Aïda Salander, une artiste engagée à l’engageant festival Magic Barbès
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Auteur·ice : Adriano Tiniscopa
14/10/2021

Aïda Salander, une artiste engagée à l’engageant festival Magic Barbès

Artiste tunisienne, Dj et militante associative et institutionnelle pour les droits des femmes et des minorités, Aïda Salander est installée en résidence artistique à Grenoble en ce moment. Et Salander, « c’est un blase », précise-t-elle. Et ce soir ça se passe au FGO-Barbara. Aïda a préparé un Dj set « pas vraiment grosse teuf. Un truc plutôt chill ». F c’est pour « Fleury », du nom de la rue où nous sommes. GO pour la « Goutte-d’Or », du nom de ce quartier du 18ᵉ arrondissement. Barbara, pour rendre hommage à la chanteuse. FGO-Barbara c’est le blase de cet établissement culturel de la mairie de Paris. Et en même temps c’est un lieu d’activités artistiques, un vivier associatif & des personnes qui le font vivre.

Dans la salle d’entrée, les chants de qawwalî et la sonorité du oud résonnent. Le tout enveloppé dans une trame de musique électro mélodique. Tempo modéré mais qui groove entendons-nous bien ! Entre deux tracks se déroule le vernissage de l’exposition « Musulmanes du monde » tirée du livre illustré éponyme¹. Et au bar, ça sert des cocktails presque mystère. Dans le hall, le public avance lentement parmi la petite foule compacte, discute au fil de l’expo et s’arrête au fur et à mesure de sa lecture.

©Keros971

Chacun·e se penche sous les portraits illustrés pour lire la biographie succincte de ces quelques femmes prodiges et illustres dévoilées au grand jour. Nujeen Mustafa, jeune femme handicapée rescapée du conflit syrien, la boxeuse française Sarah Ourahmoune, Shamza Hassani, professeure et graffeuse afghane… L’illustratrice LK. Imany répond aux questions, les micros sont tendus devant elle. Dans la grande salle d’à côté, Salander mixe de la deep house au downtempo. Un spectre musical comme il fallait pour une ambiance quasi guindée. Quasi, parce qu’en fait, franchement, c’était cool. C’était l’ouverture de la 11e édition du festival Magic Barbès. Nous sommes allé·es à la première soirée.

Les artistes, créatrices & entrepreneuses y sont assurément à l’honneur. Interrogeant les notions de transmission, de mémoire et d’héritage au féminin, le festival a mis en exergue ces femmes qui donnent vie au 18e arrondissement. Concerts, conférences, tables rondes et visites guidées sont au programme pendant quatre jours. Ça se passait du 29 au 4 octobre et la première soirée ouvrait ensuite sur un concert hommage à la chanteuse algérienne Cheikha Rimitti.

Elle aussi a donné vie aux rues de ce quartier de la Goutte-d’Or. C’est même ici, dans ce quartier justement, que cette orpheline baroudeuse d’Oranie débarque d’Algérie fin des années 1970. Elle et son raï, kelkhal aux chevilles (cliché) et un répertoire de poésies bédouines. Elle a chanté, joué et fait vibrer les cabarets de ces quartiers franco-algériens populaires de Paris. À Barbès on chante l’exil depuis quelques temps déjà. Succès des années 1950 sur la radio coloniale. Rimitti ira jusqu’au Zénith en 2006 après avoir signé un dernier album raï électro magistral : N’ta Goudami.

Dans la salle de spectacle du FGO, l’acoustique est chromée. Souad Asla, Samira Brahmia, Hadjla et Nawel Ben Kraïem & leurs musiciens inondent la salle de musique tradi. Le répertoire de Rimitti fait évidemment réagir la foule, les youyous surgissent. Ici, beaucoup connaissent. C’est un peu la base dans le(s) monde(s) arabe(s) à ce qu’il paraît. Puis, la danseuse algérienne Esraa Warda arrive et c’est le euf ² le plus ouf. Ça danse, ça bouge, ça claque les talons au sol. Raï raï raï, quelle soirée !

