Hervé : “Je voulais que, dans chaque titre, les émotions soient identifiables”
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Auteur·ice : Valentin Dantinne
15/06/2020

Hervé : “Je voulais que, dans chaque titre, les émotions soient identifiables”

À l’occasion de la sortie de son premier album, Hyper, on a donné rendez-vous à Hervé. Après un premier EP en 2019, l’artiste s’essaie pour la première fois à l’exercice du long format. Il nous accueille virtuellement, tout sourire, dans la cour de son immeuble, rythmant l’entretien par des « Salut Daniel » à l’adresse de son voisin sortant du bâtiment. Écartelé entre le hip-hop et les musiques électroniques depuis ses débuts, Hervé nous livre un album hautement personnel. Un album qu’il a voulu chargé de toutes les variations d’émotions qui sont siennes ainsi que de toutes les références qu’il absorbe dans sa propre consommation musicale. Hyper est sa première carte de visite long-format et l’installe déjà comme la petite boule d’énergie de la chanson française des années 2020. Un artiste entier, qui n’hésite pas à aller droit au but, surtout lorsqu’il s’agit d’exprimer ses émotions. Hervé, l’intensité dans tout.


LVP : Salut Hervé. La dernière fois que La Vague Parallèle a croisé ta route, c’était lors d’une conférence de presse au Botanique, lors d’un showcase. On t’a découvert pour la première fois sur scène, tu jouais les morceaux de l’EP. Ça fait un bail, déjà. Il s’est passé quoi depuis, pour Hervé ?

Hervé : Salut La Vague Parallèle. Ouais, j’avais joué deux titres, Cœur poids plume et Va piano. Je me souviens bien ! Alors c’était y a un an… depuis j’ai sorti l’EP entre deux, Mélancolie F.C. J’ai fait ma première tournée d’été, je devais être pas loin au milieu des premières parties avec Eddy (de Pretto). On a fait dix Zéniths. Après, qu’est-ce que j’ai fait ? (rires) En août, j’ai écrit l’album, septembre-octobre j’ai fini la production, décembre je suis rentré en mix avec Julien Delfaud. En janvier j’ai fini le mix, première semaine de février j’ai fait le mastering avec Alex Gopher, et puis après on était confinés hein ! (rires) Après, j’ai sorti trois titres pendant le confinement, j’ai fait deux clips avec les moyens du bord. (rires)

LVP : T’as fait tout ça en un an, et là tu t’apprêtes à sortir ton album.

Hervé : Eh ouais, putain. (sourire) C’est incroyable. (rires) Je suis content de le sortir.

LVP : Tu sais, j’ai seulement découvert bien après avoir entendu ton premier EP que tu étais à l’origine du groupe Postaal. C’était étonnant, et en même temps cohérent, lorsque je l’ai appris. J’ai saigné Burnin’ à l’époque. Est-ce que Hervé a bénéficié d’un héritage de l’époque Postaal ?

Hervé : C’est sûr. (pause) C’est sûr parce que Postaal c’est le premier groupe que je monte, on est deux, un Français et un Anglais. On se retrouve à être managés en Angleterre, à tourner en Angleterre. Par exemple, le clip de Burnin’, je montais des courts-métrages entre eux pour en faire des clips. Je mettais un peu la main à la pâte sur la vidéo, sur les visuels aussi. J’ai fait mes armes avec Postaal, avec toute la production. Produire un EP, produire une petite entreprise à nous tous seuls, on avait notre label à Londres. Donc, oui clairement et forcément aujourd’hui quand je produis mon disque ou mon EP, j’utilise le même kit que j’utilisais avant. Y a ce truc que la basse que je veux, je l’identifie parce que j’ai le même ordi, le même logiciel, la même façon de travailler. Après, maintenant y a ce truc que c’est en français, je chante et j’écris.

LVP : Maintenant c’est au tour de ton premier album, Hyper. Hyper, c’est pour hyper sensible ?

Hervé : Ouais. Bien sûr, bien vu. (rires)

LVP : C’est marrant parce que Hyper, c’est un des adjectifs auquel j’ai pensé pour décrire ta musique. Une sorte d’hyper chanson française, en ce qu’elle emprunterait à beaucoup d’autres genres et serait chargée de milles influences, comme pour se renforcer, mais resterait par essence de la chanson française.

