Maifeld Derby : 3 jours de chaleur et de musique fiévreuse de l’autre côté du Rhin
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Auteur·ice : Mathias Valverde
31/08/2023

Maifeld Derby : 3 jours de chaleur et de musique fiévreuse de l’autre côté du Rhin

Alors que la chaleur accablait l’Europe, nous avons profité d’un week-end de juin pour nous rendre sur les bords du Rhin, à Mannheim, afin d’assister à un festival 100% indépendant. Quoi de mieux qu’un ancien hippodrome surchauffé pour s’ébrouer sur les sons de nos artistes favoris ? La sympathie de l’organisation, la line up et les espaces de détente nous ont permis de ne pas penser au manque de fraicheur offert par le lieu et le soleil de plomb. Récit de trois jours d’ivresse musicale.

À la faveur d’une année passée en Allemagne, nous nous sommes renseignés sur les festivals de la région et avons découvert le Maifeld Derby, un festival revendiqué 100 % indépendant. Les noms de la line up des précédentes années : The National (2014), Slowdive (2017), Alex Cameron (2018), Arlo Parks (2022) nous ont assuré de la programmation pointue de cet évènement. Cette année, la tonne d’artistes invités nous a définitivement donné envie de nous y rendre puisqu’on y attendait Phoenix, Death Grips, Caroline Rose, Sorry, Warpaint, etc.

Vendredi

En arrivant le premier jour sur le site, les cailloux en face de la grande scène, les stands de nourriture et de boissons alignés en plein cagnard et l’autoroute qui passe à côté nous ont rappelé que l’on n’était décidément pas dans un festival au vert. La première approche du Maifeld Derby a été assez rocailleuse. Une fois les derbys dollars récupérés, seule devise autorisée et sans bracelets sponsorisés par des banques (cœur), nous avons inspecté les recoins du site avec pour objectif de trouver de l’ombre et à boire. Le fait qu’aucune grande marque de boisson n’ait de stand et que tous les vendeurs soient des locaux nous a fait grand plaisir. Pour ceux qui aiment les festivals indépendants, sans tout le barnum des grosses productions sans âme, le Maifeld Derby fait figure de résistance dans un paysage de la musique live de plus en plus monétisée. Sous la grande tente, il fait encore frais et à l’abri dans les gradins du stade nous pouvons faire les plans de la journée.

On attend surtout le concert de Mandy, Indiana et de Death Grips aujourd’hui, mais en se déplaçant entre les scènes on tombe sur Agat : petite boule d’énergie qui chante sur une bande son accompagnée d’un batteur. Avec ses combats boots, son gilet à munitions et ses cheveux verts, la jeune femme occupe totalement l’espace. En mode queen, elle balance des punchlines acérées avec une énergie folle sur un son un peu grésillant. À la frontière entre le punk et le rap, le public ne se trompe pas et se lance dans un pogo que la chanteuse rejoindra avant de balancer des dollars à son effigie en quittant la scène d’un pas assuré, son nom inscrit sur l’arrière de son short. La jeune Israélienne a un avenir devant elle et on le lui souhaite rayonnant.

Après cette belle entrée en matière, direction la grande scène redoutée, car en plein soleil. On se poste aux premiers rangs pour assister à l’arrivée de nos chouchoutes anglaises : Los Bitchos. Un peu éreintées par la chaleur et la répétition des concerts depuis deux ans, le groupe tend à trop ralentir sa fusion rock/cumbia à notre goût. Les cinq Anglaises essayent toutefois de transmettre leur énergie et lorsque Serra Petale, énergique guitariste du groupe, se lance dans ses solos, le public déjà dévêtu se fond dans l’ambiance disco-psychédélique.

On enchaine avec le concert de Sevdaliza un peu trop calibré selon nous et avec des chansons assez peu intéressantes en live. Lorsque Surf Curse entre sur la grande scène, on n’est pas dérangé par le fond musical offert par les Américains, sans que cela ne nous détourne trop de nos excellents pierogis, ces fameux dumplings d’Europe centrale que l’on s’envoie avec de la crème fraîche. On écoute avec plaisir le morceau Freaks mais tout ça reste assez générique tout de même.