Avec Salander, nous avons parlé musique. À la maison, chez elle, on écoutait le chanteur égyptien engagé Sheikh Imam. Aujourd’hui, elle mixe en soirées avec et pour les amis. Et ce soir, elle est bookée pour ouvrir le bal du festival Magic Barbès. « Mais je t’avoue, limite je préférais quand il n’y avait pas d’argent en jeu. Au départ c’était un truc entre potes puis les choses ont fait que…», confie-t-elle. Puis, nous avons aussi causé de son collectif d’artistes à Paris, de son travail militant en Tunisie, de la jeunesse de ce pays, de ses futurs projets, du féminisme et encore de musique.

©Clara de Latour

La Vague Parallèle : Salut ! Est-ce que tu pourrais te présenter ?

Aïda Salander : Je m’appelle Aïda. Salander, c’est un blase. Je suis Tunisienne. Artiste. Je suis en résidence à Grenoble, en résidence artistique. En fait, à Paris, je fais partie de l’atelier des artistes en exil³. Et je fais aussi partie d’un collectif de son qui s’appelle Isola Sound.

LVP : Tu peux nous en dire plus ?

AS : C’est un groupe de personnes, pour la plupart des Djs, des producteurs de son, qui se sont réunis autour des mêmes valeurs quant à l’organisation de teufs et à la composition des line-up. Ce sont des valeurs qui sont plutôt politiques dans le sens où avec Isola on réclame des espaces inclusifs, des espaces safe pour faire la teuf. Un gros accès à la prévention. On fait attention aux « rapports Sud-Nord » si j’ose dire.

LVP : Ça se concrétise comment ?

AS : Ça se concrétise dans le fait que cet espace est plus ouvert. Pas au niveau du recrutement mais au niveau de la composition du collectif. Ça privilégie les personnes de couleur, les personnes réfugiées qui n’ont pas d’autres espaces pour se produire, être bookées, avoir une structure un peu légale et administrative par rapport aux factures… Même quand tu es sans-papiers, il y a toujours un moyen pour que tu puisses être artiste et déclarer ce que tu fais. C’est aussi le principe de « l’atelier des artistes en exil » dans le sens où ça offre une structure, un lieu de travail pour artistes exilés. Pour des gens qui n’ont pas le privilège tout simplement de trouver des espaces pour se produire et travailler dans des milieux qui sont plutôt dominés par une présence… je vais être trop politique.

LVP : Par la blanchité ?

AS : Oui par une présence blanche on va dire.

LVP : Ok je comprends. Sinon, un petit mot sur ce collectif d’artistes ? Il vient d’où le projet ?

AS : C’est une association. Je la connais à travers d’autres ami·e·s qui sont elleux-mêmes artistes en exil. Donc je les connais depuis 2-3 ans. J’y suis depuis juin 2020. Après le premier déconfinement, on s’est éloigné, chacun était dans ses « bails »4.

LVP : Tu as fait quoi pendant cette période ?

AS : J’ai trop kiffé le confinement. J’ai pu faire des concerts en ligne. J’ai dû en faire 4, des live stream (diffusions en direct). J’ai même fait des soirées sur Zoom (rires). Et évidemment ça m’a ennuyée très vite. C’était cool pour essayer une ou deux fois parce que c’était très différent. Mais ensuite ce n’est pas vraiment ça… Pour moi le confinement c’était une période de pause, de réflexion sur moi-même, sur mes objectifs, ce que j’avais envie de faire. Ça m’a permis de m’ouvrir sur beaucoup de choses. Mais juste après le déconfinement, j’ai très vite senti le besoin d’être dans un certain cadre de travail. Parce que j’avais besoin d’une rupture avec mon chez moi, où c’était mon lieu de vie, de travail, de production…

LVP : Tu étais basée dans le 18ᵉ arrondissement ?

