Il y a presque un mois, les garçons de Feu! Chatterton soufflaient un vent d’espoir avec Palais d’argile, un troisième album en forme de fresque numérique vers un monde nouveau. Entre inspirations poétiques, confrontation au réel et plaisir simple de se retrouver, Antoine, Arthur, Clément, Raphaël et Sébastien nous ont ouvert en grand les portes de ce monument hors du commun pour nous en révéler les coulisses.
La Vague Parallèle : Hello les gars ! Comment allez-vous ?
Sébastien : Très bien ! On a de la chance, la sortie de l’album se passe bien, on est hyper content !
LVP : On vous retrouve quelques jours après la sortie de votre troisième album, Palais d’argile. Est-ce qu’il y a déjà des rituels, des mécaniques qu’on entretient au bout du troisième disque ou est-ce qu’au contraire c’est le moment qu’on choisit pour tenter de briser la routine qui s’installe ?
Arthur : Il y a les deux, en fait. Avec le temps, on prend effectivement un certain nombre d’habitudes, qui sont de belles habitudes. Dans notre manière de faire de la musique ensemble, c’est le fait de nous connaître aussi bien qui nous permet d’entrer en profondeur dans le dialogue musical, d’être aussi attentifs et réactifs. Bien sûr, il y a aussi le risque de tomber dans des réflexes qu’on reproduit, dans une certaine routine. En fait, c’est exactement comme dans un couple : il y a de belles choses dans le quotidien, mais il y a aussi des choses auxquelles il faut faire attention. Souvent, en plus, tout le monde tombe dans les mêmes travers.
Je crois que notre volonté de travailler avec Arnaud Rebotini vient d’abord de là. Dans notre processus de création, dans ce moment de gestation des nouveaux morceaux, on avait besoin de séduire quelqu’un de nouveau, quelqu’un qui ne nous connaissait pas. On ne voulait pas arriver en studio avec une routine. Arriver en terrain inconnu, c’est une stimulation dont on avait envie et besoin.
Sébastien : Avant, on travaillait avec Samy Osta. C’est avec lui qu’on avait fait nos deux premiers albums et tous nos EP, c’était devenu comme un frère. Quand tu travailles avec quelqu’un d’aussi proche, tu te mets moins en danger, tu te dis que tu vas toujours trouver une solution pour améliorer les choses. C’est vrai que se confronter à quelqu’un de neuf a permis de casser un peu cette routine.
Au-delà de ça, pour répondre à ta question, je pense que le troisième album correspond à une nouvelle phase du groupe. À la fin de la deuxième tournée, on sentait qu’il y avait une forme d’unité dans tout ce qu’on avait fait depuis le début. Le nouveau n’est pas si différent, ça reste du Feu! Chatterton, mais on s’est un peu amélioré sur certaines choses, on va plus au fond des choses dans l’écriture musicale, dans les textes, dans la production. C’est peut-être aussi parce que dès le départ, on partait sur un terrain plus neuf. Sur le deuxième album, on se sentait assez fragile parce qu’on se devait de répondre au succès du premier. Sur le troisième, j’ai eu le sentiment qu’on faisait vraiment de la musique pour faire de la musique. On n’essayait pas de voir beaucoup plus loin que le plaisir de briser la routine du quotidien, d’avoir ces moments magiques entre nous où tout à coup tu te rends compte qu’il se passe quelque chose de beau, que tu as envie d’enregistrer et de porter ensuite sur scène. Retrouver cette sensibilité-là, ça a été tout le travail de composition de l’album et je trouve que ça se ressent dans le disque.
Raphaël : Tout ça débouche sur une forme de confiance retrouvée qui nous a permis d’épurer notre musique. Quand on est encore un jeune groupe, on a peut-être envie de charger le propos parce qu’on a ce manque de confiance qui nous conduit à en faire trop individuellement et collectivement. Là, je pense qu’effectivement, on a trouvé notre place et on s’est satisfait de ces moments dont parle Séb. Ça nous a également permis de livrer quelque chose de plus clair.
LVP : Effectivement, ça se ressent vraiment dans l’album. Ce qui m’a surpris agréablement, c’est que j’ai trouvé que ce disque apportait tout un nouveau lexique, à la fois musical et poétique. Comment est-ce que vous vous êtes construit puis approprié ce nouveau lexique ?
