“Le groupe que le monde entier attendait” ou encore “le collectif belge qui réinvente le hip-hop” : légère pression. Deux singles seulement et déjà une solide réputation de futures fiertés nationales. Cassant les codes et embrasant les scènes du pays et d’ailleurs, Glauque est the next thing à ne surtout pas manquer. C’est donc dans ce mélange d’impatience et de trac que nous leur donnons rendez-vous lors de la première édition du festival liégeois Austral Boreal. Deux-trois blagues un peu décalées et quelques sourires plus tard, les cinq Namurois font tomber toutes les préconceptions alimentées par cette frénésie médiatique. Humilité attachante, insouciance bienveillante et humour chaleureux : les nouveaux phénomènes de la scène belge sont comme vous et moi. En bien plus talentueux et mille fois plus canons, bien sûr.
La Vague Parallèle : Hello Glauque, comment allez-vous ? Chauds pour votre retour à Liège ?
Louis : Ouais ! La dernière fois c’était Les Ardentes je pense, non ?
Aaron : Il y a aussi eu le Reflektor. Pour cette date-ci au festival Austral Boreal, on ne s’attendait pas à une si grande salle (Caserne Fonck, ndlr). Elle est chouette et jouer en salle c’est toujours un plus, notamment pour les lights et tout ça.
LVP : Vous parlez du festival Les Ardentes pendant lequel vous avez joué lors de votre grosse tournée estivale, une tournée qui semble continuer tout le mois d’octobre et de novembre, où on vous verra un peu partout en France et en Belgique. Comment vous vivez tout ça ?
Aaron : Je pense qu’on n’a pas le temps d’y penser.
Louis : Exactement. En réalité, on n’a jamais réellement eu de moment off. Si ce n’était pas le projet musical qui nous occupait, c’était d’autres projets parallèles donc cela ne nous a pas vraiment donné le temps d’y réfléchir.
Aaron : Et c’est pour ça qu’on a raté nos exams. (rires)
LVP : Si on remonte un peu dans le temps, on situe les débuts de Glauque lors du concours Court-Circuit fin 2018 au Botanique de Bruxelles, un véritable tremplin pour la nouvelle scène musicale de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Que symbolise cette date pour vous ?
Aaron : C’est le commencement du véritable engagement en tant que vrai groupe. On se dit qu’on ne fait plus ça pour rire, on a des engagements à assurer. Tout s’accélère à partir de ce concours.
Louis : C’était le début du côté professionnel de Glauque mais c’était aussi méga symbolique pour nous de pouvoir jouer au Botanique pour la première fois, dans un salle aussi mythique de Belgique.
LVP : Pour 5 jeunes Namurois, ça fait quoi de tout plaquer pour vivre de sa musique et la partager au-delà des frontières, notamment au Canada où vous étiez pour deux dates fin août ?
Louis : En vrai, je pense que personne n’a tout plaqué à part… Moi. (rires) Tout le monde a son activité à côté mais comme tout est encore très frais, je ne me rends pas du tout compte du changement. En soit, tout le monde aura plus ou moins la même vie qu’avant sauf qu’elle sera plus occupée. Tout reste très normal mais à côté de ça il y a aussi cette série de nouvelles opportunités liées au groupe.
LVP : Qui est le plus glauque des 5 ?
Glauque : Lucas !
LVP : Pourquoi Lucas ?
Lucas : Ah moi je ne sais pas, ça ne vient pas de moi !
Louis : Il faudrait demander à ses ex. (rires)
LVP : Niveau musical, votre registre est qualifié d’inqualifiable justement. Vous aviez conscience du risque en partageant une musique aussi singulière dans une industrie jugée parfois codifiée voire homogénéisée ?
Lucas : Je ne pense pas qu’on ait balancé quelque chose d’aussi expérimental que ça. Et puis avec tout ce qui se passe autour du rap, il y a de moins en moins de frontières musicales. Donc je pense qu’il y avait quand même une partie de notre musique à laquelle les gens ont pu facilement se raccrocher. Je ne pense pas que l’esprit de Glauque ait été de proposer une musique qui soit la plus originale ou la plus expérimentale possible. On n’essaie pas forcément d’explorer des registres inconnus, même si certains vont le percevoir comme cela. Personnellement, je ne définirais pas notre musique d’inaccessible.
