Face aux affres de l’existence, NOUS ÉTIONS UNE ARMÉE
"
Auteur·ice : Coralie Lacôte
07/08/2023

Face aux affres de l’existence, NOUS ÉTIONS UNE ARMÉE

Sonder l’âme humaine, passer nos émotions à l’oscilloscope, tenter de percer le mystère de nos existences, tel est l’éternel défi auquel s’attellent de nombreux·ses artistes. À son tour, NOUS ÉTIONS UNE ARMÉE aiguise sa plume et se risque à l’exercice. Porté par un parlé-chanté aussi maîtrisé que désarmant, leurs phrases ciselées et affûtées s’enrobent de mélodies rock parfois synthétiques pour nous parvenir en plein cœur. Vous l’aurez compris, NOUS ÉTIONS UNE ARMÉE s’écrit en majuscules et s’apprête à marquer les esprits.

Autant de bonnes raisons qui nous auront donné envie de les rencontrer lors de leur passage aux iNOUïS du Printemps de Bourges Crédit Mutuel. Lumière sur un duo qui cultive l’obscurité pour trouver la lumière.

La Vague Parallèle : Salut Léo et Rémi, on se rencontre juste après votre concert au Printemps de Bourges, comment ça va aujourd’hui ?

Rémi : Un peu vidé mais hyper content. On a vu les derniers concerts des iNOUïS, c’était super émouvant ! On a profité à fond des dernières minutes avec les copains, donc plein de joie pour moi et de fatigue positive.

Léo : Pareil pour moi. Jouer le samedi était un peu éprouvant parce qu’on a passé toute la semaine ici à voir les autres concerts, à écouter de la musique, etc. J’ai aussi eu une sorte d’adrénaline à notre arrivée qui n’est jamais partie jusqu’au concert. Donc je suis aussi vide. On a l’habitude que la fin de notre concert soit un peu chaotique, mais là elle l’était particulièrement (rires). Mais on a aussi aimé ça. Puis en effet c’était émouvant de jouer devant tous les potes et de voir les derniers concerts. Je l’ai dit au micro mais c’était vraiment ça qui était hyper important pour moi cette semaine : la rencontre de tous ces groupes et les amitiés qui se sont créées.

LVP : On vous a d’ailleurs vus toute la semaine au premier rang pour les concerts des autres iNOUïS. C’était important pour vous de les soutenir ? 

Rémi : Carrément !

LVP : Vous pensez que cet état d’esprit était partagé ?

Léo : Globalement oui. Ce qui est aussi trop bien c’est que cette semaine j’ai vu des concerts de styles différents, auxquels je n’assiste jamais et c’est génial parce que c’est vrai que les styles ont de vraies différences. Un concert de rap, presque fondamentalement, ce n’est pas la même chose qu’un concert de rock. Dans sa forme, c’est autre chose, un autre objet artistique. Le fait d’aller à chaque concert, de se dire qu’on va aimer parce que ce sont des amis, qu’on a passé la semaine avec eux.elles et qu’humainement se sont des gens chouettes, m’incitait à essayer de m’ouvrir. Ce qui fait qu’on se prend parfois des claques à des endroits auxquels on ne s’attend pas du tout.

LVP : Vous avez été tellement impressionnés qu’à la fin de votre concert, vous avez confié avoir été plus stressés par le fait de jouer devant les autres iNOUïS que devant les professionnels présents dans la salle. 

Léo : Oui. Ils nous ont tellement impressionnés sur scène qu’on voulait être à la hauteur !

© Caroline Jollin

LVP : Comme vous l’avez évoqué, vous êtes ici dans le cadre des iNOUïS du Printemps de Bourges Crédit Mutuel, qu’est-ce que ça représente pour vous ?

Léo : On nous en parle depuis longtemps. Lors du tout premier concert qu’on a fait après le Covid à l’automne 2020, on nous a suggéré l’idée de faire les iNOUïS, mais pour nous c’était trop tôt, on ne se sentait pas vraiment prêts donc on ne l’avait pas fait. L’année suivante, on nous l’a reproposé mais on ne se sentait toujours pas prêts.

Rémi : On avait vraiment envie de l’être.

Léo : Il y a plein de groupes que je connais et avec qui j’ai travaillé qui l’avaient fait. Donc il y avait toujours cette idée qu’un jour on le ferait. Cette année ce n’était pas possible de ne pas y aller.

LVP : On imagine que vous aviez la pression. Vous l’avez abordé comme un défi ?

Léo : Attendre nous a permis de beaucoup jouer avant. Aujourd’hui c’était un peu différent mais par exemple le concert des auditions était vraiment un concert comme un autre pour moi. Du coup, il n’y avait pas vraiment de pression.