AS : Non non du tout. J’ai habité dans le 18. Pendant toute la période de confinement j’étais dans le 2. L’atelier des artistes en exil n’est pas loin de là où j’habite. J’ai trouvé cet espace dans lequel il y avait des artistes un peu dans la même situation que moi. Il y avait des points communs entre nous. Aujourd’hui les gens de cet atelier sont devenus des ami·e·s avec qui je traîne vraiment depuis que je les ai rencontré·es. Ça se recoupe par rapport à nos histoires même si on n’a pas la même nationalité. Par rapport à notre vécu, nos histoires, notre manière de voir nos propres vies, on a beaucoup de points en commun.

LVP : Vous avez des projets avec ce collectif ? Le prochain par exemple c’est quoi ?

AS : Oui ! Tout le temps ! Comme je suis actuellement en résidence artistique, je vais arrêter les bookings jusqu’au mois de décembre au moins. J’ai besoin de consacrer le temps qu’il faut à cette résidence. Ça se passe entre Grenoble et Valence à l’école d’art et de design puis aux Beaux-Arts de Marseille. Je vais avoir des ateliers avec des étudiants de ces universités. Il y aura un échange, un partage. Je vais participer à des festivals organisés par ces structures avec des Dj sets notamment. Je travaille aussi sur un projet qui concerne les rapports entre la musique et le bien-être (méditation, la nature, le rapport à la nature, à la pleine conscience). C’est mon projet personnel sur lequel je veux me concentrer dans le but de finir la résidence avec une petit production, du genre un EP.

LVP : Pour 2022 ?

AS : Oui, pour 2022 !

LVP : En parlant de musique et de bien-être, je voulais te demander quelle place avait la musique dans ta vie ? Ou en tout cas, quelle place lui consacres-tu ? Tu as trouvé un équilibre ?

AS : C’est incroyable. Ça occupe toute la place. Parce que je n’arrête pas de penser à ça. Et je pense aussi à ça quand je ne suis pas en train d’écouter de la musique. Il arrive que je n’aie pas du tout envie d’écouter de la musique. Quelques heures, ou pendant un jour ou deux parfois. Mais quand je me mets à écouter c’est vraiment non-stop. J’arrête seulement quand j’ai un visio, ou quand je dois aller voir des gens. Mais même mes rapports avec les gens sont plus autour de la musique. Par exemple, avec les personnes que j’ai rencontrées à l’atelier des artistes en exil, notre délire c’est d’organiser des soirées entre nous et de jouer, jouer, jouer… pendant des heures.

LVP : Ça a l’air cool comme soirées !

AS : Oui ça l’est ! On n’arrête pas de jouer. Sinon, j’ai des sets qui durent 3 h, parfois 4 h. Que je considère comme des sets de méditation. C’est des sets électro et downtempo, mais pour moi c’est de la méditation. Je peux l’écouter, le réécouter, plusieurs fois dans la journée.

LVP : Histoire que ça rentre bien en tête ! Est-ce que tu joues d’un instrument ?

AS : Pas du tout. Tout a commencé avec mon ordinateur. J’ai essayé de faire des petites productions. J’ai fait des formations mais c’est trop difficile. Enfin, pour moi c’est pas userfriendly même s’il y a une certaine logique derrière. Mais il y a des instruments qui m’intéressent maintenant. Ça ne veut pas dire que je vais les tester moi-même. Je préfère faire ça avec des gens qui connaissent déjà. C’est des instruments qu’on utilise aussi dans la méditation comme le hang. Il est magnifique. Comme le didjeridoo aussi. Ça m’intéresse autant de les incorporer dans des mix que de les écouter purs. J’essaie tout le temps de trouver des compositeurs et des producteurs qui travaillent avec ce genre d’instru. Et justement, à l’atelier des artistes j’ai trouvé des gens qui en jouent.

LVP : Cool ! Et chez toi, dans ta famille, on écoutait de la musique ?