Hervé : Ouais, j’ai ouvert les fenêtres un peu avec cet album. En fait, Hyper, c’est venu, c’était évident. J’ai cherché un nom, des mots, des trucs et tout, mais je voulais un mot qui caractérise le plus l’intensité. Sur le côté où ça va soit très bien, soit très mal. J’ai ce truc un peu entier tout le temps qui bouillonne en moi. Un événement peut complètement me descendre, que ce soit un truc anodin que j’ai mal interprété, bref des trucs à la con parce que je suis né comme ça, mon architecture cérébrale quoi, relou. (rires) Mais en même temps, c’est cool aussi parce que je m’ennuie pas. Je suis né comme ça et Hyper, c’était ça. Forcément dans les titres, j’ai fait un onze titres et je voulais absolument que dans chacun des titres, toutes les émotions soient identifiées. (sourire) Tu vois, ça veut dire par exemple sur Fureur de vivre, c’est la gamberge ; je voulais que l’émotion passe tout de suite. Pareil sur Paréo parade, je passe l’été à Paris, tout le monde est en train de kiffer, j’ai envie que ça se sente. Quand je fais Maelström, j’ai envie que ça se sente, je mets des oiseaux au début. J’ai besoin que les émotions soient très identifiables rapidement. Quand c’est l’heure de danser, c’est l’heure de danser. (sourire)

© Romain Sellier

LVP : Ça passe par du tropical sur Paréo parade, à de la french touch sur La peur des mots ou Addenda, voire même de la drum’n’bass sur Bel Air. Comment ça va, dans ta tête ? Ça doit être un beau bordel ? (rires)

Hervé : (rires) Pffff. Regarde ma playlist, ça va te faire rigoler. Je calcule pas en vrai. Je me lève, je fais un titre, c’est jungle 160 bpm. (rires) Je me réveille un autre matin, c’est un piano voix. Ça représente aussi ce que j’ai écouté et ce que j’écoute, de la chanson française, des Higelin, des Bashung, des Christophe (paix à son âme), tu vas me retrouver à passer de Christine à The Streets, slowthai, King Krule, tous ces trucs UK. Une heure après, je serai en train d’écouter de la bossa. J’ai pas voulu faire un disque de genre. Après, peut-être qu’à l’avenir… (pause) Gainsbourg il faisait un album reggae, un album new wave, funk. Mais l’exercice de style dans la production pour un premier disque, j’avais pas envie. J’explore et puis c’est pas parce que demain Paréo parade il pète que je vais faire un album tropical derrière. Si ça se trouve, je vais revenir avec un projet sans parole tu vois. (rires) C’est de la zik, c’est du partage, c’est du bonheur et de l’émotion, moi je propose tu vois, j’ai des potes qui adorent Bel Air et qui détestent Paréo parade et d’autres l’inverse.

LVP : Quand ont été écrits ces titres ? Est-ce que le confinement a joué sur tes émotions ? Est-ce que ça les a annihilées, ou renforcées ? 

Hervé : J’ai écrit l’album en août-septembre. Je sortais d’un confinement d’album tu sais. Puis ça a été le confinement. Putain, laisse tomber. (rires) J’étais prêt à sortir, à aller sur scène, j’ai fait du sport, j’ai tourné des clips, j’étais prêt à y aller et à défendre mon premier disque. Du coup, j’ai été re-confiné, j’ai pas tenu et j’ai fait des clips. Entre les promos, les clips, les sessions live, j’ai rien vu passer. Ça ne s’est pas arrêté depuis, j’ai fait la promo confiné.

LVP : On te place souvent dans la lignée d’un Bashung. Sur Paréo parade, j’ai eu un ressenti de -M- dans Machistador. Paréo parade, c’est un morceau un peu plus chaloupé, susurré, qui groove. Ta façon à toi d’être un peu joueur sur scène ?

Hervé : Ah trop bien, chanmé que t’aies ce ressenti ! C’est vraiment un morceau pour faire le con. C’est toute cette chanson-là, toute cette chanson qu’on a la chance d’avoir dans la chanson française. C’est-à-dire que les Anglais, ils ont ce truc de flegme, un peu UK de lads cools et nous on a ce truc français de vocabulaire. Quand Bashung fait « l’encéphalo qui faut » ou Higelin Poil dans la main, ils sont tous incroyables. Stromae aussi, il a un truc de vocabulaire qui est ouf. Je voulais trop me taper un délire comme ça et engager un truc… pas vraiment second degré mais ce truc du mec qui arrive à Paris et puis qui se dit « fait chier ». Puis des paréos… (pause) je sais même pas si on met encore des paréos tu vois.

LVP : J’aime assez bien prendre attention aux champs lexicaux qui sont présents dans les textes des artistes. Chez toi, j’aurais tendance à repérer les champs de l’amour, plus largement que l’amour, j’aurais même tendance à dire le champ des sentiments. Fureur, peur, peine, amour… tout s’y trouve.

Hervé : Exactement.

LVP : Mais aussi les champs de l’espoir et de la lumière parce qu’il y a beaucoup de références à l’ombre et à la lumière ou aux up and downs. Ça te convient comme lecture ?

Hervé : Oui, je pense qu’il y a cette dualité-là qui existe dans la vie de tout le monde. Moi, c’est un besoin que j’ai d’en parler. C’est un peu comme le temps qu’il y a en ce moment d’ailleurs, il fait beau là, puis il y a une minute il flottait sur mon clavier, tu vois. C’est ce truc-là que j’aime dans la vie, l’intensité d’un moment heureux fulgurant.