Rémi : Il y avait plus de pression aujourd’hui.

Léo : Aujourd’hui il y avait de la pression en raison du contexte.

LVP : Sur scène vous avez remercié les iNOUïS en expliquant que c’était un très bon accompagnement, qu’il est difficile de commencer la musique et qu’ils vous ont donc apporté beaucoup. Qu’est-ce que ce dispositif vous a apporté jusqu’ici ?

Léo : Je faisais surtout référence à SUPERFORMA, la SMAC du Mans, qui à l’époque où on n’avait fait que très peu de concerts et où on peinait vraiment, nous a pris dans son dispositif Starter et nous a fait faire notre première résidence, nos premiers concerts, avant de nous faire faire des premières parties importantes comme pour le concert de Feu! Chatterton, le Be Bop Festival, etc. C’était plutôt à eux que je pensais et à Trempo qui vient de se rajouter à eux grâce aux iNOUïS justement. Sinon, c’est vrai qu’avec les iNOUïS on a eu des stages et des cours cette semaine.

Rémi : Mais ce qu’on a le plus pris des iNOUïS c’est la rencontre avec les autres artistes. Finalement, les conférences, les cours étaient un contexte, une excuse pour rencontrer ces personnes et leur musique.

LVP : Votre projet prend de plus en plus forme et commence à se définir. Comment le présenteriez-vous à celles et ceux qui ne vous connaissent pas encore ?

Rémi : On a mis longtemps à trouver les mots mais désormais on parle de chanson rock parlé-chanté.

LVP : Vous revendiquez l’interprétation parlé-chanté.

Rémi : Oui, d’ailleurs au tout début on parlait même de Sprechgesang qui est le terme exact mais presque hors-sujet. Ensuite, on parlait de post-rock quand on était un peu plus dans ce style. Maintenant, depuis six mois, on a trouvé cette désignation de « chanson rock parlé-chanté », qui marche et qu’on assume.

Léo : Comme tu le dis, le parlé-chanté est au centre de ce qu’on fait. C’est parti comme ça. Le projet est vraiment né avec ma voix. J’ai voulu faire du français et c’est la seule manière que j’ai trouvée d’en faire. C’est peut-être aussi pour se mettre dans la tradition d’autres groupes. C’est vrai que tout le monde fait un peu de parlé-chanté. Parmi les iNOUïS, il y a plein de projets qui en font, comme PAR.SEK.

Rémi : Liv Oddman aussi.

Léo : Oui c’est vrai. Mais souvent ils ne se définissent pas comme ça. Or, je commence à me dire qu’il y a quand même une vraie tradition avec Fauve, les débuts de Feu! Chatterton ou des groupes plus anciens comme Mendelson ou Diabologum. J’ai écouté ces groupes. Le déclic est aussi venu du sample, de la poésie et des choses comme ça. Mais, je trouve que c’est pas mal de rattacher tout ça comme si c’était un genre.

LVP : C’est pour cette raison que dans votre clip Déjà-vu apparaissent les paroles, pour souligner l’importance des textes ?

Léo : C’est vrai qu’il y a quelque chose d’assez graphique dans les clips qu’on aimait bien, avec ces mots qui apparaissent un peu sur un autre plan que l’image. Et puis aussi parce que c’est quand même pas mal de comprendre ce qui est dit.

LVP : D’autant que l’attention que vous portez aux paroles transparaît dans votre musique. On a l’impression que même l’instrumentation est réfléchie pour laisser la place aux textes. Comment les écrivez-vous ? Est-ce que vous écrivez à deux ?

Léo : C’est difficile. C’est moi qui fait tout tout seul. Après, on travaille avec Rémi, on réadapte pour le live, on retravaille des morceaux que l’on veut ressortir, etc. Ça part quand même de choses que j’écrites et faites tout seul. Mais c’est vrai que c’est super dur parce que ce n’est pas facile de laisser de la place.

Rémi : Tu te poses cette question ?

Léo : Oui. En fait, je fais plein de morceaux sans voix. Ensuite, je parle dessus et c’est retravaillé. Ce ne sont pas du tout des textes que j’écris et que je mets en musique. Par exemple, je fais aussi plein de morceaux que j’aime, qui peuvent vraiment sonner en live et puis je me rends compte que je ne peux pas chanter dessus parce qu’il n’y a pas assez de place, parce que c’est trop dur à placer. Donc oui, c’est un vrai questionnement.

LVP : À quel moment vous vous dites que vous avez trouvé le bon équilibre d’une chanson ?

