L’équipe de production du Botanique nous raconte son quotidien durant Les Nuits !
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Auteur·ice : Caroline Bertolini
16/05/2025

L’équipe de production du Botanique nous raconte son quotidien durant Les Nuits !

| Photos : Melissa Fauve

Les Nuits Botanique approchent à grands pas, et pour La Vague Parallèle, c’est aussi l’occasion de mettre en avant certains métiers dans le secteur musical. Si vous foulez le plancher du Botanique 10 jours durant, c’est parce que des personnes travaillent, souvent dans l’ombre, pour faire de cet événement une réussite. Cette année, nous avions envie de vous expliquer le métier de la “prod”, ou production de concerts, à travers une interview de Marine Debroise et Julia Cano.

On pourrait commencer par un teaser façon bande-annonce des années 2000, pour vous donner un aperçu : “Depuis les sous-sols du Botanique, elles se cafféinent dans le bureau de prod pour assurer, tant aux artistes qu’au public, une expérience de concert optimale”. On vous rassure, elles voient la lumière de temps en temps. Pourtant, on trouve que leur métier, ô combien important, est souvent trop invisibilisé. C’est pourquoi on leur a proposé de nous expliquer leur métier, leur quotidien durant les Nuits Botanique, puis quelques anecdotes de galères et joyeusetés de la prod.

La Vague Parallèle : J’ai l’impression que tout le monde ne sait pas exactement ce que c’est la “production” dans le jargon musical, car c’est très invisible comme rôle alors que c’est super important. Du coup, je me disais qu’on pourrait commencer par une mise en contexte : où est-ce que ça commence, où est-ce que ça finit et au Botanique en particulier ? 

Julia Cano : Tout à fait. J’en ai reparlé hier après la conférence Techniciennes avec une pote qui fait aussi de la prod et TM (ndlr. Tour Manager) et on se disait que honnêtement, le problème aussi dans ce métier, c’est qu’il n’y a pas de définition claire. Déjà, en fonction des types de productions scéniques : musiques actuelles, spectacles vivants, de danse, etc., c’est différent. Même en fonction des pays, des salles, des institutions, de tous les lieux. C’est pareil, être “producteur” de musique, ça a une autre signification alors que c’est le même terme. Enfin, il y a beaucoup de flou. Il y a une marge énorme entre ce que ça peut être et ce que ça peut ne pas être.

En fait, tu as des endroits où, comme chez nous par exemple, le côté contrat-facture-logistique passe par la production et le côté technique passe par la régie (la régie artistique). Mais tu as des gens qui font tout en même temps. Moi, la première expérience que j’ai eue en prod, c’était à Rewire et là, la “directrice de prod” était seule avec une assistante et elle faisait la régie technique, la partie artistique et la partie contrat. Elle faisait tout, toute seule.

Marine Debroise : Donc nous, la prod au Bota, c’est toute la partie admin qui englobe la partie contractuelle ainsi que toute la partie logistique de commandes, etc., liées à la production et le terrain. En fait c’est hyper tentaculaire.

Julia Cano : Sauf que heureusement, parce qu’on est quand même une grosse structure, on a la technique séparée de la prod, mais ça ne veut pas dire qu’on ne travaille pas ensemble. C’est juste que ce sont deux pôles différents. On se complète, parce que la prod n’existe pas sans la technique et inversement. Et en fait, en prod, on a aussi des compétences techniques, enfin minimes (rires).

Marine Debroise : Il y a vraiment un triangle : programmation – production – technique.

Marine Debroise : On va prendre des décisions en permanence, mais par moment, il y a des décisions qui ont plus un impact financier. Donc on doit quand même solliciter la programmation parce que c’est eux qui ont pensé le deal au départ et la technique aussi. Donc voilà, c’est beaucoup de discussions à trois, un layer décisionnel en fait.

Julia Cano : Après, c’est vrai que nous, on peut parler de prod générale aussi. Quand nous parlons de prod, c’est de la prod artistique parce que prod générale, c’est un peu comme le côté d’un festival qui va commander les toilettes sèches et qui va commander les barrières nadar.

