Il y a ces photos qui n’ont pas besoin de légendes pour être comprises. Des clichés si fort qu’ils racontent milles histoires à la seconde. C’est un peu ce que fait Blondshell sur If You Asked For a Picture, son deuxième album authentique, nuancé, multiple. Blondshell capture des moments de vies. Elle y parle de contrôle, de relations, de corps, de doutes…Sans retouche, sans filtre, sans recadrage.
Après le succès critique de son premier album Blondshell, l’autrice-compositrice et interpête new-yorkaise revient en force et nuance dans un album moins rock, équilibré et aux sonorités plus optimistes. Elle diminue les contrastes, augmente la saturation. Si la cover de son premier album est en noir et blanc, la vision de l’artiste était aussi relativement manichéenne. Plus de “méchant·e” ou de “gagnant·e”. Depuis, les opposés se rejoignent, les frontières se brouillent pour Sabrina Teitelbaum alias Blondshell. Le titre du disque, If I Asked For A Picture, est tiré du poème “Dogfish” de Mary Oliver, qui prend du recul sur sa vie et questionne les représentations qu’on se fait, les histoires qu’on se raconte :
You don’t want to hear the story
of my life, and anyway
I don’t want to tell it, I want to listento the enormous waterfalls of the sun.
And anyway it’s the same old story–
a few people just trying,
one way or another,
to survive.
Ô joie.
Malgré ce recul qu’elle prend sur sa vie, Blondshell reste fidèle aux thématiques de son premier album. C’est donc toujours assez triste. Elle entame d’ailleurs ce deuxième album dans la lignée du précédent avec Thumbtack, qui fait penser à son hit Olympus et qui dresse le portrait d’une relation toxique. Relation entre elle et quelqu’un qui a une relation privilégiée avec la boisson. Sa voix se fait cri, exutoire des frustrations pour dire ce qu’elle a trop longtemps tu : when you get drunk, you get nice.
Sentiments ambivalents et guitares inspirées des années 90 s’entremêlent sur Arms. Sabrina Teitelbaum y raconte son complexe de la sauveuse, même si elle est résolue sur le cas de son partenaire : “you’re not gonna save him” se répète-elle sur le refrain, comme une affirmation, une tentative de se convaincre. Elle prend une position assez maternelle, décrivant un homme immature, décevant, “pas assez fort”. Une description de la gente masculine semblable à celle faite sur T&A où elle parle homme qui se transforme en garçon sous l’effet de la peur.
I don’t wanna be your mom
But you’re not strong enough
The world isn’t shaking like you are
Sur Two Times, Blondshell se demande si elle est capable d’être dans un couple sain. Elle se demande : “A quel point est-ce que ça doit faire mal pour que ça compte?”. Et tente de casser le pattern des abus relationnels qu’elle subit, thématique centrale dans son écriture. Blondshell casse ses patterns aussi au-delà de l’écriture : If You Asked For A Picture est musicalement recherché. Que ce soit dans la mélodie de certains refrains (Two Times) ou des ponts inoubliables (T&A), la production est maitrisée et surprend. La voix se noie dans les guitares saturées, brouillant les frontières entre les instruments. Sur Man, c’est la batterie qui transporte, autant que le storytelling. On découvre au fil de la chanson une relation entre Teitelbaum et un homme plus âgé, dont elle avoue lui avoir trop demandé (surtout qu’il lui paye de la cocaïne et des vêtements, apparemment).
What’s fair, c’est un majeur en l’air adressé à sa mère, décédée en 2018, qui n’aurait probablement pas été ravie d’apprendre ce que sa rebelle de fille faisait dans les toilettes à 16 ans. On pense à Alanis Morissette dans You Oughta Know son chant est teinté de rancoeur et de rage. On perçoit un peu de la misogynie maternelle qui a marqué son rapport à son corps « You always had a reason to comment on my body ». Elle en révèle un peu sur Event of a fire. Elle y parle de ses troubles alimentaire, avec une sorte de nostalgie traumatique de ses 16 ans, de schémas ancrés dans ses relations… Sa vulnérabilité est poignante.
Un autre sujet qui anime beaucoup l’écriture de Blondshell, souffrant de TOC, c’est le contrôle. Sur T&A (une abréviation pour tits and ass, piquée de Little T&A des Rolling Stones) elle le relie au sexe. Elle partage son envie de plaire, de se donner même s’il y a une notion de céder, de donner le contrôle à l’autre. Le son est abrasif, le riff de guitare épouse l’essence autodestructrice de la relation. Les relations sexuelles sont aussi dépeintes comme une envie presqu’animale, indéniable et naturelle (He Wants Me) ou comme un symptôme de crise dans le couple, dans Toy.
His is dropping low onto feet
What picks it up isn’t desire
It’s a lack of Sertraline
Blondshell, c’est aussi celle qu’on écoute quand on a une heure de train et plein de choses à digérer en regardant les paysages défiler par la fenêtre du wagon. Sur Change, elle nous chante depuis le bar, seule et un verre de trop dans le pif. Pleine de chagrin, de rancœur et de jalousie, elle chante en s’ouvrant comme si personne n’écoutait, c’est d’une authenticité qui donne des frissons. Notre cœur se brise un peu plus à chaque écoute.
L’album se finit sur Model Rockets, un témoignage ultra transparent et brut, sans artifice. Sabrina Teitelbaum répète ‘I’m a bad girl I don’t know what I want anymore”. Une phrase à laquelle tous·tes les jeunes adultes au milieu de leur vingtaine et d’un crise existentielle pourront s’identifier. Elle parle de ses amitiés et amours perdues, de biphobie, de critiques, de drogue, de la culpabilité qu’elle ressent à se plaindre malgré son succès. On entend par contre, au loin, derrière, un peu d’espoir, comme si elle savait qu’elle allait trouver réponse à ses questions. On finit en larme, mais on ne sait pas si elles sont de tristesse ou d’espoir. C’est un peu ce sentiment indescriptible qui nous traverse tout le long de If You Asked For A Picture. On ne sait pas mettre le doigt sur ces émotions, les définir, mais on se laisse les ressentir. Un peu comme Blondshell qui se laisse être, multiple, complexe et sans artifice.
du genre à twerker sur du Phoebe Bridgers