Ar : Tout ça est assez naturel, en fait. Comme tout le monde, on se nourrit de nos expériences, du monde dans lequel on vit. Les albums précédents étaient peut-être plus nourris d’histoires d’amour, d’un certain rapport à soi, avec une dimension introspective. Là, on était dans un moment où on se pose tous des questions sur le monde dans lequel on vit, sur le sens du modèle économique et social au sein duquel on a grandi, sur les valeurs qu’on nous a transmises… La pandémie n’a fait que le confirmer et à l’âge qu’on a, ça nous intéresse peut-être davantage.
On se pose des questions à la fois plus humbles et plus grandes : d’où on vient, où on va… On ressent aussi de manière plus intime la fragilité de la vie. À 20 ans, tu es immortel, en fait. Tu le penses sincèrement. Quand tu avances dans la vie, tu te poses plus de questions. L’album est traversé par toutes ces questions. Ce nouveau lexique s’explique aussi par le fait que de nouveaux objets sont rentrés dans nos maisons. Ça faisait un moment qu’ils étaient-là, mais il nous fallait le temps de nous approprier ces nouveaux objets.
S : Au-delà de ça, j’ai le sentiment que c’est notre premier vrai album, dans le sens où on l’a écrit et arrangé sur une durée courte. On a composé tous les morceaux du disque en trois mois, de décembre 2019 à la fin du mois de février 2020. C’est cette densité de travail qui nous avait manqué sur les premiers disques. L’écriture du premier album, en fin de compte, elle a duré 10 ans. Mais celui-ci, comme on l’écrivait à l’origine pour un spectacle prévu au Théâtre des Bouffes du Nord, on a eu la chance d’avoir ce stress, cette échéance qui nous a poussés à travailler. On s’est retrouvé tous les cinq en vase clos dans une maison à côté de Rambouillet et c’est ce qui crée une unité de lexique, mais aussi d’harmonies, de mélodies. On ne s’en rend pas forcément compte au premier abord, mais beaucoup de morceaux ont des harmonies et des mélodies très proches. Il y a une forme d’unité musicale et lexicale qui vient de cette friction qui s’est produite sur une durée très courte.
Clément : Après, l’unité du son vient aussi beaucoup d’Arnaud. Sa grande force, c’est de cerner très vite le son que tu as en tête pour l’affiner et le produire de la meilleure manière possible. C’est cette précision qui donne cette cohérence et cette unité dont tu parles.
LVP : Comme vous venez de le dire, Palais d’argile est un album qui porte en lui ce paradoxe d’avoir d’abord été pensé pour la scène puis enregistré, matérialisé à une époque où on nous en a privé. Qu’est-ce que ça a changé dans votre manière de travailler, d’appréhender la création musicale ?
Ar : On pourrait presque en faire une allégorie. Cet album, c’est comme un enfant mort-né qu’on parviendrait tout de même à faire vivre autrement, qui naîtrait d’une manière mystique. Il porte en lui la vie des gens qui n’ont pas eu l’occasion de vivre. On peut imaginer que les âmes perdues vivent quelque part et que cet album est habité de l’âme perdue d’un spectacle qui n’aurait pas eu lieu. C’est pas trop morbide, ça va ?
S : Si, si, quand même ! (rires)
R : En fait, on venait de finir une tournée donc on était vraiment imprégné de cet esprit-là. Il y a une chose qu’on s’est assez vite dit, c’est qu’on voulait pouvoir jouer ces morceaux à cinq avec une forme de structure essentielle qui tienne quoi qu’il arrive. C’est une chose qui était compliquée avec le deuxième qui était plutôt un album de studio. En studio, évidemment, tout est possible : on peut faire une batterie, deux percussions, trois parties de guitare et à la fin, quand il faut le jouer à cinq, c’est un enfer. Là, on avait la volonté de pouvoir restituer toute la puissance de ces morceaux en les jouant à cinq sur scène.
C : D’ailleurs, on avait cette idée avant même de composer le premier morceau de l’album. On savait qu’on voulait arriver à ce processus de création. Le spectacle qu’on devait faire aux Bouffes du Nord était un peu une aubaine en ce sens parce qu’il nous a tout de suite mis dans cette dynamique. On voulait même pousser plus loin le processus et faire une tournée des bars pour jouer ces morceaux. Finalement, on a été programmés à Bruxelles dans un petit club pendant une semaine à la place.
Ar : Voilà, on pourrait dire que l’album est habité par les âmes perdues des concerts qui n’ont pas eu lieu dans les bars !