AS : C’était très important, la place de la musique, mais on n’écoutait pas d’électro en famille. Plutôt des chanteurs engagés comme Cheikh Imam. C’est un chanteur et compositeur égyptien décédé qui n’a que des chansons engagées. C’est le genre de musique qu’on écoutait avec mon père. On écoutait aussi tout le registre de musiques engagées arabes et nord africaines comme Nass El Ghiwane. On écoutait aussi parfois du classique. Le Boléro de Ravel, c’était en boucle quand on était petits (rires). Papa nous faisait écouter des bandes sons comme celle de Christophe Colomb. Je ne l’oublierai jamais je crois. On adorait. Ma famille était très ouverte. Ma mère c’était Bob Marley, Prince.

LVP : Éclectique !

AS : Oui exactement ça.

LVP : Est-ce que tu connais le festival des Dunes électroniques ?

AS : De ouf ! J’y suis déjà allée en tant que festivalière.

LVP : Tu vas y passer un jour ?

AS : S’ils réorganisent ça, c’est avec plaisir que j’irai jouer là-bas. Il y a d’autres festivals au Maroc qui m’intéressent beaucoup comme Oasis notamment. Il est un peu mainstream maintenant. Mais bref, des festivals électro comme ça il y en a d’autres.

LVP :  Il y a beaucoup d’électro, de la techno en Tunisie ?

AS : Oui beaucoup ! En Tunisie, au Maroc. Tunis c’est ouf. Il y a plein de clubs. Tout le monde est DJ maintenant. C’est une bonne chose !

LVP : C’est beaucoup plus accessible maintenant. C’est ça qui est top.

AS : En fait, il n’y a que le domaine de la teuf qui marche en Tunisie. Avec la crise qu’on a connue, la revanche des gens, c’est la fête.

LVP : Et la revanche des jeunes ? Un mot sur la jeunesse tunisienne ?

AS : C’est une jeunesse qui est impressive. Les jeunes Tunisiens sont impressionnants. Ils sont dans un autre trip. Je suis impressionnée par les jeunes Tunisiens. Mais je ne sais pas quel est mon sentiment par rapport à ça parce que ça fait longtemps que je ne suis pas rentrée. Je suis un peu déconnectée. Mon rapport avec la Tunisie maintenant c’est Facebook et ma mère. Là, j’aperçois la Tunisie d’une manière différente.

LVP : Moins dedans ? Toujours concernée ?

AS : Oui bien sûr. Je le suis toujours. Et justement, en étant loin, je vois tout comme une réussite tellement la Tunisie me manque. Tout est une réussite pour moi. Je n’arrive pas à critiquer. Parce que je ne vis pas ce que vivent réellement les Tunisiens. Je le vis de loin seulement.

LVP : Est-ce que tu as vu qu’il y avait une nouvelle cheffe de gouvernement en Tunisie ?

AS : Oui. Le timing est bizarre.

LVP : Tu la connais ? C’est une bonne chose pour toi ?

AS : Non pas du tout. Quand il y a eu ce qu’on a appelé le “coup d’État” de Kaïs Saïed il y a quelques temps, certains médias ont appelé ça un “coup d’État” alors qu’il a utilisé un texte de la constitution. Une « faille » on va dire, parce que lui est prof de droit constitutionnel donc il sait très bien l’utiliser. Il a utilisé un article pour prendre le pouvoir et commencer à faire une sorte de purge. Personnellement, j’ai accueilli ce qui s’est passé parce qu’il y en avait marre. Il fallait absolument couper avec les figures au pouvoir. Avec le parti islamiste qui s’est imprégné partout. J’avais vu ça comme une bonne chose. Ensuite, ce qu’il a promis c’est qu’au bout d’un mois il y aurait des élections.

Après un mois, on a commencé à être sceptique. Allez guys, ça fait un mois ! Il se passait en même temps beaucoup de violences policières et beaucoup d’arrestations arbitraires. Il y a des choses qui ne faisaient plus sens par rapport à cette purge qu’il essayait de faire. Et maintenant, une semaine après le délai fixé, il nomme une cheffe de gouvernement. C’est une bonne chose. Parce que c’est une femme, c’est une première dans le monde arabe. C’est acclamé par tout le monde. Mais il ne faut surtout pas baisser la garde. Et c’est très facile de faire porter le chapeau à la femme au pouvoir s’il y a quelque chose qui tourne mal.