Bien rassasiés et après avoir passé les derniers concerts assis au fond de la salle, on est disposé à s’attaquer à un des gros morceaux de la journée. On a lu quelque part que Death Grips avait assuré lors du Primavera mais on n’était pas prêt pour une telle claque. Dans une scénographie qui a fait le tour du monde, Stefan Burnett aka MC Ride se présente torse nu sur un fond rouge sang. Depuis le public, on ne voit donc que son ombre se découper sur cette marée cramoisie. La rage de ses lyrics et de ses mouvements prend une toute autre dimension face à tout ce qu’on imagine être le sang versé par la violence de la vie américaine et entretient notre haine face aux violences policières qui touchent les populations racisées en France et ailleurs. Le public bien chaud s’est élancé dans des jets de bière et des pogos déchainés. La masse, très masculine, dégageait toutefois une vibe un peu agressive d’où s’extirpaient les nombreuses femmes connaissant les paroles par cœur mais préférant les scander juste à côté de la meute aveugle. Il reste du travail pour l’inclusivité dans les lieux de concert.

À la fin de la performance, on se dirige vers la plus petite scène du festival abritée par une tente. Face à Bat for Lashes programmée en même temps, on préfère aller se rendre compte du phénomène Mandy, Indiana par nous-même ; il a été ajouté à la programmation en dernière minute. Le groupe tapi dans la pénombre se lance dans une longue intro instrumentale avec un powerlifter au clavier et un homme en chaussette pour régler toutes les pédales de sa guitare. Le groupe anglais est bientôt rejoint par la frenchie de l’équipe Valentine Caulfield coiffée d’une perruque blanche poudrée et de long gants marylinesques. Que dire lorsqu’on entend « Et puis on élit des banquiers et des gros bourges et des rentiers et on s’étonne de se faire baiser » sur un gros mix shoegazy gonflé à l’hélium électronique affublé d’une basse erratique ? On est aux anges, on jette sa tête de gauche à droite, on serre le poing, on danse. L’album I’v seen a way interprété en live nous ravit et confirme le groupe comme une des découvertes de l’année 2023. On termine notre première soirée au Maifeld Derby en se dandinant sur les basses d’Overmono avant de rejoindre notre hôtel car, ayant dépassé 30 ans, il n’est plus possible pour nous de survivre à un camping de festival.

Samedi

Après une petite visite d’Heidelberg, belle ville universitaire à quelques kilomètres de Mannheim, nous nous dirigeons vers le parc des expositions où se déroule le festival juste à temps pour voir Lime Garden. Ce groupe de Brighton n’a pas encore sorti d’album mais enchaine les tubes (Clockwork et Sick and Tired). Le succès de cet indie-rock tirant sur le punk a déjà été vérifié par nos soins en live. En plein soleil, une fois de plus, elles assurent le show tout entrant en interaction avec le public. Chloe Howard raconte sur scène que la line-up du festival l’a fait saliver et qu’elle a pu s’asseoir backstage avec Phoenix ! Le groupe français est attendu en fin de journée. Après le set court mais intense des Anglaises, on rejoint la grande tente pour écouter Caroline Rose. Nous avions adoré le premier album, et la tournée qui l’a suivi tenait toutes les promesses d’un disque exigeant musicalement et drôle par tous les gimmicks et les postures de l’artiste. Après quelques détours, le troisième album de Caroline Rose est empli de la nostalgie d’une relation perdue et de considérations sur l’âge, la réussite et l’amour. En live, on retrouve tout l’humour qu’elle a pu mettre dans Loner (2018) mais l’album The Art of Forgetting (2023) laisse place à de vrais moments d’émotion. À la fin de la chanson Miami, au moment de scander les paroles « You’ve gotta get trough this life somehow », elle ne peut s’empêcher d’essuyer quelques larmes et les milliers de personnes devant la scène également.