S : Pour restituer ça sur le disque, il y a pas mal de morceaux qu’on a volontairement enregistrés de manière live. C’est une manière de faire qui n’est plus si courante, d’ailleurs. C’est comme un mini-concert : tu fais quelques prises et tu gardes celle que tu préfères. Pour le morceau Libre, par exemple, on a fait trois prises et on a gardé la deuxième. J’ai l’impression que quand tu écoutes le disque, tu ressens cette folie, ce plaisir qu’ont cinq personnes à jouer ces morceaux.
Ar : Ce plaisir est aussi venu du fait qu’il y a eu ce confinement pendant lequel on ne s’est pas vu et que quand on s’est retrouvé, on avait un réel plaisir à être ensemble. Ça fait dix ans qu’on se voit tout le temps et en temps normal, quand on ne se voit pas pendant 10 jours, c’est déjà exceptionnel. Quand on s’est retrouvé, il y avait vraiment ce plaisir de pouvoir jouer ensemble. On s’est retrouvé dans une maison dans laquelle on faisait un boucan d’enfer, c’était génial. Ça nous avait manqué à fond, c’est pour ça que ça se retrouve de manière naturelle sur le disque.
LVP : Pour faire de la poésie, on a parfois tendance à s’éloigner du réel, à choisir les mots pour leurs sonorités autant que pour leur sens. Comment est-ce qu’on parvient à écrire de la poésie avec des mots aussi triviaux, aussi terre-à-terre que “Bluetooth”, “cookies”, “navigateur” ?
Ar : Oh, “cookie”, c’est sympa non ?
R : “Bikini” aussi !
Antoine : “Cryptochat” !
Ar : “Instagram”, en revanche, je n’ai pas réussi à le dire d’une manière qui soit… Je n’arrive pas à m’en emparer poétiquement. Ce n’est pas une question de beauté, c’est une vraie envie de s’emparer de ces nouveaux mots. La poésie qui s’éloigne du réel, c’est la poésie ratée, en fin de compte. Quand tu lis un texte, si tu te dis que l’auteur a choisi un mot parce qu’il est précieux ou joli, c’est que c’est raté. Quand tu lis Zone d’Apollinaire, tu te rends compte qu’il s’empare des mots très concrets de son époque, c’est pareil pour Boris Vian. Aujourd’hui, ces mots sont entrés dans le langage poétique. “Télévision”, tu peux le dire facilement. À chaque fois qu’une nouvelle modernité arrive, il faut que la poésie s’en empare, sinon elle est condamnée à devenir une poésie de musée. C’est ça, la responsabilité des poètes. C’est aussi une manière de s’emparer du réel, de ne pas le laisser de côté comme s’il était étranger. Rien n’est moche ou beau, c’est à nous de nous emparer des éléments qui composent notre réel et de les transformer pour neutraliser ce qu’ils peuvent avoir de mauvais. Bon, pour Instagram, je n’ai pas encore réussi (rires).
R : Il y a une dimension au-delà de l’esthétique. Quand tu dis “mange un cookie”, ce n’est pas tant pour l’esthétique, que parce que l’image qui est véhiculée par ces mots en 2021 recouvre une autre réalité. C’est ce qui donne une puissance aux mots.
Ar : C’est ça : la beauté de ces mots ne réside pas uniquement dans leur forme. À l’origine, je viens plutôt du baroque, du Parnasse même, de ces auteurs qui choisissent vraiment les mots pour leurs formes, leurs sons. C’est quelque chose qu’on retrouve dans le rap, aussi. Mais c’est Apollinaire et certains autres poètes qui m’ont convaincu de cette idée : il faut faire des colliers avec des cailloux du bord du chemin, pas avec des pierres précieuses. Donc ne cherche pas la pierre précieuse, ramasse plutôt des cailloux et vois comment tu peux les assembler. C’est encore plus magique ! Aucun mot n’est précieux en lui-même, ils sont tous égaux, c’est simplement l’ordre dans lequel on les dispose qui leur donne leur valeur.
LVP : C’est très réussi dans votre album, mais je dois dire que j’ai toujours un peu de mal avec ces mots-là.
Ar : C’est vrai qu’en tant que Français, on a ce rapport d’élégance avec la langue. Les traductions françaises des romans américains ou russes avaient quelque chose de peu sincère jusqu’à la fin du XXème siècle, parce qu’on voulait absolument y mettre le style français. Or, les Russes et les Américains se foutaient de ça, la beauté venait de leurs idées, des images qu’ils provoquaient, pas tant de la forme de leurs phrases. C’est quelque chose qui vient de Proust, une certaine manière d’écrire à la française qui est riche, qui est belle. Mais le problème c’est que si on n’utilise plus tous ces mots qu’on trouve laids, ils appartiennent aux autres et ça veut dire qu’on ne peut plus s’en emparer. Il y a un combat derrière qui est plus qu’un combat poétique, il ne faut pas laisser certains mots à ceux qui les utilisent de manière décomplexée.