Rémi : Ça met beaucoup de temps. Les morceaux évoluent énormément avec les concerts. Je pense que c’est au bout de quinze dates où on a joué le morceau qu’il est fini. C’est surtout pour la voix parce qu’au début le schéma classique est que Léo chuchote et à la fin il finit par interpréter pleinement le morceau, on finit par comprendre le texte. Pour le moment j’ai l’impression que tous les morceaux ont été finis en concert, à force d’être joués.

LVP : Donc l’écriture de vos textes se fait en mouvement, vos paroles naissent d’une succession de retouches ?

Léo : Non, il n’y a pas vraiment de changement dans les textes.

LVP : En écoutant vos morceaux, on semble percevoir un véritable travail d’écriture.

Léo : Il y en a un. Là j’ai dit que je parlais sur de la musique mais parfois pour trouver la suite d’une phrase, je passe trois mois donc c’est un vrai travail de maturation. Je le fais en m’enregistrant sur la musique que j’ai préalablement composée mais ça n’empêche qu’il y a un vrai travail d’écriture. Quand je dis que je n’écris pas le texte avant c’est parce que les mots viennent vraiment sur la musique, via la manière dont je peux placer ma voix rythmiquement. Souvent j’entends des voyelles ou des syllabes sans trop savoir ce que ça va raconter. Je les entends presque murmuré·es. Et finalement, je trouve une phrase qui colle. Mais c’est vrai que ça met énormément de temps parce que le plus dur est de trouver cette fluidité-là, celle propre au parlé. Je n’ai pas non plus envie de faire quelque chose de trop poétique, je n’ai pas envie de dire des poèmes.

Rémi : Oui, c’est vraiment de la chanson.

Léo : Avec des phrases qui peuvent marquer, être mémorables, et garder quelque chose d’assez direct. Et ça, ça prend énormément de temps parce que c’est compliqué, il faut que ce soit à la fois fluide en le disant et que ça ait un sens.

© Julien Leguay

LVP : Tu évoques souvent des états de latence, d’attente douloureuse. Est-ce que tu as des sujets de prédilection ?

Léo : Je pense que c’est aussi lié à tout ce qu’on vit là. J’ai été super touché par les autres iNOUïS et notamment EXAUBABA qui a fait un show incroyable et qui disait : « Fuck les labels, ceux qui ne croient pas en nous, on va tous vous niquer ». Avec tous ces artistes, on se retrouve ici, on est un peu tous·tes dans l’attente, avec cette sorte de rage de la compétition même si on a envie de travailler ensemble. Je pense qu’il y a aussi de ça et qu’on le ressent. Tout ça se rejoint. C’est presque aussi la musique qui crée ce que je dis dedans.

Rémi : C’est drôle parce qu’il y a la moitié des textes qui sont sur l’attente, et l’autre qui dit : « J’ai fait mon choix, je l’assume. » C’est un peu les deux étapes de cette énergie.

Léo : Exactement. Comme Rémi dit, il y a notamment un morceau qui est important pour nous et qui est presque au futur, où c’est comme un mantra que je me répète : « Pour la vie éternelle, pour le temps qu’il me reste, pour toi, j’attendrai la lumière, je retrouverai la force sans toi… ». Puis ça monte et je dis : « Je vivrai la vie que j’ai inventé le soir », etc. C’est une chanson heureuse mais qui n’est pas au présent. Il y a l’idée que l’on se persuade. Comme le passage dans le set qui est crié et où je dis : « C’est un bonheur trop grand, ce sont des larmes de joie » où vu comme c’est chanté, on ne peut pas penser que c’est sincère. D’ailleurs, on a vu une coach qui a voulu qu’on lui explique les textes.

Rémi : C’était un très grand moment.

Léo : On se rendait compte que pour chaque texte, je voulais dire l’inverse de ce que je chantais. Et que je l’interprétais de manière à ce que ce soit toujours ambivalent, qu’il y ait des phrases qui puissent être prises dans un sens comme dans son extrême opposé.

La Vague Parallèle : Il y a une chanson qui ne semble pas pouvoir être comprise dans le mauvais sens, dans laquelle tu chantes :

« J’ai peur que tout redevienne comme avant,
Quand j’attendais et que les jours se repliaient sur moi
Rien n’arrivait car rien n’arrive quand on attend. »

Vous semblez ne plus attendre puisque les choses arrivent pour vous dans la musique.

Rémi : Oh ce n’est pas dit ! Les iNOUïS peuvent être prises comme une consécration mais il peut aussi ne rien se passer du tout. Je crois que de toute façon on n’est jamais totalement sorti·es de l’attente mais c’est vrai que ce morceau est le plus récent du set et j’ai l’impression qu’il n’a pas le même sens que les autres, qu’il a peut-être quelque chose d’accompli.