La suite du set reprend ses tubes Jeannie Become A Mom ou More of The Same et Caroline se remet dans son personnage plein d’autodérision et de gaucherie dansant dans son pantalon bicolore avec beaucoup de charme. Elle dit venir « malheureusement » des Etats-Unis et on a une pensée pour ce pays en pleine déconfiture face à la poussée des conservateurs. On danse tou·te·s ensemble sur Feel the Way I Want pour clore un set devenu très dansant en chassant nos idées noires.

En attendant la soirée, on jette un œil un peu vitreux de fatigue sur la performance de Noga Erez. Très pop et avec peu d’aspérités, on continue en parallèle d’explorer les stands de nourriture sur une musique sympathique mais peu novatrice. L’énergie nous revient doucement, juste assez pour se placer devant la scène accueillant les Viagra Boys. Le groupe suédois débarque, guidé par Stephen Murphy torse nu et qui porte un jogging ceinturant un bon bierbüch (ventre à bière en alsacien). Habitués des festivals et des scènes, le groupe a un talent non négligeable pour divertir le public et jouer son punk-rock avec une énergie toujours renouvelée. Peut-être que ce dynamisme vient de tout l’aquavit que s’enchaîne Stephen pendant le spectacle. Il se met le public allemand dans la poche en disant qu’il s’est bien ennuyé en Suisse la veille devant un public de petits riches. Entre les morceaux Punk Rock Loser ou Sports, Murphy dit qu’ils ont accepté de venir au Maifeld après avoir entendu qu’il se tenait sur un ancien hippodrome et qu’Oscar Carls, saxophoniste qui donne une tonalité spécifique au groupe, espérait y trouver des médicaments pour chevaux. On ne sait pas s’il les a trouvés, mais on a vu sur les réseaux que les Viagra Boys se sont bien amusés dans les coulisses du festival organisées dans d’anciennes étables où chaque artiste a son box !

La soirée se poursuit avec Loyle Carner. Le rapper reconnu pour ses textes et un son oscillant entre hip-hop, jazz et soul, assure le spectacle pour ses fans. Le côté gentillet de l’artiste nous laisse sur notre faim et on a du mal à apprécier pleinement cette proposition musicale un peu fade. Pour continuer à se faire plein d’ami·e·s, voici maintenant notre avis sur le concert de Phoenix ! Bon, tout d’abord le quatuor versaillais ne nous a jamais vraiment fait vibrer. Mais la réussite du groupe prouve que notre sens de la critique n’est pas tout à fait en accord avec la majorité. Néanmoins, assister à ce concert très attendu par les nombreux fans présents a constitué une réelle expérience. C’est désormais un enchaînement de tubes planétaires que propose les Français sur une scénographie qui apparaît spectaculaire. Mais le rock joyeux et sucré qui a fait la réputation de Phoenix sonne comme un anachronisme aujourd’hui. Est-ce de la pop-rock de boomer ? L’écran géant qui fait passer des images stylisées de bord de mer, du palais de Versailles et de colonnes doriques ajoute à ce sentiment d’une pop surannée. Entre fond d’écran Windows XP et derniers singles d’un album avec lequel on a beaucoup de mal (Alpha Zulu), le groupe semble faire la promotion d’une vie joyeuse, sans problème, tout ça pour que vous ne vous posiez pas de questions en achetant une voiture ou de la lingerie en entendant Listzomania dans une prochaine pub. On est connu pour être rabat-joie, alors ne passons pas sous silence le plaisir et l’extase du public qui a chanté et dansé pendant 1h30. Nous, on est discrètement allé voir The Haunted Youth qui, par son mix shoegaze et électro, capture bien plus l’angoisse et la nécessité d’une lutte à venir.

