|Photo : Patricia Rosingana
C’est l’histoire de trois Irlandais qui se font d’abord remarquer en première partie de shame en février 2023, puis de l’autre côté de la Manche, lors des Transmusicales de Rennes. En découle une session KEXP, puis une flopée de concerts, tous plus grisants les uns que les autres. À l’occasion de la sortie de leur tout premier EP sobrement intitulé Yard, on n’a donc pas hésité à s’entretenir avec les natifs de Dublin. De leur début de carrière à leur vision de ce que peut procurer leur musique, en passant par les sujets abordés dans leurs titres : en résulte un échange plus qu’enrichissant avec Yard.
La Vague Parallèle : Hello les gars, comment ça va ?
Emmet : Ça va bien. Nous vivons actuellement la journée la plus chaude de l’année (en Irlande ndlr), et nous venons de la passer dans une pièce sans fenêtre, c’est amusant.
LVP : La première fois que j’ai entendu parler de vous, c’était en 2022. Vous assuriez la première partie du groupe shame et j’ai été frappée par le mélange des genres et par l’intérêt qu’il présentait. Vous avez sorti quelques titres depuis, mais il s’agit de votre premier EP. Était-ce voulu ?
Dan : Oui, nous avons fait la première partie de shame à la Button Factory de Dublin en février 2023. Et c’était la première critique de concert que nous ayons jamais eue. Quand tu nous as vus en 2023, c’est le moment où nous avons commencé à faire des concerts. Ça a été en quelque sorte notre première introduction à la scène musicale de Dublin à grande échelle.
Emmet : On a passé une grande partie de cette période —de 2019 à 2023— à écrire, réécrire et changer ce qu’on faisait. Donc tous les sets que nous jouions étaient en fait un peu différents dans notre instrumentation. Ça n’était pas fixe. Mais je dirais que c’est pendant la période qui a précédé ce concert qu’on a commencé à se sentir cohérents, aussi par rapport à ce qu’on voulait dans nos vies, ce qu’on voulait accomplir. C’était le bon point de départ, et à partir de là, on a fait beaucoup de concerts et on s’est amélioré.
LVP : Donc rien de tout cela n’était prévu ?
Dan : Non. En 2023, plus précisément pendant la première moitié, nous n’avions ni but, ni plan. On a participé à Ireland Music Week en octobre 2023, qui est en quelque sorte notre équivalent des Transmusicales. Ça nous a fait passer à la vitesse supérieure en termes de stratégie, de plans de sortie et de la façon dont on exporte notre musique sur la scène européenne. Mais jusque-là, c’était le chaos total. C’est beaucoup plus structuré maintenant que ça ne l’était dans le passé. Et puis l’année dernière (2024), je dirais que c’est la première année où on a pris ça au sérieux.
LVP : Est-ce parce que vous avez commencé à être connus ?
Dan : Je ne dirais pas que c’est nécessairement de l’ordre de la célébrité, mais je pense que c’est lors de notre premier concert européen en janvier 2024 à Groningen (aux Pays-Bas) pour Eurosonic, et quand nous avons commencé à jouer dans des endroits en dehors de l’Irlande, que c’est devenu un peu plus sérieux pour nous. On a réalisé, en particulier grâce aux réactions des foules européennes et même britanniques, qu’on pouvait vraiment faire quelque chose de bien.
LVP : Comment se porte la scène electro-punk à l’échelle irlandaise ? Parce que tu parles du fait que votre musique a été bien accueillie en Europe, mais est-ce que c’est le cas en Irlande ?
Dan : Je pense qu’on a toujours eu un peu de mal à trouver des contemporains exacts sur la scène dublinoise et irlandaise en général. Je ne dis pas que quelque chose ne va pas avec les scènes irlandaise et dublinoise, elles se développent plutôt bien. On s’inspire toujours des groupes qui nous entourent. Mais les contemporains directs c’est plus récent. Et puis les opportunités pour les festivals et concerts sont bien plus grandes en Europe et au Royaume-Uni.
LVP : J’aimerais revenir sur le fait qu’Emmet est un ancien membre de Gurriers. Est-ce que ça a eu un impact sur le son de Yard ?