Marine Debroise : Tout ce qui touche à l’artiste en fait, ça nous intéresse.

LVP : Et pour bien comprendre, parce que je pense que c’est assez flou pour plein de gens, c’est quoi le rapport entre prod et technique ? À quel moment interagissez-vous avec la technique et à quel moment ce genre d’échanges commence ?

Marine Debroise : Ça doit normalement commencer super tôt, dès la négociation. C’est toujours intéressant d’avoir quand même une validation technique. Donc la technique est sollicitée dès le départ et au moment de la préparation de la date, premier mail, premier échange directement, on est en contact. On fait le même travail, c’est juste qu’on n’a pas exactement le même focus.

LVP : Et donc il n’y a pas un moment où vous vous passez le relais ?

Marine : On a décidé de se garder tout le temps en cc. En fait, c’est beaucoup d’informations en permanence, on a une lecture à 360 et je pense que c’est obligatoire ici avec le rythme qu’on a.

Julia : Donc quand tu as une petite structure, il y a moins d’activité et en fait tu pourrais être programmateur·ice et après faire tout découler et t’occuper de l’orga du concert jusqu’au bout. S’il y en a un par semaine, c’est possible. Donc il n’y a pas de formule qui fonctionne à 100% tout le temps.

LVP : Et du coup, comment est ce que vous vous sentez à l’approche des Nuits Bota ? Parce que, moi quand je vois la prod, je me dis qu’à l’approche d’un festival aussi grand, ça doit être panique à bord.

Marine : En vrai, on a des petits moments de panique, mais ça va. Franchement, il y a des challenges parce que la formule des Nuits c’est du all access pendant dix jours. On a fait cette formule une fois au Weekender en novembre, ça a bien marché.

Julia : Au niveau de la prod, c’était trop fluide et trop cool en novembre parce que c’était des petits groupes. Puis petit tour party, pas de scéno… Enfin, c’était assez simple. Et là, c’est vrai qu’on a un peu le festival normal avec un petit challenge en plus de se dire ok, maintenant c’est du all access et il faut que les timings soient au taquet, il faut que tout roule. Par exemple, si tu as un retard d’avion ou de train, ou que tu as un petit truc qui coince, c’est un grain de sable qui vient dans l’engrenage et qui peut créer vraiment des situations de panique.

Marine : En fait, ça nécessite une fluidité tip top. Les horaires doivent être tenus, il ne faut pas qu’il y ait un ampli qui pète, mais chaque jour a sa petite subtilité de stress.

Julia : En fait, cette année, c’est un peu challengeant. Un autre truc challengeant, c’est qu’il y a une scène ouverte, mais c’est super excitant aussi parce on n’a jamais été aussi loin dans le concept du festival.

LVP : Mais si vous deviez expliquer à des néophytes, pour vous, c’est quoi la différence au niveau de la prod entre : faire une date où c’est un all access et une date où c’est un access habituel ? Qu’est-ce que ça change dans votre quotidien de production ?

Marine : C’est le rythme en fait. Les horaires changent parce qu’on change de regard sur l’horaire de la journée.

Julia : Comment dire… La vision d’un concert normal, c’est que l’artiste doit avoir du temps pour répéter. Iel arrive tranquille, iel fait son soundcheck, iel a tout ce qu’iel veut là. Un all access, ça veut dire tous les line-check sont à la suite, bam bam bam bam, on avance.

Marine : Et c’est aussi l’économie. Avant, en tout cas, avant le all access, c’était un festival, mais avec une économie presque comme celle d’un concert normal. Donc en gros, tu achètes ton ticket pour voir tel concert. Donc, toi public, tu viens voir l’Orangerie, mais tu ne peux pas voir le Chapiteau, tout en profitant de l’ambiance festival quand même.

LVP : Et en termes d’accueil artistes, comment ça va fonctionner ?

