Départ imminent. Khruangbin nous a concocté un voyage très spécial via leur nouvel album Mordechai. Un voyage, mais aussi une réflexion. Sur la musique et puis sur les autres cultures. Ce groupe, originellement texan, en devient un groupe du monde qui a pour mission d’ouvrir les esprits. Il vous faudra rentrer dans leur espace musical pour pouvoir apprécier pleinement cet album, puisse cette analyse en être le véhicule. Voici Mordechai.
D’où viennent Laura Lee (basse), Mark Spencer (guitare), Donald Johnson (batterie) ? Là n’est pas l’important. L’important, c’est le chemin qu’ils font dans leur musique et dans la musique en général. Une avancée qui challenge, par petits pas habiles et justes. D’abord avec The Universe Smiles Upon You, ensuite Con Todo El Mundo, Hasta El Cielo et maintenant Mordechai. On retrouve dans les noms des albums des dénominateurs communs qui traitent de l’omniscience, de l’univers, de l’espace. Les influences du monde y sont mélangées sans se soucier des codes, tout en respectant chaque culture. Dans chaque album nous voyageons avec eux sans presque nous rendre compte que nous partons. Si nous nous arrêtons un instant, nous y trouvons un peu de culture thaï, nipponne, américaine, libanaise, iranienne, espagnole, latine, hébreue … Mais leur EP Texas Sun en featuring avec l’exceptionnel Leon Bridges les faisait revenir à leurs origines dans un projet fabuleux. C’est là que Mordechai intervient. Comme un projet qui s’inscrit dans un univers parallèle à celui de l’EP, où les cultures sont mises en avant et cohabitent de la meilleure des façons.
De son nom biblique, il véhicule l’ouverture vers l’envie d’en découvrir plus, des chansons de Khruangbin et de la culture en général. Au premier abord, cet album fournit des singles reconnaissables et catchy. Des sources d’inspiration accessibles, qui invitent à la découverte d’une d’une inspiration plus grande. Time (You and I), So We Won’t Forget, Pelota – ou la crème de leur musique popisée un rien, comme une mise en bouche qui régale les palais les plus fins (et les moins fins). Quant au reste de l’album, on peut dire que les titres gravitent autour de ces trois singles avec une subtilité sans pareille. Certains diront qu’ils se ressemblent tous, ou sont un peu ennuyants même. Peut-être. Mais là est toute l’habilité du groupe, de nous servir de la musique d’ascenseur psychédélique recherchée, construisant un espace son qui leur est propre – une révolution en soi. L’exemple avec Connaissais de Face (langue française coming your way), qui paraît anodin à la première écoute et pourtant se fraye assez vite un chemin dans notre inconscient. First Class commence avec le groove signature du groupe et Shida termine l’album avec une touche de mélancolie divine inégalable. Il nous serait impossible de faire un track by track tant les titres combinent les mêmes ingrédients de façon différente, à la façon d’un casse-tête chinois pouvant être résolu de 1000 manières. L’intelligence musicale à l’état pur. On aimerait aussi comprendre la signification de tous leur titres farfelus, mais finalement, ils n’appartiennent qu’à eux. Nous pouvons juste en apprendre plus sur leurs influences et le processus par lequel ils construisent leur musique.
Certes, Khruangbin n’est pas votre groupe de pop préféré, et il ne prétend pas à ce titre d’ailleurs. Son objectif n’est pas de faire des titres codifiés et reconnaissables, aux refrains entraînants, sur des riffs de guitares entêtants. C’est bien la guitare qui complimente la basse et la batterie comme instruments principaux, et non l’inverse. Les paroles sont peu, voire pas du tout présentes, pour laisser place à l’ambiance et à la musique. Le trio montre son caractère avec un groove nostalgique des années 70, qui est renouvelé dans chaque album. Un album à faire écouter à ses invités pour une introduction à l’ambient funk musique du monde ou à voir en live comme un des meilleurs live bands qu’il vous sera donné d’entendre. Ce n’est pas une question d’aimer ou de ne pas aimer, c’est une question d’apprendre à aimer, d’apprendre à découvrir, d’être challengé. Mordechai brille, non grâce à un ou deux singles, mais comme un tout, une omniscience, une cohérence qui peut parfois perturber. C’est un projet qui s’écoute du début à la fin, qui a besoin d’attention et de plusieurs écoutes pour en libérer ses secrets.
Mes articles sont plus longs qu’un solo de jazz.