Une critique dithyrambique et en tout point objective du dernier album de SOAK
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Auteur·ice : Philomène Raxhon
20/05/2022

Une critique dithyrambique et en tout point objective du dernier album de SOAK

Vous ne pourrez jamais nous convaincre de dire du mal de SOAK. Depuis 2015, son premier album, Before We Forgot How To Dream [BWFHTD], et un passage beau, très très beau à la Rotonde, l’artiste irlandais·e est dans nos cœurs. D’ailleurs, la simple mention de B a noBody nous fait monter les larmes et nous ramène à nos 15 ans, les cigarettes dans les toilettes de l’école secondaire, les voyages en train jusqu’à Bruxelles et les rhums coca. À l’époque, Birdie Monds-Watson (SOAK) n’était pas beaucoup plus mature – 16 ans – et flanquait ses vinyles de dédicaces comme “Dinosaurs are great” ou “Eat lots of pizza“. True story. Depuis, on est passé·e·s aux drogues dures (non on rigole don’t do drugs kidz) et iel a sorti deux autres albums. Le dernier en date, If I Never Know You Like This Again [IINKYLTA], est empreint de la voix inouïe de SOAK et d’une sincérité qui laisse le souffle court. 

En guise de sas d’entrée, SOAK déploie purgatory, premier morceau d’un album qui sonne la fin de l’ère art pop que l’auteur·rice avait introduite sur l’opus précédent, Grim Town, et un rock pas tout à fait aussi mélancolique que BWFHTD. Le titre s’ouvre sur un grand soupir, comme une dernière inspiration avant de livrer ses entrailles à un public dévoreur de corps et d’âme. I’ll be hungry forever, scande-t-iel, à ne plus savoir qui a le plus faim de cet album. Premier single de IINKYLTA, last july est un son SOAK à l’état pur. On pensait avoir atteint le peak du rock chagrin avec Sea Creatures, hymne pour les poissons hors de l’eau de ce monde. Il n’en est rien. Fidèle à sa nostalgie des beaux jours qui ne durent pas, SOAK raconte un amour d’été dernier où même le supermarché se transforme en expérience transcendante si l’on est bien accompagné·e. Iel maîtrise les mélodies qui prennent par surprise, juste ce qu’il faut d’inattendu pour donner l’effet d’un petit creux dans la route. Un détour que l’artiste impose une seconde, et rattrape dans une instrumentale qui ferait rougir les Strokes

What if this is the last time I get sensationalized?
And when I’ve been every stereotype
I don’t wanna become just another place that you went one time

 

Quand on vous dit que SOAK règne en maître·sse incontesté·e sur le drame et la douleur, quoi de plus dramatique et douloureux qu’une colo qui foire? bleach commence comme ça, avec des cheveux de lutin pendant des semaines. Plus qu’un souvenir aussi, effacé par l’eau oxygénée et le temps. get well soon a la trampe des grand·e·s artistes Rough Trade Records (Sufjan Stevens, The Moldy Peaches, Warpaint), maison de disque de SOAK depuis ses jeunes débuts et ce qui se fait de mieux en musique alternative à l’époque désolée où Kyo se reforme. 

Juste quand on pensait tomber dans le maussade, pretzel débarque en milieu d’album tel un snack de milieu de journée. Ce morceau est for-mi-dable. “Laying like a pretzel intertwined“, vous avez l’image. Les guitares, la batterie, pretzel est une capsule de tout ce qui est bon dans ce bas monde. Vous excuserez notre manque d’éloquence ; quand il n’y a rien à redire, autant se taire et écouter. gutz aussi est beau, habité d’un synthé hésitant, presque abattu, et d’une voix masculine qui s’invite au timbre glorieux de SOAK. Grim Town et son auto-tune léger nous en avait trop privé. On retrouve avec IINKYLTA, la voix nue de l’artiste, celle qui racontait son adolescence en Irlande du Nord, les cathos idiots, les créatures marines, l’ignorance, l’homophobie et celleux qui restent. gutz introduit aussi les paroles qui donneront leur nom à l’album, If I Never Know You Like This Again, plus concises encore et justes qu’on ne les avait imaginées.

But if I never know you like this again

I couldn’t live with myself

SOAK n’est pas que chanteur·euse, iel est musicien·ne. En témoigne la mélodie de baby, you ‘re full of shit, morceau qui fera office de lettre ouverte à tes potes végétarien·ne·s qui graillent du saucisson en lendemain. Un riff de guitare habille le titre aux thèmes en apparence plus insouciants, comme ceux qui nourrissaient Grim Town d’un ton bien plus pop. Iel ne se laisse pourtant pas tout à fait aller à la légèreté. “I knew my twenties would make or break me, but what the fuck is this?”, interroge un·e artiste désabusé·e. IINKYLTA et son rock alternatif rappellent le groupe Hole et Malibu dans ses rythmes hachurés mais subtils, jamais lourds, toujours harmonieux. red-eye et sa batterie omniprésente surprennent en dissidence, tandis que neptune fait office d’interlude stellaire, grand frère de 24 Windowed House dans sa douceur réservée. Le titre reprend aussi les frayeurs nouvelles qui balaient celles de l’adolescence irlandaise : l’oubli, redevenir des étranger·ère·s. Son solo de guitare planant évoque Soft Sounds From Another Planet de Japanese Breakfast. Près de 7 minutes de SOAK qui se réconcilie avec la musique alternative, qui rappelle qu’iel est capable de jouer la peine colorée sur I Was Blue, Technicolour Too comme les départs vertigineux de celleux qui nous connaissent le mieux. 

L’artiste referme le couvercle de If I Never Know You Like This Again avec swear jar. Depuis 2015 et les débuts, SOAK a grandi et appris, s’est cherché·e et a quitté l’Irlande du Nord. Pourtant, iel clôt un troisième album avec la même innocence gorgée d’incertitudes qui fait que sa musique parle à toustes, celle qu’on connaît depuis Before We Forgot How To Dream. swear jar finit sur un couple guitare-voix parcouru d’échos, puis la voix de SOAK, acapela, supérieure et pleine de doutes.

Where have I been all my life?
Watching myself from the sidelines
Won’t you wake me up sometime?

 

Pour celleux qui se disent qu’on est un peu aveuglé·e·s par la nostalgie et les souvenirs flous des hormones prépubères : parlez au mur. SOAK est de ces artistes qu’on aime retrouver, Before We Forgot How To Dream de ces albums qu’on aime revisiter. Et on se voit écouter If I Never Know You Like This Again encore longtemps, le saigner lors de voyages en train jusqu’à Bruxelles et rendre son vinyle dédicacé collant de rhum coca.