Marine: Ouais, on a un bon système. En fait, on a une bonne équipe qui connaît méga bien le Bota, qui travaille à l’année aussi, du coup ça va être ouf.

LVP : Donc qui est externe ?

Marine: Des ancien·nes stagiaires, des ancien·nes bénévoles et qui maintenant sont engagé·es ponctuellement sur des missions d’accueil. Iels travaillent trop bien ! Franchement, on a une bonne équipe et puis on se fait aider avec des bénévoles aussi. En saison, on a quand même très souvent les quatre salles qui tournent. Donc finalement, on est quand même assez habitué·es à avoir du monde ici.

Julia : Dans chaque salle, imaginons, tu as un·e stage manager qui fait un travail d’organiser l’aspect scène et technique de la salle et le déroulement de la journée. Nous on a un·e responsable salle et une équipe de bénévoles. En fait, avec cette personne qui est là vraiment juste pour les trucs hyper basiques de l’accueil artiste, on va faire les loges, montrer où sont les toilettes, aller amener des bouteilles d’eau, amener des essuies, enfin des trucs hyper simples comme ça. Mais surtout, beaucoup de festivals fonctionnent sur un modèle où la·e bénévole est souvent le pilier de l’artiste. C’est un des taff qui est le moins rémunéré, enfin qui est le plus souvent non-rémunéré plutôt. Tu vois, t’es là, mais tu te fais plaisir à faire ça parce que tu rencontres les artistes, c’est trop bien. Ça a un côté méga attractif l’accueil artiste en soi. Sauf qu’en fait, les conditions réelles sont très dures. C’est des journées de dix heures parfois.

Marine: C’est la première expérience et après, ça peut ouvrir des portes aussi, peut-être que tu vas venir faire des missions à l’année.

LVP : C’est presque un peu du mentorat en fait ? 

Julia: C’est ça. La mission de bénévolat, d’accueil artiste, elle est formatrice, un peu comme tu ferais une formation, sauf qu’en fait ça n’existe pas les formations d’accueil artiste.

Marine : Iels sont les spécialistes du terrain, finalement. L’avantage, c’est que pendant les Nuits, on est sur le terrain aussi tous les jours. Ce qui fait qu’on observe comment ça se passe. Et si tu as un·e bénévole qui réagit hyper bien, qui travaille super bien, on saura tout de suite si iel a un profil pour revenir. Les soirs de concert, c’est le poste le plus important. Cette personne représente tout le travail qu’on a fait en amont. C’est hyper agréable quand le lendemain on a un message du groupe qui dit : “trop bel accueil”.

Julia : C’est vrai qu’on a souvent des messages positifs. Ce qui joue aussi beaucoup, ce n’est pas seulement la bonne organisation, mais aussi le côté humain, d’avoir un peu le visage du Botanique le jour même. Imagine tu arrives, tu étais en tournée et il ne fait pas beau. Il pleut, t’es trop mal, t’es fatigué·e. Il y avait un mec qui puait des pieds dans le tourbus, etc. Quand tu as la personne qui est là pour l’accueil artiste, qui est sympa, qui est serviable, qui te donne les infos, qui est là, présente, qui n’est pas en train de boire des bières… C’est forcément beaucoup mieux. En fait, ça change tout d’avoir ce suivi et de sentir que la personne est pro.

C’est cool aussi parce que, nous, on a appris un peu à la dure, en nous retrouvant dans des situations où on est là : “Ok, j’ai pas le choix que de gérer en fait”. Le côté prod, c’est aussi trouver des solutions à des problèmes, parfois des problèmes qui ne sont pas vraiment des problèmes, des problèmes qui ne sont pas de ta faute. Parfois tu ne peux rien faire. Il y a vraiment un truc hyper psychologique, émotionnel. Parfois tu dois être là à 100% et tu dois gérer l’humeur des gens. Il peut y avoir 1 million de problèmes. Ça peut passer dans des vols, dans une voiture, quelqu’un a une intox alimentaire, une fuite dans la loge, etc.

LVP : Mais comment ton cerveau, il gère ce genre de choses ?