LVP : C’est aussi ce que j’ai trouvé beau dans cet album : plutôt que de dépeindre la froideur de notre société, j’ai eu le sentiment que les textes et la musique visaient à réenchanter le monde, à réinsuffler du sens là où on en manque cruellement. Est-ce que c’est cette démarche qui vous a animés ?
Ar : Ça fait plaisir que tu l’aies ressenti comme ça, en tout cas. Quand on le fait, c’est forcément un peu inconscient, peut-être qu’on a voulu réenchanter le monde pour nous-mêmes en premier lieu, retrouver la fantasmagorie de ces choses-là… Cristaux liquides, par exemple, c’est magnifique comme expression. On ne s’arrête pas assez sur les mots. Les navigateurs, les cookies… C’est trop bien, un navigateur !
R : C’est un peu une mise en pratique du Plâtrier siffleur. Le spectacle des Bouffes du Nord était supposé être traversé par ce texte de Christian Bobin qu’Arthur lisait et dans lequel il parle de la poésie des choses du monde : le plâtrier qui travaille, le boulanger qui pétrit sa pâte… Des choses qui sont en fait très simples et qu’on ne regarde plus alors même que ce sont elles qui enchantent le monde. En fait, le travail qu’on a fait sur les mots, c’est finalement d’aller prendre ces mots simples ou dévalorisés par la réalité à laquelle ils sont renvoyés pour leur donner une autre dimension.
Ar : Quand tu réenchantes un outil qui a l’air cauchemardesque, c’est comme si tu imaginais un fauve et qu’il devenait tout à coup un joli petit cryptochat. D’un côté, tu le réenchantes, et de l’autre, tu as moins peur. Les écrans tactiles, les cookies, tout ça… Ça fait peur !
S : C’est aussi cet humour très présent dans l’album qui fait réfléchir. À chaque fois qu’Arthur sortait ses punchlines, je me posais des questions : oui, je mange un cookie, je le fais tous les jours finalement… On était dans une phase de questionnement sur les écrans pendant la création du disque et je pense qu’Arthur est parvenu à restituer très habilement toutes ces interrogations sous forme de poèmes.
Ar : Pour finir, pourquoi on doit s’en emparer nous ? Parce que les mecs qui les ont créés, ils savent très bien s’en emparer. Ils n’ont pas appelé ça “cookie” pour rien. Ils ont appelé ça “cookie” parce que “cookie”, c’est gentil. S’ils avaient appelé ça “missile”, ça passerait moins : “ah tiens, j’ai reçu un missile”. Ou même juste un truc honnête : s’ils avaient appelé ça un “traqueur de données”, on rigolerait moins. Mais là, on se dit “tiens, vous voulez accepter tous les cookies ? Ouais, pas de souci, on veut bien”. À nous aussi de réaliser que cette sorte de guerre, elle est dans les mots. On veut les tenir à distance parce que ça pue, mais ceux qui les créent ne se privent pas de les utiliser.
C : L’anglais rend le truc plus gentil, plus acceptable aussi. Ces mots-là sont des emprunts, il n’y a pas d’autres façons de les dire en français.
Ar : Justement, il faut aussi se demander pourquoi aujourd’hui, il y a autant de mots qui n’ont pas d’équivalents dans notre langue…
LVP : Je trouve ça dommage de se contenter de ces emprunts, parce que des gens proposent des solutions pour éviter ces anglicismes. Par exemple, il y a un désormais un équivalent français à “spoiler”, c’est “divulgâcher”.
Ar : Ah, c’est pas mal, “divulgâcher” !
LVP : Par-delà les changements technologiques, politiques, sociétaux, ce qui unit les différentes époques, ce sont justement les mots. Qu’est-ce qui fait qu’un poème comme Before The World Was Made de William Butler Yeats soit autant en phase avec nos préoccupations contemporaines, presqu’un un siècle après qu’il a été écrit ?
A : Un très grand poème est toujours assez vide pour que celui qui le lise y mette de lui-même. C’est pour ça que les poèmes les plus beaux sont à la fois assez précis pour laisser transparaître ces fulgurances géniales de l’auteur et assez vagues pour que celui qui les lise y mette de lui-même. Le génie de l’auteur, c’est aussi tout ce que l’auteur a décidé de ne pas mettre dans son poème.