Emmet : Il y a eu Yard avant Gurriers dans ma vie. Quant à savoir si cela a eu un impact sur les sons, pas vraiment. Je dirais que l’expérience de vie que j’ai eue avec Gurriers influencera toujours la façon dont je vois l’industrie de la musique dans son ensemble ou la façon dont j’aborde les choses, mais en termes d’écriture, de chansons et de son, pas vraiment. J’ai toujours fait la distinction dans mon cerveau et j’ai décidé de rester avec Yard. C’est ce qui me convenait le mieux. Je sentais que ce qu’on faisait résonnait davantage en moi et que je pouvais m’exprimer plus sincèrement.
LVP : Dans une autre interview (Mowno), vous avez dit que vous étiez « heureux quand les gens vous disaient que votre musique les rendait heureux lors d’un concert », est-ce la raison pour laquelle vous faites de la musique en premier lieu ?
Dan : Pour moi, je pense que c’est une chose plus récente, qui est venue de l’envie de faire du live. Je me souviens d’une amie, qui est venue à la fin de notre set à Electric Picnic. Elle travaillait au festival, mais elle avait passé une très mauvaise journée, elle est venue à notre concert à 3 heures du matin ou quelque chose comme ça. Elle nous a dit à la fin que c’était super de pouvoir entrer dans une salle obscure et de profiter de la musique, de danser et d’oublier tout le reste. Et c’est quelque chose que nous avons entendu dans d’autres salles de concert à travers l’Europe et de la part de différentes personnes. C’est une motivation pour rendre le concert de mieux en mieux, plus inclusif et plus spectaculaire. Ce n’est probablement pas la raison pour laquelle on a commencé, mais c’est certainement la raison pour laquelle on continue.
Emmet : Oui, l’idée est de créer un sentiment d’évasion. Au départ, c’était pour nous, puis nous avons découvert que cela pouvait aussi être pour les autres. Et c’est ce qui rend accro.
LVP : En tant que membre du public, est-ce ce que c’est ce que vous attendez de la musique ? Qu’elle vous fasse tout oublier pendant un moment ?
Dan : J’ai grandi en écoutant du metal et de la musique emo. Et j’allais à beaucoup de concerts de metal underground hardcore. Je n’ai jamais été un grand adepte des mosh pits et des trucs comme ça. Pour autant, tu peux apprécier le metal, mais tu n’es pas obligé de vivre le metal de la manière dont beaucoup de groupes de metal s’attendent à ce que tu le fasses. Je pense donc que la façon dont les gens choisissent de s’engager dans la musique est une chose très personnelle. Si tu viens à l’un de nos concerts, on n’est pas du genre à dire : “allez, allez, allez, il n’y a pas d’ambiance ou d’énergie ici !”. On ne force pas le public à faire quoi que ce soit. C’est comme ça que j’aimerais que ça reste, parce que c’est le plus authentique.
LVP : Vous avez également une session KEXP à votre actif, comment était-ce ?
Emmet : C’était fou. La préparation a été éprouvante pour les nerfs, c’est sûr. Mais l’équipe qui a travaillé est vraiment sympa et nous a aidés à nous sentir bien accueillis. Et on peut dire qu’iels ont apprécié ce que nous avons fait. C’était vraiment bien de présenter notre musique sur cette plateforme.
Dan : C’était aussi incroyablement stressant. Parce que en ce qui me concerne, l’équipement que j’utilise depuis six ou sept ans jusque-là sans le moindre problème est tombé en panne, cinq minutes avant le début de l’enregistrement ! Je pensais que tout allait sonner terriblement mal. Et oui, je ne savais pas comment ça allait marcher. Et je me souviens qu’Emmett me posait des questions, il venait pour essayer de résoudre les problèmes. Et je me disais : “mec, je n’arrive même pas à penser là” (rires). Mais en en parlant avec notre agente après, elle nous a dit : “Vous savez, les moments où tout doit aller bien, c’est là que tout va mal.” Et je pense que c’était un bon conseil parce que c’est exactement ce qui se passe avec la musique live. En y repensant, personne ne peut faire la différence à part moi. Donc, oui, c’était génial de jouer cette session.