LVP : Rémi, tu arrives un peu plus tard dans le processus de création. Est-ce que c’est difficile de trouver sa place, de réussir à t’emparer du morceau en cours de création, à le faire tien et à le faire évoluer ?

Rémi : Je suis rapidement hyper fan des morceaux. Avec Léo, on a la même culture, on aime les mêmes esthétiques donc quand il me fait écouter une chanson qu’il a faite dont il est fier, généralement je l’adore et je n’ai pas de difficultés à l’intégrer et à prendre du plaisir à la jouer. C’est vrai que ça prend quelques concerts pour la faire mienne. Par exemple pour Rendez-vous, je pense que je ne me suis pas encore complètement imprégné de mes parties de guitare. Mais pour toutes les autres, au bout de quelques concerts, je sens que je les ai intégrées. Avec les dates, je m’imprègne du morceau et le vis complètement.

LVP : Les concerts sont importants pour vous ?

Rémi : Oui, c’est le plus important je pense.

Léo : Au tout début, quand personne ne connaissait le projet, j’ai fait quatre titres sous le nom de NOUS ÉTIONS UNE ARMÉE, qui ont disparu depuis et qui n’étaient pas du tout pensés pour le live. Je faisais de la musique mais je ne voulais pas jouer en concert, j’étais un peu dans un délire « one man band » qui fait ses morceaux, qui les mixe et les sort mais qui ne fait aucun live.

Rémi : Comme tu faisais avant finalement.

Léo : Oui c’est ça. Ce n’était vraiment pas pensé pour le live, pour moi c’était impossible de faire des concerts. Puis Rémi les a écoutés en premier, il les a aimés et petit à petit je me suis dit que ce serait bien de faire des concerts. Depuis, la création a presque totalement changé parce la scène est passée par là.

Rémi : C’est vrai qu’il y a pas mal de morceaux que tu as créés en pensant au live.

Léo : Complètement !

LVP : C’est paradoxal que le projet ait commencé en étant pensé autour de la musique enregistrée puisque pour le moment on ne trouve qu’un seul morceau sur les plateformes de streaming. 

Rémi : Ça, cest une autre histoire ça (rires).

Léo : Je le savais un peu mais on a découvert aussi la force du parlé-chanté pour la scène, qui est quand même un endroit très bizarre, où on ne s’attend jamais en allant voir un concert à ce qu’un homme nous parle, à ce qu’il y ait cette frontière vraiment étrange entre celui qui a écrit, celui qui interprète, si c’est un musicien ou un acteur. On ne sait jamais où on est. Et ça, c’est fort. Ça repose vraiment là-dessus.

LVP : Vous sentez parfois la fébrilité du public ?

Rémi : Moi je n’arrive pas trop à sentir ça. Je n’arrive pas vraiment à regarder les visages. Ce qu’on sent bien c’est quand les gens sont attentifs. C’est assez facile. Quand on a un silence dans les moments calmes des morceaux, on comprend que les gens sont avec nous. Alors qu’on ne le sent pas quand on est à fond puisqu’on est sur nous. En tout cas, je ne vais pas voir le public quand je joue fort. Typiquement, sur le morceau de la playlist des iNOUïS, Rendez-vous, une fois sur deux il y a une fausse fin et à chaque fois la question est : « est-ce que le public va applaudir ? ». Tout à l’heure, ils·elles ne l’ont pas fait, on était super contents. Généralement, quand on a un public attentif, ils n’applaudissent pas à ce moment-là et c’est bon signe.

Léo : Après, j’ai aussi du mal à savoir. Je suis tellement dans une posture que c’est seulement en sortant que je commence à réaliser.

Rémi : Systématiquement, on se demande à la fin si c’était bien, si ça a plu, etc.

LVP : On arrive au terme de l’interview. Qu’est-ce qu’on peut attendre pour la suite ? Un premier EP ?

Rémi : Oui ! Un dixième premier EP (rires). Plus sérieusement, oui. Il y a des morceaux qui sont prêts, qu’on ne joue pas en live. On attendait aussi le Printemps de Bourges et le fait que des professionnel·les nous voient pour savoir si on le sort tout seul ou si on le fait avec un label. Mais dans tous les cas, ça sortira en fin d’année ou début 2024. Il y a aussi plein de chanson qu’on joue en live, on ne sait pas si elles sortiront un jour. On verra.

LVP : Pour finir, quels souvenirs garderez-vous de votre premier passage au Printemps de Bourges ?

Rémi : Les copains ! On a rencontré des personnes trop cool, sympas et super fortes.


 

Spécialement sélectionné pour toi :

Découvre d’autres articles :

Mauve:
Mauve: