Claude : “J’ai dressé la liste de mes défauts pour écrire mon premier album”
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Auteur·ice : Marthe Rousseau
11/10/2024

Claude : “J’ai dressé la liste de mes défauts pour écrire mon premier album”

| Photo : Quitterie Scipioni-Guenancia pour La Vague Parallèle

Auteur-compositeur et interprète à la gouaille reconnaissable, Claude avait déjà attiré notre attention avec des titres addictifs comme Aide-moi un peu, La fille de Bennington ou Addition. La récente recrue de Microqlima n’a jamais écouté de “chanson française” et pourtant, c’est bien sa façon de jouer avec les mots, de rouler les R, et de raconter des existences solitaires qui nous touche d’abord en plein cœur. Avec beaucoup d’autodérision, il ajoute à ses textes sensibles une composition minimaliste aux sonorités électroniques, acid. Résultat : il arrive même à nous faire danser sur nos angoisses et nos peurs de l’avenir. Après son premier EP Bientôt la nuit (2023), il nous tardait d’écouter son premier album IN EXTREMIS, désormais disponible. Rencontre. 

La Vague Parallèle : Hello Claude, enchantée ! Ton premier album sort dans deux semaines (nous étions le 26 septembre ndlr), comment tu te sens ?

Claude : Pour le moment ça va mais je pense que mon corps va me dire “en vrai, tu stresses“, au fur et à mesure que l’on se rapproche de l’échéance.

LVP : Tu es naturellement quelqu’un qui angoisse ?

Claude : Bien sûr, je suis en permanence dans un état de tension. Cette sensation est d’ailleurs présente dans tout l’album.

LVP : Quels étaient les autres sujets dont tu voulais parler dans ce premier album ?

Claude : Ce sont des confessions, j’entends quelque chose d’un poil honteux et secret. J’ai dressé la liste de mes défauts, que j’ai étirés ensuite pour les rendre plus binaires. Il y a par exemple l’anxiété et la mauvaise foi dans le titre La pression. Lors du premier couplet, je parle de celles et ceux de mon entourage qui s’inquiètent pour moi, qui souhaitent que j’aille mieux : “Papa dit que Dieu voit tout, Garde ta chaîne autour du cou“, “Ma copine veut l’équilibre, Des émotions prévisibles, “Docteur veut des efforts” etc. Mais je refuse leur aide parce que je considère qu’iels ne devraient pas choisir à ma place. Le titre Baisodrome parle de l’anxiété liée aux relations sexuelles, à la découverte de son corps. Il y a la peur de l’engagement en amour dans Addition, l’égoïsme dans Micro-ondes… C’est plus facile de rigoler de soi, ça dédramatise de ouf.

LVP : Il y a un paradoxe entre ta capacité à te livrer sans artifices dans ces “confessions” et ta façon plus pudique de chanter, l’air presque nonchalant, le tout sur une production relativement minimaliste. C’est important pour toi d’apporter une certaine distance vis-à-vis de tes textes ?

Claude : C’était un sujet avec Alexis Delong (Zaho de Sagazan, Ian Caulfield, Yoa ndlr), qui a supervisé la production de l’album. Il trouvait que les accords que je proposais initialement étaient assez premier degré par rapport aux textes, et pour lui, il fallait que la musique aille dans une autre direction. Par exemple, le titre La pression parle de panique et d’anxiété, et donc on ne pouvait pas en rajouter dans la musique, au risque qu’il devienne une balade lugubre. On y a plutôt apporté du cynisme et du dynamisme, pour marquer ce rythme qui s’accélère. Dans Addition, j’écris les peurs que l’on ressent dans une relation qui avance, et donc de l’engagement. On a réfléchi à la structure, ici en sept accords, contre quatre ou huit dans la majorité des chansons, pour donner l’impression de recommencer avant d’avoir terminé, et de s’additionner même dans la musique.

LVP : Est-ce qu’il y a un ou plusieurs titre(s) coup de cœur sur ton album que tu as envie de partager avec le public ?

Claude : Bien sûr. Je pense à trois morceaux en particulier mais je vais m’arrêter à deux. Je vais dire In extremis, qui a donné son nom à l’album. À la base, je l’ai vraiment écrit en cinq minutes en mode blague, je l’ai laissé de côté et je suis retombé dessus en me disant : “c’est joli en fait“. J’y suis très attaché parce qu’il a une couleur et une interprétation particulières.

LVP : On peut s’arrêter là-dessus ?

Claude : Bien sûr.

LVP : In extremis dénote en effet car quand on l’entend pour la première fois, on croirait que tu chantes en latin. Il y a un côté lyrique, pieux. On se rend compte de la blague seulement à la lecture de tes paroles. Le refrain donne : « In extremis / au bord de la crise de nerfs / Mais quel enfer / Niquez vos mères / Envoyer tout en l’air / Et c’est trop tard ». Tu racontes péter un câble après avoir raté ton train.

Claude : C’était littéralement l’intention. J’avais en tête un chant chrétien : in excelsis (Le Gloria in excelsis Deo ndlr), que j’avais entendu quand j’étais gosse. J’ai cherché quel mot pourrait sonner quasiment pareil, d’où In extremis. Et ce qui est trop drôle, c’est que le “Niquez vos mères“, est quasiment inaudible lorsque je le chante de cette façon.

LVP : Et l’autre morceau dont tu es particulièrement fier sur cet album ?

Claude : Le dernier que j’ai écrit et qui n’était pas prévu initialement : Signes vitaux. Je parle du fait d’être hypocondriaque, soit une bonne grosse partie de ma vie (rires). Je passe mon temps chez le médecin pour rien du tout. J’y étais encore ce matin. J’en ris mais ça reste un peu honteux et douloureux.

Je veux que le public ressorte du concert comme s’il avait crié pendant une descente de tyrolienne à l’accrobranche“, Claude


LVP : Quel·les artistes t’ont inspiré pour écrire et composer IN EXTREMIS ?

Claude : Gorillaz, je pense. Pas tant dans la musique que dans la manière de faire les choses, d’expérimenter, de ne pas s’interdire d’ajouter des sons bizarres. Il y a par exemple certains titres de mon premier album où vous pouvez entendre un “waf” très particulier, c’est un son de chien d’un synthé japonais des années 1980. Il est quasiment inaudible, parce qu’on l’a traité à fond.

LVP : J’ai l’impression que tu en avais d’autres sous le coude…

Claude: Oui, Thom Yorke pour ses tentatives de faire des trucs un peu voix haute. Radiohead aussi. C’est un des plus grands groupes populaires à avoir testé des structures absolument pas pop, où c’est genre sept accords, puis quatre, puis cinq… C’est incompréhensible en termes de structures, mais ça marche. On le retrouve aussi dans des méga tubes de Tame Impala : un morceau sur trois se joue en trois accords plutôt qu’en quatre par exemple. Weyes Blood, une chanteuse, écrivaine, compositrice brillantissime, travaille elle aussi avec des structures assez complexes. Pour cet album, j’ai également beaucoup écouté H JeuneCrack, un rappeur français, qui est très fort et qui écrit divinement bien, c’est très cru, très brutal, je suis assez fan. Enfin Virginie Despentes, pour l’écriture crue aussi. J’aime bien cette façon de se mettre dans la tête des gens. Elle en fait des portraits ultra réalistes, bourrés de défauts donc jamais très reluisants.

LVP : Tu as une diction et une voix particulières qui constituent vraiment ta marque de fabrique. Tu es entré au conservatoire de musique dès 6 ans, où tu as notamment appris la guitare, mais quand est-ce que tu as découvert que tu avais une voix ?

Claude : Tard, vraiment très très tard. Je ne me suis jamais dit, “j’ai une voix particulière“. Il se trouve que les premiers morceaux que j’ai sortis, sur mon premier projet (Gesleir ndlr), ont intéressé des gens, qui m’ont dit “Tu peux en faire quelque chose“. Donc, j’ai continué. Mais il y a encore un an, je ne savais pas comment je devais chanter. J’étais paumé. Donc, j’en faisais un peu des tonnes, d’une façon presque théâtrale. C’est lors de la préparation de l’album avec Alexis Delong, que je me suis dit “tu parles de sujets très sensibles, ça ne sert à rien d’en rajouter, donc chante le plus naturellement possible“.

LVP : On a beaucoup comparé ta façon de rouler les R à celle du chanteur Claude Nougaro, alors même que tu n’as jamais écouté de chanson française. Comment tu l’expliques ?

Claude : Dans la vie, j’ai tendance à parler vite et je n’articule pas beaucoup. Donc quand je chante, rouler les R me permet au contraire d’y arriver. Mais en effet, la chanson française n’a jamais été dans ma culture. Et c’est un problème, je ne pourrais pas te citer une chanson de Léo Ferré ou d’Alain Souchon. Je peux te citer L’Aigle noir. Moi j’écoutais plutôt de la musique électronique, soul, funk, rap, punk…

LVP : Est-ce qu’il y a un morceau que tu écoutes d’ailleurs en ce moment, et que tu as envie de faire découvrir aux lecteur·ices de La Vague Parallèle ?

Claude : Going to a Town de Rufus Wainwright. J’avais un trajet de 45 minutes l’autre jour, je n’ai écouté que ça. C’est une voix extrêmement profonde, magnifique. Un Américain y raconte en avoir marre des États-Unis et de la vie urbaine, où tout est décevant.

LVP : On finit cette interview par ton concert prévu à La Cigale, le 18 novembre prochain, et qui affiche complet ! Comment tu te prépares au live ?

Claude : Ça va être ultra festif, un grand bazar avec aussi des moments émouvants. On sera trois sur scène et on alternera entre une partie batteries électroniques, synthés et chant; et synthés, chant et puis la (Roland TB) 303, c’est du modulaire en gros, extrêmement identifiable. On l’utilise notamment dans La nausée, Réveille-toi ou sur le refrain de La pression. Il y aura aussi de la danse. Ce ne sera pas au niveau de La Horde, mais j’ai fait beaucoup de danse jusqu’à mes 18/19 ans, et là je reprends des cours pour un clip et ça me permet aussi de me préparer au live.

LVP : Qu’est-ce que tu as envie que les spectateur·ices ressentent en te voyant performer sur scène ?

Claude : En vrai, libération de ouf. Je veux vraiment que ce soit une catharsis de dingo, je veux qu’iels ressortent comme s’iels avaient crié pendant une descente de tyrolienne à l’accrobranche.

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