Julia : En fait, c’est un exercice, ça s’apprend. Je pense que tu as aussi des personnalités différentes. Il y a des gens qui vont plus aimer ce côté adrénaline. Tu apprends à dire que chaque problème a une solution. Plus tu le fais, plus tu deviens expérimenté·e. Genre là je sais qu’il se passe ça, je peux anticiper ça. Ok, vas-y : solution. Ok, il n’y a pas de loge disponible : on va trouver un local. L’idée, c’est pas de se dire merde, il y a un problème. L’intérêt c’est de dire : solution un c’est quoi ? solution deux, solution trois ?

Marine : La prod en fait, c’est de la gestion de problèmes.

Julia : Et tu dois gérer beaucoup d’émotions. Il y a beaucoup de stress. On est les mieux placé·es parce qu’on est au Botanique, dans notre lieu de travail, on est chez nous. On a mangé un petit-déj’ le matin, on a dormi dans notre lit, on est avec nos collègues, on est plutôt bien mis·es. C’est plutôt les artistes parfois qui se retrouvent dans des situations où iels sont à l’étranger, iels ne parlent pas la langue, parfois iels prennent le train, se font voler des trucs, se lèvent à 6h du mat et se font péter leur van…

LVP : C’est une relation humaine au final.

Julia : Parfois c’est l’humain aussi. Tu as aussi des pros ou même des gens qui se comportent très mal et qui sont amateur·ices à 100%. Moi, j’ai déjà eu des expériences comme ça, où clairement t’as l’impression qu’iels sont là en touriste complet. Iels passent leurs soirées à boire, sont désorganisé·es, etc.. Quand l’alcool rentre en jeu, les comportements sont aussi différents.

Marine : Et c’est vrai qu’il y a déjà eu aussi des gens qui manquaient vraiment de respect à notre équipe, dans l’autre sens.

LVP : Vous en avez déjà cité quelques-unes, mais c’est quoi votre meilleur anecdote et votre pire anecdote ?

Julia : Avec Anna von Hausswoff. C’est peut-être ça la meilleure. C’était une belle expérience.

Marine : C’était à la fois une des plus stressantes et des plus gratifiantes. Il y a plein de trucs qui font que c’était unique. Deux concerts consécutifs et sold out, donc c’est deux fois 300 personnes avec masque et tout (conditions COVID à l’époque). Et à l’extérieur, il y avait toute cette petite tribune de gens qui empêchait en fait le public de rentrer et qui chantait.

Julia : Ils s’étaient postés là comme une petite chorale.

LVP : Il n’y a pas de gens qui avaient acheté un ticket pour s’infiltrer dans le concert ?

Marine : Non, non, on avait peur de ça et c’est pour ça qu’il y avait la police dans la salle. En fait c’était bizarre parce que on est dans une église, concert d’orgue, tu as de la police, agents de la sécu et c’est COVID.

Julia : Tout le monde est méga tendu en fait.

Marine : L’artiste, pour aller dans sa loge, devait traverser toute l’église pour monter jusqu’à l’orgue. Le public est assis, normalement il n’y a pas de danger, mais elle a été escortée.

Julia : Ce qu’on a vécu ensemble, en fait, c’est un truc que personne d’autre n’a vécu. Le fait que ça finisse bien aussi et qu’il ne se passe rien, c’est méga cool parce qu’on aurait pu avoir des soucis. Et c’était quasi deux jours complets où t’es plongé·e dans cette ambiance, parce que la veille t’es déjà dans toute la prépa. En fait, c’était mentalement et physiquement…

Marine : …méga intense, ça passe très vite. Après 1h t’étais là : bon bah ok, on range tout, puis t’as un peu la gueule de bois émotionnelle. Mais c’était tellement gratifiant, c’est sûrement la date la plus gratifiante.

Julia : Oui puis, avec l’expérience, tu apprends à relativiser.

Les Nuits Botanique, c’est du 15 au 25 mai, n’hésitez pas à faire honneur au travail de toute l’équipe ! 


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