LVP : Il y a aussi une plume incroyable, on parle notamment de “poésie” quand on se réfère à Glauque. Dans Robot, par exemple, on joue sur cette ambivalence entre des connotations sexuelles assez crues et la légèreté de références au Monde de Nemo, par exemple. C’est quoi le secret d’un tel processus d’écriture ?
Louis : Il n’y a pas de secret, tout est purement instinctif : je me pose, j’écris et si j’aime bien je garde. Il n’y a pas forcément de réflexion profonde en mode : “J’ai envie d’écrire de telle ou telle manière pour faire passer un message en particulier.” Surtout au début, c’est vrai que l’écriture était plus directe, comme sur Robot qui est l’une des premières chansons qu’on ait réalisées tous ensemble. Pour la suite, on va pouvoir découvrir tout un tas de styles d’écritures qui sont très différents, surtout dans les nouveaux morceaux qu’on vient de produire. On peut dire que ce sur quoi nous travaillons actuellement sera certainement un peu moins direct, mais cela restera tout de même très instinctif.
LVP : Vous traitez de sujets assez complexes, notamment celui de la dépendance dans Plane. C’était délicat pour vous d’aborder des thèmes aussi profonds sur vos deux premiers singles ?
Louis : Non. La dépendance, c’est un truc qui existe à plein de niveaux. Dans Plane, cela s’exprime au niveau de la drogue, qui est peut-être la forme de dépendance la plus parlante. Mais en soit, tout le monde est dépendant à quelque chose, tout le monde a des addictions, qu’elles soient sentimentales ou autres. Tu peux éventuellement ne pas pouvoir te passer de ton café le matin, c’est une forme de dépendance comme une autre. Du coup, c’est un sujet ultra universel et c’est la force du morceau : la dépendance on la vit tous, et donc chacun peut interpréter Plane à sa façon.
LVP : C’est quoi les influences qui ont donné cette couleur à Glauque ?
Baptiste : Beaucoup de rock, c’est un peu le background sur lequel on se repose, même si on se rapproche aussi de l’électro. Dans le monde de la musique électronique, on pourrait citer des groupes comme Moderat ou bien Jon Hopkins. Mais, en soit, on écoute vraiment tout un tas de musiques différentes, on n’a pas forcément la volonté de rester figés dans un seul style musical. Pour l’instant, on produit un tel type de musique mais cela pourrait évoluer en fonction de ce qu’on a envie de faire et de ce que l’on veut exprimer.
LVP : La force de votre rap, c’est aussi cette facette très électronique qui l’enrobe. C’était compliqué d’harmoniser le mariage entre la complexité de l’électro et celle du rap ?
Baptiste : On va dire qu’on est toujours dans une certaine phase d’expérimentation, on essaie des choses.
Aadreijan : C’est différent d’un morceau à l’autre, ça va dans les deux sens. Autant parfois c’est le rap qui vient s’adapter à la musique électronique, autant parfois c’est l’inverse.
Lucas : On n’a pas forcément toujours été convaincus nous-mêmes du rendu final. S’il y a un truc qu’on a bien compris depuis le début de Glauque, c’est que parfois une instru et un texte vont très bien donner lorsqu’ils sont isolés mais que le mélange des deux ne fonctionnera pas forcément. Du coup, c’est le genre de choses sur lesquelles on travaille encore, pour que tant la musique que le texte aient leur place.
Louis : C’est un peu l’objectif du projet, d’arriver à un milieu 50/50 entre l’importance du texte et celle de la musique et que les deux se servent.
LVP : Question d’ordre créatif : Dans un futur proche, vous comptez intégrer les fabuleux talents de dompteur de bave de Aaron dans vos lives ? (Seconde vidéo du post Instagram, c’est collector)
(rires moqueurs et honte mortelle d’Aaron)
Louis : Ah mais on aimerait trop !
Aaron : On aurait dû couper ça.
Louis : Ah non mais il faut absolument assumer Aaron, je trouve ça merveilleux ! Il a une gestion de la bave éblouissante, les fluides de son corps sont absolument malléables. Il maîtrise tout. Mais moi j’aimerais bien franchement : une projection d’Aaron sur scène qui ferait des jolies bulles de bave, ça peut être du lourd.
Aaron : Surtout qu’il faut savoir que j’ai inventé une technique pour cracher super loin. Je m’entraîne tous les jours, c’est avant tout du travail et de la persévérance.