Dimanche

Dernier jour de ce festival indépendant et on a beaucoup apprécié l’ambiance détendue qui y règne. On se prélasse dans les quelques transats disposés dans l’herbe en attendant le concert de notre groupe préféré du moment : Sorry. En plein soleil pendant toute la performance, Asha Lorentz transpire à grosse goutte sous son bonnet d’aviateur. Le charme anglais que dégagent les mélodies du groupe et les voix d’Asha et de Louis ont toujours un effet apaisant sur nous. On se plait à réentendre les meilleurs morceaux de leur dernier album (Let the light on, There’s so many people, Key to the city) et leurs tubes (Cigarette Packet, Starstruck). Le groupe est un peu plus lent qu’à l’habitude, et la fatigue de la tournée se ressent un peu plus que lors de leur passage à Paris. Iels proposent toutefois avec beaucoup de rigueur leur musique patchwork-rock que l’on a passée en boucle dans nos écouteurs toute l’année. La fin du set marque à chaque fois un déchirement de ne pas poursuivre leur écoute pendant des heures. À quand un festival entièrement dédié à Sorry ?

On enchaîne avec le très british Baxter Dury sous la grande tente. La musique qu’il propose depuis presque deux décennies possède ce fond new-wave adossé à un phrasé particulier dans lequel on reconnaît une tradition de Bowie à Jarvis Cocker. En live, Dury fait le spectacle avec un strip-tease léger avant de nouer sa cravate sur sa tête et de se lancer dans des mouvements d’arts martiaux pendant les longs interludes instrumentaux de ses chansons. Le concert a toutefois du mal à décoller ou à nous emporter et les gesticulations martiales ont un petit goût de célébration du mâle qui nous ennuie un peu. En revanche la musicienne (Madelaine Hart) au clavier qui chante sur presque tous les morceaux fait parcourir de vrais frissons avec une très belle voix, notamment en chantant « je ne suis pas ton chienne ».

Pour se redonner de l’énergie, on va voir le dernier groupe d’art-punk brooklynite à la mode, les Cumgirl8, qui ont récemment signé chez 4AD. La proposition musicale n’est pas encore à la hauteur de l’énergie dégagée ou du style affiché. On continuera de les suivre sans avoir été subjugué. Ensuite, sous la grande tente, M83 joue accompagné par de nombreux musiciens, notamment du groupe Bruit. Chaque composition du français prend plus de profondeur, nous embarque dans un véritable trip post-rock et on a plaisir à entendre le tube Midnight City en live dans cette configuration.

La fatigue gagnant chacun de nos membres en cette fin de festival, on est content de se reposer un peu dans les gradins de l’hippodrome en attendant le groupe folk new-yorkais Florist. Leur dernier album a été capté avec le son de la nature environnante d’une grange dans l’Upstate New York et on s’attend à un concert reposant. Effectivement, on est là sur des ballades folks très planantes et bien exécutées. On se parle tout doucement sur la scène en se demandant si tout va bien entre chaque chanson. Le public est très heureux d’être là, environné par la voix douce de la chanteuse devant un joli coucher de soleil. On a du mal à repartir mais on se fait violence pour le dernier concert du festival : Interpol.

Si on adore toutes les influences du groupe, on avoue avoir du mal avec la froideur monotone de leur son sans la rage ou la résonance d’autres groupes cold-wave. Le set est bien calibré avec une succession des meilleurs morceaux du groupe. On ressort du concert à moitié convaincu et on aurait aimé un groupe plus dense pour finir ce festival.

Il n’en reste pas moins qu’on regarde une dernière fois avec nostalgie le site des concerts avant de rejoindre le tram. Le Maifeld Derby est un super festival qui vaut vraiment le détour. L’ambiance détendue, festive et familiale qui y règne sans les habituels espaces dédiés à des multinationales en font un véritable lieu de musique. La très bonne programmation du festival nous fait espérer de nouvelles éditions pleines de surprises et de groupes à ne pas manquer. On reviendra c’est sûr !

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