LVP : C’est clair. D’accord. J’ai vu que dans une vidéo de l’an passé nommée “Nous ne resterons pas confinées”, tu dis que tu as une responsabilité vis-à-vis de la recrudescence des violences faites aux femmes pendant le confinement. Qu’est-ce que tu entends par là ? La responsabilité peut être multiple, aussi bien chez ceux qui nous gouvernent, que chez ceux qui ferment les yeux ?

AS : Bien sûr. Comme je le disais, pendant le confinement, j’étais très bien. Chacun·e était justement concentré·e sur elle·lui-même. On a oublié la responsabilité collective quand il s’agit de ce genre de problématiques. Les femmes étaient les premières victimes du confinement. Surtout au début. Mais sinon on a reçu des coups de fil, des messages pour chercher à loger des personnes en Tunisie alors que j’étais en France. On essayait de trouver des logements pour qu’elles échappent à la violence conjugale.

LVP : Est-ce que c’était avec ton association Chouf ou avec Mawdjoudin ?

AS : Non je n’y suis plus active. Je suis active avec le cœur. Justement quand on m’a sollicitée pendant le confinement c’était parce que les gens se rappelaient de moi et de Chouf. Mais je ne suis plus sur le terrain pour vraiment être là.

LVP : Un mot sur cette asso, Chouf ?

AS : C’est une asso LBT, pour les femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres. On avait un volet sur les travailleuses du sexe. Le but de l’asso c’était de visibiliser les femmes et les personnes trans et queer (personnes non hétéros et non cisgenres) dans le monde artistique. Bien évidemment, la violence faite aux femmes était un volet très important dans le travail de l’association.

LVP : D’accord. Est-ce qu’il y a eu des combats, des faits marquants avec cette asso ?

AS : Oui ! On avait un festival, qui a duré 4 ans. C’était quand même le premier festival international d’art féministe à proprement parler qu’on a organisé en Tunisie.

LVP : Comment s’appelait ce festival ?

AS : Le Chouftouhonna. Aussi, avec Chouf et Mawdjoudin, on a travaillé sur un rapport pendant plus d’un an. Il y a des examens périodiques faits par les Nations unies sur les libertés dans chaque pays. On a réussi à obtenir 20 pages de ce rapport affectées aux droits des personnes LGBTQIA+ en Tunisie et leur situation. On a travaillé sur ce rapport pendant plus d’un an. Il y a aussi le fait qu’on ait réussi à être dans une coalition de plusieurs associations au niveau de la communication, même celles féministes de la vieille école, qui se sont jointes à notre cause. On a réussi à faire changer un peu leur…

LVP : Leur logiciel ?

AS : Oui, à faire une mise à jour. Tu as les plus anciennes organisations et associations des droits de l’homme tunisiennes qui sont à côté de nous dans notre combat et dans nos luttes. Ça aussi c’est une bonne chose. On a réussi à investir des espaces tels des salles de théâtre, de cinéma. On a organisé des soirées queer, un festival de cinéma queer. Ce sont des choses qui sont difficiles à concevoir dans la région. Mais ça se fait.

LVP : Tu étais à Tunis ?

AS : Oui j’y étais. Pendant un moment j’ai été aussi au Liban. Mais ça se fait dans toute la région. Au Maroc, en Égypte, partout, il y a des initiatives queer. La sécurité c’est number one. On suit tous des workshops de sécurité en ligne, sur les droits, comment faire en cas d’arrestation, comment est-ce qu’on appelle un avocat… On a toustes fait ces formations avant d’entamer réellement  notre travail sur le terrain.

LVP : Vous étiez bien paré·es pour le travail militant.

AS : Oui on était bien armé·es quand même.

LVP : Ok je vois. Un mot sur le festival Magic Barbès sinon ? Comment as-tu été contactée ?

AS : À travers l’atelier des artistes en exil. Il y a eu plusieurs rendez-vous avec eux pour la préparation du festival, vu la thématique du festival qui est autour de Cheikha Rimitti qui est une chanteuse algérienne. Et autour des femmes dans l’art. Ils ont aussi écouté mes sets et ils ont kiffé. Sur Soundcloud, je n’ai pas payé mon abonnement donc on n’a pas accès à tous mes sons (rires). Mais pour l’instant je n’ai pas vraiment d’EP ni de productions.

LVP : D’accord. C’est quoi ton état d’esprit présent ?

AS : Là ? Je suis trop fatiguée (rires). Je suis rentrée ce matin de Grenoble. Pour ce soir, c’est un petit set. Pas vraiment grosse teuf. C’est vraiment un truc chill. Je vais mettre de la musique pas trop techno techno. Donc je suis chill.

LVP : Je note, chill avec deux L. Ça se passe comment pour tes sons ? Comment les cherches-tu ? Plateformes, vinyles ?

AS : Je t’avoue que je passe plus de temps sur Soundcloud que sur Instagram ou Facebook. Je passe beaucoup de temps dessus. En fait je diggue. J’écoute, j’écoute, j’écoute. Je ne garde un track seulement si en le réécoutant j’ai les mêmes sensations. Si je mets un track, c’est que je le kiffe trop.

LVP : Est-ce que tu as un genre favori dans lequel tu préfères piocher ?

AS : Je pioche beaucoup dans le downtempo, dans la house aussi. Dans la techno mélodique, progressive aussi. Je diggue aussi beaucoup dans la transe, dans le hardcore. Donc je peux faire des sets vraiment chill qui partent de 80 bpm jusqu’à max 110. En mode méditation. Mais j’ai aussi l’autre genre de méditation qui commence à 130 à fond la caisse.

LVP : Jusqu’à 160 ?

AS : Oui tout à fait. La dernière teuf qu’on a faite, les gens ont eu peur quand j’ai essayé d’aller jusqu’à 170. C’était déjà too much (rires) alors que pour moi c’était normal.

LVP : Il faut un public averti pour ce genre de sons peut-être. Sinon c’est quand la prochaine teuf à Paris ?

AS : Demain et après-demain. J’ai fait une petite interruption de ma résidence pour venir jouer ici ce soir. Demain, j’ai la soirée de soutien « Ciné Palestine ». Il y a un line-up de Dj tunisiens, il y a une Libanaise, c’est un beau line-up du bled. Il y a des gens que je n’ai pas vus depuis très longtemps en Tunisie avec qui je vais me retrouver demain sur la même scène.

LVP : Ça se passe où ?

AS : À l’Alimentation générale (ndlr : bar concert live à Paris). Je vais jouer de 3 h à 5 h du matin. Je crois que ça va être complètement le contraire de ce que je vais faire ce soir. Et samedi, j’ai aussi un Dj set avec une association syrienne qui s’appelle Al Beyt. Ils sont sur Instagram. Il y aura aussi une exposition. Un peu comme ici. Ça se déroule à Boulogne-Billancourt ! Je suis très contente d’y aller. Il y aura tous mes potes de « l’atelier ». Petit week-end intense avec ces trois dates et ensuite j’arrête les bookings jusqu’à décembre. J’ai vraiment envie d’être concentrée sur cette résidence.

LVP : Je vois. Tu fais comment pour vivre sinon en ce moment ?

AS : Ce qui est bien c’est qu’avec la résidence il y a une bourse qui va beaucoup m’aider. Cet été il y a eu pas mal de booking, on a bien travaillé avec Daniel (ndlr : son acolyte de « l’atelier »). On a fait plein de concerts.

LVP : Ok trop cool. Pour sortir un peu de la musique. Étant donné ton parcours associatif et militant, je voulais avoir ton regard, tes mots, sur ce qu’est le féminisme. Est-ce que tu as des mots audibles pour le plus grand nombre ? Ça devient limite parfois connoté de parler de féminisme.