LVP : Au sujet de vos prestations scéniques, on ressent une hargne captivante. Qu’est-ce qui catalyse cette fougue sur scène ?
Lucas : La rage de vivre ! (rires)
Louis : En vrai, je ne sais pas trop. Je me suis rendu compte il y a peu que cette forme d’énergie sur scène était assez naturelle, alors qu’au quotidien ce n’est pas du tout le cas. D’ailleurs, je ne pense même pas avoir déjà gueulé dans la vraie vie. C’est instinctif, pour le coup.
Aaron : C’est le genre de situation dans laquelle tu deviens quelqu’un d’autre sur scène. En vérité, c’est plutôt une certaine partie de soi qu’on se permet de partager sur scène, mais qu’on ne dévoilerait pas dans la vraie vie. Il y a une forme de catharsis et d’exutoire sur scène.
LVP : Glauque prend une grande partie de votre temps mais vous avez aussi d’autres projets à côté. Baptiste, par exemple, tu possèdes plusieurs casquettes dont celle d’avoir assuré la production musicale de court-métrages d’animation. Notamment Point d’Orgue pour lequel tu as été sélectionné dans plusieurs festivals du film d’animation dans le monde. Ça t’a apporté quoi musicalement, ce saut entre les deux projets ?
Baptiste : C’était des travaux réalisés lorsque j’étudiais la musique à l’image, j’ai toujours eu cette volonté de créer des choses et de composer. C’est au travers de ces projets-là que j’ai appris à manipuler certains outils et à répondre à une certaine demande particulièrement ciblée de la part d’un client. Du coup, avec Glauque, le processus ne change pas vraiment, sauf qu’on est tous autant les clients que les boss en même temps. On s’accorde en fonction des volontés, des aspirations et des goûts de chacun.
LVP : Votre pépite du moment ?
Glauque : Jakbrol !
Lucas : Dans le registre rock, il y a aussi Thyself qu’on aime beaucoup.
Louis : Yes, ça défonce. Par contre, ce n’est pas du tout la même chose ! Ça n’a rien à voir mais ça vaut vraiment la peine d’aller écouter les deux. Jakbrol c’est un Bruxellois, le genre de rappeur qui est sûrement le seul à faire ce qu’il fait, à assumer ses propos, son flow et sa voix. C’est un mélange qui fonctionne vraiment et il a une identité super forte. Il paraît qu’il est énorme en live.
LVP : J’ai pu comprendre qu’il y avait aussi un autre groupe que vous appréciez tout particulièrement : Odezenne. Et il se fait que vous allez avoir l’honneur d’assurer leur première partie en novembre sur trois dates, dont l’une à Londres. Vous apprenez la nouvelle, vous réagissez comment ?
Aaron : J’ai pleuré. (rires)
Louis : En vrai, ce qu’il s’est passé c’est qu’Odezenne nous a contactés sur Instagram. C’était super sympa de nous aborder directement comme ça. Ils nous ont proposé de faire des dates avec eux, on a joué aux meufs distantes : on a vu le message, on a attendu 1 minute 30 et après on s’est dit que c’était le moment de répondre. Forcément on était hyper content, c’est une opportunité super chouette. Odezenne fait partie des groupes qu’on aime vraiment bien et c’est cool d’avoir l’occasion de rencontrer des gens dont tu aimes la musique. C’est des dates qu’on fait 100% pour le plaisir.
LVP : Si vous deviez définir votre musique en un seul plat, ce serait lequel ?
Louis : Tarte au citron meringuée ! J’adore ça. Et puis pour l’ambivalence entre le côté sucré et très acide.
LVP : Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?
Louis : Plus de temps pour travailler.
Aaron : Plus de chômage. (rires)
Louis : Oui voilà, plus de chômage que le chômage. Doublez-moi mes semaines !
- 17 Octobre 2019 : MaMa Festival (Paris)
- 26 Octobre 2019 : Grand Théâtre (Verviers – BE)
- 08 Novembre 2019 : FiftyFifty Lab (Bruxelles – BE)
- 22 Novembre 2019 : Le Transbordeur (Lyon)
- 27 Novembre 2019 : Splendid (Lille)
- 30 Novembre 2019 : Charabia Festival (Reims)
Caméléon musical aux allures de mafieux sicilien.