NOVICE, ou comment “rester nouveau” selon Jow
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Auteur·ice : Igor Volt
11/06/2025

NOVICE, ou comment “rester nouveau” selon Jow

| Photo : Hugo Payen

Avec NOVICE, le rappeur bruxellois de 21 ans signe un projet délicat, sensible et personnel, à la croisée des chemins entre l’élégance des instruments acoustiques et la précision des textures électroniques. À quelques jours de la sortie de cet EP six titres, Jow nous a ouvert les portes de son studio pour parler musique, rapport à l’image, vision de l’avenir — et même d’amour. 

Il n’en est pas à son coup d’essai. Pour les amoureux·euses de la scène rap émergente de la capitale, c’est même un nom relativement connu. Et pour cause, du haut de sa grosse vingtaine d’années, Jow c’est déjà 3 projets. Le premier, AURORAE, sorti en 2023, lui avait notamment permis de remplir le Witloof au Botanique à l’occasion de sa release party. Le deuxième, MEMOIR_vive, sorti en 2024, aura été l’occasion pour Jow d’explorer une veine plus acoustique avec la parution d’une live session dédiée au projet. Le troisième, NOVICE, sorti il y a quelques jours, sera donc une étape de plus dans la jeune mais néanmoins prolifique carrière de l’artiste. Rencontre. 

La Vague Parallèle : À l’heure où l’on parle, le projet n’est pas encore sorti. Par contre, tu as déjà sorti 2 singles, dont un qui est accompagné d’un clip, A&M. Est-ce que tu es content des retours? 

Jow : Ouais, à fond. En vrai, je suis super content. Ça a fait grave le taf dans ce que nous, on visait. On a eu beaucoup de retours positifs en interne, de gens du milieu. C’est trop cool. Après, les stats, c’est dans un second temps. Pour l’instant, j’essaie de ne pas trop les calculer. Même si parfois, ça fait un peu chier de faire 1 500 vues sur un clip où on s’est donné pendant trois mois. 

LVP : Est-ce que NOVICE a été un projet facile à réaliser? Tu as rencontré des difficultés? 

Jow : Facile, je ne dirais pas. C’est un long processus. À la base, c’était des maquettes pour un autre projet qui n’est finalement pas sorti. J’ai récupéré des trucs, j’ai continué à bosser. Donc ça a été long. Et à ce niveau là, ce n’était pas forcément simple de gérer la longueur et d’être patient. Mais sinon, que du fun.

LVP : Si tu devais dater le début du projet ? 

Jow : Par exemple, pour l’intro, la maquette date de septembre 2023. Donc ça fait quelque chose comme un an et demi.

LVP : Et c’était quoi ton mood à ce moment-là ? 

Jow : C’était après la sortie d’AURORAE. J’avais rencontré Nickel, qui est beaucoup plus axé instruments — c’est un musicien, en plus d’être compositeur et loopmaker. Ça m’a mis grave dans des vibes plus acoustiques, plus organiques. Et ma manière de créer est devenue plus simple, plus droite, sans trop d’effets.

LVP : Au fil de ta carrière, tu as pris le temps de faire vivre tes morceaux dans la durée. Comme lorsque tu sors la live session de MEMOIR_vive trois mois après la parution du projet. C’est un choix de te détacher du rythme de l’industrie ? 

Jow : Oui et non. C’est une conséquence, mais c’est pas volontaire à la base. Comme je suis étudiant, full indépendant, il y a beaucoup de boulot autre que la création. Donc ça amène des délais. Les choses sortent avec plus d’écart que pour des gens avec un label ou une équipe autour. Chez nous, chaque projet prend du temps.

LVP : Parce qu’aujourd’hui, j’ai l’impression que l’industrie est saturée, et que c’est devenu dur de se faire une place durable. C’est des constats qui influencent ta manière de voir les choses? 

Jow : Ouais, faut arriver à ramener quelque chose d’unique dans ce balai énorme de sorties. Un truc personnel, qui te représente. Et réussir à le défendre, c’est compliqué. Ça dépend des gens, mais ça demande de la réflexion.

LVP : Et ce n’est pas quelque chose qui t’embête? 