AS : C’est une bonne question. Par exemple Jeem, c’est un journal qui produit des articles en langue arabe sur le genre et la sexualité.

LVP : J’ai lu, c’est super cool !

AS : Oui très ! À la base c’est l’Institut Goethe qui hébergeait ce projet. Maintenant on est en train de passer par le processus d’enregistrement pour qu’on ne soit plus sous l’ombrelle de l’institut. Pour qu’on soit indépendant·es. Le processus de transition par lequel on est en train de passer inclut des réunions visio tout le temps. Il nous est demandé de penser chacune à sa définition de ce qu’est le féminisme intersectionnel5. C’est celui qu’on prône.

LVP : Le seul qui vaille ?

AS : C’est le seul qui vaille pour nous toutes. Mais même en travaillant dans la même équipe, avec les mêmes valeurs, on a du mal à trouver un terrain commun. Mais du coup moi je ne veux pas qu’un féminisme annule l’autre. Il n’y a pas un féminisme meilleur que l’autre. Il y a tout simplement différentes manières de percevoir les choses. Malheureusement, certains manières sont un peu violentes. Dans ce cas l’idée c’est de savoir comment ne pas être violent par ses idées, par la radicalité. Je ne la critique pas mais parfois ça peut être violent. Ça peut exclure certain·es. Mais certain·es ont besoin d’avoir cette radicalité. Ça peut être l’essence même de leurs revendications. Donc pour moi tous les féminismes peuvent être valides tant qu’ils ne s’annulent pas.

Dans le féminisme, il y a toujours ces conversations autour de comment est-ce qu’on peut se soutenir les unes les autres. Comment on peut être là toujours les unes pour les autres. Même si on a différentes valeurs et qu’on ne va pas tout le temps dans les mêmes directions. Il y a toujours ce genre de débats dans le féminisme. Il y a une production de podcasts, d’articles, de vidéos qui fait vraiment une partie du travail tu vois.

LVP : D’accord, je vois. On va dans le bon sens tu penses dans le combat féministe ? Les jeunes générations sont peut-être plus attentives, vigilantes qu’avant, les réseaux et les médias sociaux ont bien mis le doigt sur ça. Tu ne trouves pas ?

AS : Avant je n’avais pas remarqué tout ça. Je ne voyais pas trop que la jeune génération essayait d’être plus politiquement correcte. Mais je l’ai vu en regardant les nouvelles séries mainstream qui sont sur Netflix par exemple. Sex Education par exemple ça m’a ouvert les yeux sur à quel point on a changé. Il y a la série Super Store aussi. C’est très bien fait. Pour moi c’est très intersectionnel. Ça parle de tout. Je n’arrête pas de pleurer devant (rires). C’est tellement drôle et poignant aussi. J’ai vu le shift dans le discours et la manière de voir les choses que je trouve très saine. Si c’est ça le discours mainstream, celui qui domine, celui des séries… si c’est vraiment ça ce que prône la nouvelle génération, alors, c’est une très bonne chose parce que c’est une manière de respecter les droits de tout le monde et les libertés de tout le monde. Donc moi je trouve qu’on va dans le bon sens. Après trouver des t-shirts H&M avec écrit dessus « Féminisme » ou des slips Calvin Klein collection « Pride » c’est limite quand même (rires).

LVP : C’est sûr ! Maintenant j’ai 3 questions plus perso. C’est quoi ton principal trait de caractère ? Et celui que tu préfères chez les autres ?

AS : Chez moi ? J’aime beaucoup ma capacité à m’adapter avec mon entourage. M’adapter là où je vais.

LVP : Caméléon ?

AS : Pas vraiment non. Parce que j’ai compris avec le temps que ça me prend beaucoup d’énergie. C’est seulement maintenant que je suis consciente de ces histoires d’énergies, de toxic vibes. C’est avec le confinement que j’ai commencé à le comprendre. C’est pour ça aussi que je dis que ça a été une bonne période pour moi. Donc autant j’adore ma capacité à m’adapter, à me faire de nouveaux amis, à être là pour tout le monde, autant aussi, j’ai commencé à comprendre qu’en fait on doit aussi se protéger, energy wise (ndlr : préserver son énergie). Comprendre ça m’a fait sentir que je suis forte en fait. Il y a une force derrière ça. Surtout une force à arriver à se dire un jour qu’on avait tort. J’étais une mauvaise personne en faisant ça ou en pensant ça. Si tu veux, j’ai réussi à déconstruire ces choses chez moi sans aucun rapport au féminisme, réellement. Ou à la politique. Juste un rapport purement bien-être.

LVP : Une réflexion introspective ? Sur soi-même ?

AS : Oui. Et c’est génial de réaliser ce genre de choses.

LVP : Et le trait de caractère que tu préfères chez les autres ?

AS : Qu’est-ce que j’aime chez mes ami·es par exemple ? C’est très dur comme question. Mais je n’arrête pas d’attirer autour de moi des gens qui ont une très bonne énergie. Ce que je cherche chez moi je le renvoie chez les autres. Et c’est comme ça qu’on s’attire.

LVP : Est-ce que tu as des héroïnes ? Et/ou des héros ?

AS : Il y a l’héroïne de mon blase, Salander, qui est le personnage du livre Millenium de Stieg Larsson. Dans le livre, c’est une pirate informatique. Elle a été très inspirante. Ça fait longtemps que j’utilise ce blase. Depuis 2013. La sortie de ce personnage, c’était vraiment une période où tout ce qui était technologie ça avançait beaucoup mais sans les femmes. Sinon il y a les musiciens que je follow aussi. Je suis inspirée par leur manière de faire les choses. Je suis beaucoup de personnes qui font des captations dans la nature, qui font de la musique organique. Je suis inspirée maintenant par les nomades. J’adore leur manière de vivre sans la romantiser !

LVP : Oui je vois.

AS : Je trouve qu’ils ont quand même atteint quelque chose. J’ai compris l’importance du minimalisme. L’importance de vivre l’instant présent, de voir le monde, d’être en communion avec la nature, de voyager. Tout ça c’est inspirant.

LVP : Tu vois un peu plus la vérité en face ?

AS : Oui, de ouf.

LVP : Dernière question : est-ce qu’il y a une question que tu aimerais bien qu’on te pose mais qu’on ne t’a jamais posée ?

AS : (rires) C’est fatigant comme question. Peut-être mon rapport aux psychédéliques ? Pour ! Je suis pour ! (rires) Dans ma résidence artistique, j’ai un volet sur les psyché. Mais pas seulement. Les champignons d’une manière générale. Il y aurait un champignon pour chaque maladie. Je me suis aussi renseignée sur les pouvoirs de la méditation à guérir certains maux. Je trouve ça dommage qu’on n’explore pas ce volet-là. Il n’y a pas assez de recherches à ce sujet. Sinon il y a des recherches qui vont dans le sens de capitaliser le truc avec les compagnies pharmaceutiques qui vont pouvoir en tirer profit. J’encourage beaucoup les artistes, les scientifiques, les politicien·nes à explorer ce côté qui peut être salvateur.

 

¹ Expo tirée du livre éponyme Musulmanes du monde : À la rencontre de femmes inspirantes de la journaliste Élise Saint-Jullian illustré par l’autrice LK.Imany (Éd. Faces cachées)

Pour en savoir plus au sujet de « Madame Rimitti », le podcast réalisé à l’occasion du Magic Barbès :

² euf : verlan, « feu »

³ Pour en savoir plus au sujet de l’atelier des artistes en exil : @atelierdesartistesexil / https://aa-e.org/fr/

4 chacun vaquait à ses occupations

5 intersectionnalité : concept qui cherche à faire la lumière sur l’ensemble des discriminations de genre, de sexe, de race, de classe et des violations des droits humains

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