LVP : On le ressent fort dans l’album. Il est survitaminé, c’est un judicieux mélange entre une production dynamique et des mots, forts, scandés de manière incisive. Puis, on tombe sur Fureur de vivre, qui remet tout à plat, comme une sorte d’accalmie douce dans l’album. Ça m’a scotché, j’ai trouvé ça puissant, mais puissant silencieusement. C’est vrai que dans le tumulte de l’album, ce morceau d’accalmie apporte au final une certaine force lui aussi.

Hervé : C’était super important pour moi cette chanson. C’était la clé. Sa place dans l’album, c’était le moment. Et le fait que ça parte et explose à la fin, c’était le but aussi, c’est ce que j’ai voulu faire. Toutes les émotions que j’ai pu traverser, y en a des millions. Mais Fureur de vivre c’était important, la répétition du texte aussi était importante.

LVP : Les « j’tue l’temps » répétés par trois fois m’ont donné l’impression d’entendre une pendule résonner. Je trouve ça super intéressant. Tu joues beaucoup avec la rythmique dans tes chansons, ça se voit même encore plus en live. Tu les construis comme ça ?

Hervé : C’est exactement ça. T’as grave compris, t’es le premier qui me le dit là, c’est exactement ça. Je l’ai écrit comme ça, c’est-à-dire que je voulais que même au niveau de la rythmique, il y ait ce truc un peu progressif et un peu lent qui devienne une rengaine, comme une pendule comme tu dis. Mais en fait, ça évolue quand même dans la production, pour finir avec un espèce de truc crescendo et une fin en fanfare. Comme je suis producteur et que je fais toute la production du disque, je fais tout dans ma chambre, c’est super important pour moi que la rythmique soit réfléchie. Le choix du mixeur, c’est aussi hyper important. J’aime bien la dimension d’un album aussi, c’est pour ça que j’ai voulu le faire court et que les BPM s’enchaînent comme je l’entendais. Que l’album se finisse sur Bel Air c’était aussi très important, c’est comme ça qu’il devait finir. Je le savais en faisant le titre qu’il clôturerait l’album.

LVP : T’es conscient que ta musique fait secouer la tête et les jambes et que tu seras sans doute responsable de pas mal de courbatures dans les semaines à venir ?

Hervé : Franchement, je suis très honnête, je sais pas. (sourire) Moi, le seul truc que j’ai fait, c’est faire le meilleur disque possible et tout mettre dedans, même aussi physiquement. Sur scène, je donne tout physiquement et pendant la période où j’ai fait cet album, c’était pareil. Franchement, sur l’album j’ai aucun regret. J’ai tellement tout donné, j’ai tellement pas dormi. Produire une disque tout seul, c’est vraiment une mayonnaise. Parce que quand t’écris les chansons, après tu les envoies à un mec. Le mec il fait la prod, il enregistre les batteries, toi t’arrives à la fin, tu dis « j’aime bien j’aime pas », on mixe. Quand t’es au cœur du poulet comme ça, et que si tu perds ton ordi tu perds le disque, c’est pas la même chose. Donc j’ai vraiment tout donné. La seule chose dont j’ai conscience c’est que j’ai tout mis dedans. Je vais le défendre post-confinement, pour proposer un truc en fait simplement. Si y a un titre qui plaît aux gens, je serais déjà content. J’ai pas encore l’impression qu’il va sortir de ma chambre. Moi-même, je suis pas allé acheter un disque physiquement depuis le confinement tu vois. J’ai pas vu de concert, j’en fais pas, je revois seulement mes équipes avec des masques.

Non mais franchement, c’est la vie. J’ai pas été touché, j’ai des proches qui ont été touchés, d’autres qui sont décédés mais Dieu soit loué, franchement, ça va. Il faut sortir de la musique. C’est important de l’ouvrir. J’avais pas envie d’attendre et de dire qu’il fallait qu’on attende que tous les circuits commerciaux soient de nouveau opérationnels, qu’on soit certains de faire Disque d’or, j’en ai rien à foutre. Les gens, ils vont l’écouter dans la bagnole, comme moi je l’écoute en allant me balader ou en allant au stu’. Cet album, il va bien aussi avec la période. Il est là, je vais pas le garder dans le disque dur avant que j’aie une tournée de quatre-vingt dates. La question s’est tout de même posée si on allait le sortir ou pas, parce qu’il y avait beaucoup de pudeur, je suis pas trop sur les réseaux. Mais je me suis dit « non, on le sort, on y va ». C’est de la zik au final. Avec le clip de Si bien du mal, j’ai reçu plus de 150 vidéos de personnes. La zik, elle était à sa place en fait. Il y avait un truc de lâcher prise, tu mettais la zik, tu dansais et y avait pas de « salut je suis trop fan de toi », c’était plus « salut j’écoute ton son ça me fait danser donc je pose mon tel et je danse ». C’était hyper simple.

Simple. Un mot qui résume bien l’artiste qu’est Hervé. Son premier album, Hyper, sera disponible le 19 juin sur toutes les plateformes, et on vous conseille de l’écouter à fond dans la bagnole mais surtout d’aller le voir en concert dès que possible.

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