Jow : Non, pas forcément. Mais c’est des trucs que j’ai découverts avec le temps. Au début, tu fais juste du son. Maintenant j’y pense parce que ça fait partie du processus de se professionnaliser. Même pour des structures plus pros qui tombent sur nous, faut qu’on ait un truc concret à défendre, que ça tienne la route.

LVP : On va évidemment parler musique, mais je voulais commencer par le visuel. On sent que c’est un aspect que tu ne laisses pas au hasard. Pourquoi c’est si important pour toi ? 

Jow : En tant qu’artiste musical, moi je ne peux pas laisser l’aspect visuel de côté. Ça a directement joué dans la manière dont j’ai moi-même découvert la musique, c’est quand même un point qui me fait vraiment kiffer. Tu repenses à un son, tu penses à la cover. Y’a une logique derrière. Depuis le début, avec nos moyens qui évoluent, j’essaie de faire ça au mieux.

LVP : Et toi, tu t’impliques à fond là-dedans ? Prenons le clip de A&M par exemple. 

Jow : Le clip, c’était une collab avec Misha, donc une partie a été gérée par lui et son équipe. Mais le dossier de base, c’est moi qui l’ai écrit. Je lui ai envoyé une première idée, des références de clips, de types d’image, de colorimétrie. Ensuite on met nos idées en commun, et lui fait son taf. C’est le but de collaborer aussi : me dédouaner d’une partie et le laisser faire ce qu’il fait très bien. Quand tu bosses avec des gens en qui t’as 100 % confiance artistiquement, en réalité, ça ne peut que bien se passer. Et c’était le cas avec Misha pour le clip, mais aussi avec Tazer pour les covers, Eyline pour les photos. Je connais leur taf, je sais que je peux leur faire confiance. Du coup, c’est cool.

LVP : Musicalement, ce qui est remarquable chez toi, c’est la rigueur, la précision dans la production et le mix. C’est ta formation d’ingé son qui transpire sur ta musique ? 

Jow : Oui, je pense. C’est ma formation et ma personnalité. Ça dépend des trucs, mais je suis très pointilleux. J’aime bien pousser le truc à 400%, et après, s’il faut trier, on trie, mais j’essaye d’abord de le faire le mieux possible. Usiner quoi.

LVP : Et d’ailleurs, depuis peu ça t’arrive d’être à la prod de tes morceaux ? 

Jow : Ouais, ça commence à venir. Pendant toute la période de recherche du projet, j’ai eu le temps de me poser un peu plus sur le PC, commencer à produire. Ça a donné A&M, qui part d’une base que j’avais faite chez moi et que Bvker a récupérée. Donc on est en co-prod. Pareil sur Lunatique, j’ai rajouté des synthés sur le refrain.

LVP : Poser sur un son que t’as produit, c’est quelque chose de spécial ? 

Jow : Concrètement, dans le moment de création, pas tant. Je pars de plus en plus de loops ou de trucs assez vides qu’il faut remplir. Et quand t’es tout seul, tu fais tout toi-même. Donc ça ne change pas tant la méthode. Juste que, maintenant, j’ai de meilleurs outils. Et oui, je suis content de sortir un son où je peux me créditer en prod et où je me sens légitime de le faire.

| Photo : Hugo Payen

LVP : Il y a dans ta musique un mélange marqué entre textures électroniques et instruments acoustiques, tu es même accompagné de musicien·nes sur scène maintenant. C’est important pour toi, cette dualité ? 

Jow : Ouais, grave. Parce qu’à la base, la musique c’est quand même ça. Même si aujourd’hui, ça a beaucoup évolué — y’a des gens qui font tout sur leur PC, du studio à la scène — c’est incroyable aussi. Mais pour ce projet, je suis parti sur un truc plus hybride. Je trouve ça super intéressant. Avoir des musicien·nes sur scène, c’est une énergie en plus. Et ça permet de se réapproprier les sons différemment pour le live. Et comme le live, c’est un truc que j’adore travailler, ça ouvre plus de possibilités.

LVP : Dans ce projet comme dans les précédents, tu parles beaucoup de Bruxelles. C’est une ville qui t’inspire musicalement ?