On a l’impression de voir dans ce poème des préoccupations d’aujourd’hui parce que le texte est suffisamment mystérieux pour que tu t’y projettes. Demain, on s’attardera sur d’autres mots du poème et on y lira toujours une préoccupation contemporaine. C’est la force des grands poèmes qui ne périssent pas parce qu’ils contiennent à la fois en eux la vérité du poète, cette espèce d’émotion pure qui ne périme pas, mais aussi le miroir qui est tendu et qui réfléchira toujours ce qui se trouve autour de lui.
R : Il pose également des questions métaphysiques qui sont assez intemporelles. La question du visage de l’âme avant la naissance, de ce qu’on est avant d’être un corps par exemple. Aujourd’hui, cette interrogation résonne dans la question du genre, mais c’est quelque chose d’intemporel.
Ar : C’est impossible de dire formellement que Yeats parle de ça. On ne peut pas être catégorique là-dessus, on ne peut pas l’affirmer. Mais c’est justement la grande force de ce poème, c’est ce qui fait qu’il survivra au temps.
LVP : Aujourd’hui, les évolutions technologiques nous permettent d’entrevoir ce que pourrait être le futur de la musique et cette dynamique a peut-être été accélérée par la crise sanitaire, qui a contraint le milieu à se réinventer pour pouvoir subsister dans cette période difficile. Comment est-ce que vous imaginez un concert dans 50 ou 100 ans ?
Ar : Franchement, ce serait bien que ça reste exactement la même chose. Des gens qui se produisent devant d’autres gens qui le ressentent physiquement parce qu’il y a des ondes qui les traversent. Ça fait des milliers d’années que c’est comme ça, c’est que ça marche ! Ce qui est beau dans ce moment-là, c’est que c’est quelqu’un qui te raconte une histoire. C’est un moment d’échange, donc ajouter des appareils, des écrans, des écouteurs, c’est faire en sorte de ne pas être disponible pour recevoir ce qu’on a à t’offrir.
R : C’est comme quand dans les années 60, les mecs imaginaient que dans les années 2000, on se nourrirait de pilules qui donnent tous les nutriments dont on a besoin, comme pour les astronautes. Sauf que le plaisir de manger, ça reste de faire la cuisine soi-même, c’est cette réalité physique dont parlait Arthur. Il y a des choses qu’on ne peut capter que de cette manière. Peut-être qu’il y aura des hologrammes ou du live-stream en plus du reste, mais ça ne remplacera jamais l’émotion de s’entasser les uns sur les autres dans une foule qui sent la sueur et la bière.
Ar : Dans un entretien, Jean Renoir disait : “bientôt, le cinéma ça va être des écrans à 360° sur lesquels on va projeter une forêt, on va t’envoyer des odeurs de mousse, te mettre un petit vent frais pour que tu te croies dans une forêt. À ce moment-là, on n’ira plus au cinéma, on ira dans une forêt !”. Si c’est pour faire quelque chose qui ressemble à un concert, va voir un concert !
C : Ces choses-là existent déjà depuis un moment et on voit bien qu’elles n’ont pas remplacé les concerts traditionnels. Ce qu’on veut voir, c’est l’instant, c’est l’accident même.
LVP : Pour terminer, est-ce que vous pouvez partager avec nous un coup de cœur récent, qu’il s’agisse d’un morceau de musique, d’un poème ou d’un film ?
Ar : Pour moi, ce serait une chanson qui s’appelle Errare Humanum Est d’un chanteur qui s’appelle Jorge Ben Jor. Elle est mortelle !
An : Je dirais Une histoire de famille, c’est un film qui a remporté la Palme d’or du Festival de Cannes il y a quelques années. C’est sur une famille assez pauvre au Japon, enfin ce n’est même pas vraiment une famille…
Ar : Attention, tu es en train de divulgâcher !
R : Alors de mon côté, j’en parle souvent en ce moment, mais ce serait Manières d’être vivant : Enquêtes sur la vie à travers nous de Baptiste Morizot. C’est un essai sur le rapport à l’animalité, à la sensibilité, qui rejoint indirectement les thèmes qu’on peut aborder nous, sur la manière dont on peut cohabiter avec la nature. Ça fait longtemps que je n’avais pas kiffé un bouquin comme ça !
C : Pour moi ce sera un bouquin de cuisine… Non, je rigole ! En vrai, je termine un cycle de Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui, je viens de terminer tous leurs films. Le Goût des autres c’est le meilleur, de loin !
Pratiquant assidu du headbang nonchalant en milieu festif. Je dégaine mon stylo entre deux mouvements de tête.