dont on parlait plus tôt, manie les styles musicaux et ses interrogations d’homme noir aux Etats-Unis pour rappeler qu’aux racines de ses musiques, les enjeux sociaux abondent. En rendant hommage à George Washington Carver sur son album Jesup Wagon, il souligne que jazz, punk, hip-hop proviennent tous de moments de remise en question d’une société morcelée. L’impatience, la stridence et la cadence de ses solos de saxophone aujourd’hui viennent catalyser ces réactions politiques dont on aimerait que la fusion jazz et post-punk porte les étendards. Punk-jazz is not dead et les sons des cuivres dans les musiques actuelles sonnent comme les alarmes d’un monde aux abois.