LVP : Maintenant une question plus personnelle : comment faites-vous pour exister en tant que jeune groupe alors qu’il y en a tant d’autres comme vous ?
Dan : Je suis d’accord avec toi, ce n’est pas évident. Pendant Ireland Music Week, j’ai vraiment réfléchi à la façon dont j’expliquais ce qu’on faisait et en quoi c’était différent de ce que faisaient les autres. Le fait est qu’il y a beaucoup de gens qui font du post-punk — les voix criardes, les guitares basses. Il fallait s’approprier ces aspects de nos performances et se dire “ouais, ça en fait partie“. Le problème, c’est qu’il y a beaucoup de très bonne musique post-punk, mais comme tu le fais remarquer : tous ces groupes essaient d’attirer exactement le même public. Et il devient très difficile de se différencier d’un groupe à l’autre. Mais ce qui est génial avec Yard, c’est que la façon dont nous introduisons l’electronica et la musique électronique en général dans notre son le rend très accessible. Peu importe l’heure ou le pays dans lequel on joue. Tout simplement parce qu’il y a une telle variété de sons. Si tu n’aimes pas les voix criardes, c’est très bien. Peut-être que tu vas aimer les kicks, les beats ou peut-être les guitares ou encore les synthés. Pour nous, c’est vraiment cette sorte de fusion entre l’electronica et le post-punk, et faire en sorte que chaque partie soit très distincte.
LVP : En ce qui concerne les sujets que vous abordez dans vos chansons : Trevor, par exemple, parle d’un vélo qui a été volé, ou Slumber du vampirisme psychologique, comment vous viennent ces idées ?
Emmet : Le sujet des chansons a tendance à varier de l’absurde au très personnel. Mais on n’aime pas imposer aux gens le sujet de la chanson. En fait, ce qui nous fait le plus plaisir, c’est quand les gens viennent nous voir et nous disent : “Oh, c’est de ça que je pensais que parlait cette chanson”. Je sais que pour Trevor, c’est l’histoire de mon vélo qui a été volé. Je l’ai eu pendant des années et il représentait beaucoup pour moi. Donc c’est une chanson triste et profondément personnelle. C’est un peu stupide en revanche, de crier que mon vélo a été volé (rires). Mais je sais que j’ai parlé à certaines personnes après sa sortie, avant qu’elles ne sachent de quoi il s’agissait, et c’est comme si elles ne savaient pas qu’il s’agissait de mon putain de vélo.
Dan : Oui, comme Appetite, qui est parti d’une citation de Nosferatu, le film de Robert Eggers qui vient de sortir. Je suis allé le voir, et il y a cette phrase : “Oh, je suis d’un appétit“. La chanson ne parle pas vraiment de vampirisme, mais l’idée générale est de l’ordre de quelque chose de dévorant. Ça parle de pensées négatives sur soi-même et de la façon dont elles peuvent se renvoyer la balle et tourner en boucle, encore et encore. Et le fait qu’on ne pourrait qu’être consumé par cet appétit. C’est donc très personnel.
LVP : Peut-on espérer un album bientôt ? Vous voir en concert ?
Dan : Pour ce qui est de la suite, après la sortie de notre premier EP Yard, on part en tournée pour plus de 25 concerts à travers l’Europe et le Royaume-Uni. Et oui, le prochain grand projet sera probablement notre premier album, qui pourrait sortir dès l’année prochaine.
Pour aller les voir, voici la liste ci-dessous de leurs prochains concerts dans toute la France :
- 23/05 – Supersonic, Paris
- 24/05 – Foul Weather Festival, Le Havre
- 04/07 – Le Ferme Electrique, Tournan-en-Brie
- 05/07 – Jalles House Festival, Bordeaux
- 09/08 – Festival Interceltique de Lorient, Lorient
- 25/09 – La Coopérative de Mai, Clermont-Ferrand
- 26/09 – Détonation Festival, Besançon
- 27/09 – Le Gueulard Plus, Nilvange
- 03/10 – Les Nuits Soniques, Auray
Je passe le plus clair de mon temps à faire des playlists. Je ride aussi les océans.