Jow : Clairement ! Déjà j’ai grandi ici depuis que je suis petit. Puis après, je trouve ça vraiment cool de voir les gens qui se débrouillent pour faire leurs trucs ici. Quand tu commences à vraiment t’intéresser à ce qui ce passe ici, il y a pleins de profils différents mais ça reste un cercle assez petit comparé à des villes comme Paris, Berlin ou Londres. Ça fait qu’on avance petit à petit, ensemble. Et défendre ce côté-là, ça reste intéressant. 

LVP : Dans tes sons, tu parles pas mal de ton avenir. C’est quelque chose qui te fait peur ou qui te fait rêver ?

Jow : Je crois que comme ça, je ne saurais pas dire. Concrètement, je ne me pose pas beaucoup de questions sur l’avenir. J’avance par étape, par projet. Mais évidemment, il y a des choses auxquelles tu ne peux pas échapper. Ce qui se passe sur cette planète, ça influence forcément ce qu’on pense ou ce qu’on raconte.

LVP : D’un autre côté, il t’arrive aussi de voir l’avenir comme quelque chose de positif ? 

Jow : À fond ! C’est ce qu’on espère. C’est ce qu’on essaye de mettre en place avec ce côté professionnel, et c’est aussi une manière d’y croire, d’avoir de l’espoir. S’entourer de gens qui pensent comme toi, et essayer d’aller le plus loin possible avec ça.

| Photo : Hugo Payen

LVP : Sur ce projet, il y a un gars omniprésent, c’est Nickel, avec qui tu as déjà collaboré. Il est à la production de quatre des six morceaux. À quel point il est important ? 

Jow : Il est super important. C’est avec lui que tout démarre. Après la sortie d’AURORAE on a fait pas mal de sons ensemble. J’ai commencé à poser sur ses prods, ses loops, puis je retravaillais dessus. Il a été la base du truc. C’est aussi grâce à lui que je suis parti dans d’autres directions, parce que je savais ce qu’on faisait bien ensemble.

LVP : Une autre personne importante dans ta vie, c’est ton amoureuse. Tu en parles beaucoup dans tes morceaux. Est-ce qu’on fait de la musique différemment quand on est amoureux·se ? 

Jow : Je pense oui. Quand t’es amoureux·se, ou quand il se passe des choses fortes dans ta vie, ça te pousse à exprimer ce que tu ressens. Ça influence forcément ta musique. Peut-être pas dans l’instantané, mais ça inspire. Ça te donne envie de parler de certaines choses.

LVP : De manière plus générale, on peut dire que de projet en projet, tu te livres de plus en plus. Ça ne fait pas peur de se mettre à nu ? 

Jow : Si, carrément. Mais c’est aussi une manière d’extérioriser. S’ouvrir aux gens, exprimer des choses perso ou intimes, c’est flippant. Il y a des sons dans la tracklist que je ne voulais pas sortir. Et je me suis dit : c’est ce qui est sorti de moi à ce moment-là. Et puis c’est de la création, à prendre avec des pincettes. La musique, chacun·e se l’approprie. Même si tu racontes un truc très perso, ça peut parler à plein de gens dans leur vie. Ce n’est pas un jugement direct sur l’artiste.

| Photo : Hugo Payen

LVP : Le projet tu l’as appelé NOVICE, un mot souvent perçu négativement. Mais toi, tu l’emploies dans le sens de “rester nouveau”. C’est dur de “rester nouveau” ?  

Jow : En tout cas, ça demande de mettre des choses en place, d’expérimenter, de continuer à bosser. Donc ouais, c’est un travail actif. Mais pour moi, y’a rien de péjoratif là-dedans. C’est juste le reflet de la période que j’ai vécue pendant la création. J’avais envie d’être transparent. Ce mot représentait bien l’ensemble.

LVP : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter avec la sortie du projet ? 

Jow : Que ça se passe bien, déjà. J’espère que ça va parler aux gens, qu’on va atteindre nos objectifs. Et puis, continuer à être assidu, à faire de la musique. Là, je vais enfin être libéré du côté scolaire, donc j’espère que ça portera ses fruits. Être productif, ce serait déjà super.

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