| Photo : Louise Duquesne pour La Vague Parallèle
Si la fête de la musique avait lieu le 21 juin, celle du rap bruxellois se tenait le lendemain, dans les caves du Botanique. Jow a en effet choisi l’aube de l’été pour célébrer en famille la sortie d’AURORAE, son dernier EP marquant le début d’une carrière à l’horizon qui s’annonce désormais dégagée. Et même les caprices du ciel bruxellois ne résistèrent pas ce soir-là à quelques éclaircies, à l’inverse d’un Witloof Bar qui, lui, se noircissait de convives, ne laissant apparaître son sol qu’aux rythmes des pogos. Et ceux-ci débutaient bien avant l’aurore puisque qu’en tant qu’hôte modèle, et bien épaulé par CTRL+N, Jow avait pris soin d’inviter n30 et zonmai pour former un line up fait d’esthétiques différentes mais qui au centre confluent pour former une scène rap locale plus riche que jamais. Récit d’un soir où Bruxelles est encore une fête.
C’est aux alentours de 20h que la moitié remplie du Witloof Bar se voit prise à partie par un DJ lui adjurant de répéter après lui : « fxck t0n l0v3 ! » Les un·es s’étonnent de pareil accueil, les vrai·es reconnaissent le titre du dernier projet de celui qui apparaît désormais, lunettes de soleil sur le nez, surfant vocalement sur les notes régulières d’un violon introductif. La voix pitchée de n30 (que l’on prononce « néo ») vient alors caresser les murs antiques de la cave en même temps qu’elle imprègne doucement les oreilles d’une assemblée qui ne restera pas sage longtemps. L’électrique b0unc3 fait dire oui de la tête à tout le public avant que ce dernier reprenne en chœur le refrain efficace d’un morceau pas encore sorti : « j’suis sous les flashs, j’suis sous les lights ». Les lampes de téléphone finissent par pleuvoir et réfléchissent maintenant sur la guitare électrique de Soul., apparu sur scène pour une interprétation acoustique de s0s. Mais après le calme, la tempête, après le miel, les pogos.
S’enchaînent donc les morceaux les plus dynamiques du projet sorti en février dernier entrecoupés par des virgules vocales entonnées par le public comme un mantra : « fuck ton love ! » La vingtaine de personnes plus agitée que les autres incite n30 à lui même descendre régulièrement la courte marche qui le sépare de la fosse pour lui aussi s’adonner à bouger son corps sur le rythme des basses, qui prend la vitesse de la techno sur la fin de certains morceaux. n30 termine son show par le morceau des flashs et des lights que les gens, maintenant plus conquis que jamais, avait de toute manière réclamé.
Le bouquet final de basses nous incite gentiment à prendre une petite pause au coin fumeur, où une averse soudaine coupera court au débat entre ceux qui regrettent ne pas comprendre les textes de l’artiste précédent et ceux qui embrassent ce rap actuel, lequel, pris dans la vague esthétique de l’hyperpop, assume radicalement sa fonction ambiançante où la voix modifiée se perd dans un flow qui agit davantage comme un instrument que comme un vecteur d’idées.
C’est donc la pils (encore plus) diluée par la drache que nous nous mettons à suivre le chemin d’où provient une voix féminine chantant a capella. zonmai est déjà sur la scène qu’elle occupe dans sa largeur avec aisance, permettant à ceux qui comme moi avaient la vision cachée par un de ces gros murs porteur de la cave, d’apercevoir la jeune artiste bruxelloise. « Est-ce qu’il y a des garçons qui veulent pleurer ce soir ? » lance-t-elle à une assemblée timide de répondre oui avant de jouer BB Noche, issu de Oula, son EP sorti en avril dernier. Moins complexé, le public, par contre, quand il s’agit de danser sur New Gene et la voix de zonmai, d’abord vêtue de nonchalance avant qu’elle ne se dévoile à nue pour atteindre une fréquence plus haute que la coupole du Botanique. « C’est d’la pop, c’est du rap c’qu’on fait » prévient-elle, tandis que l’ambiance monte d’un cran dans une foule connaisseuse et maintenant plus dense qu’une pâtisserie bretonne.
zonmai enchaîne avec Cool Kiss, autre morceau de l’EP éponyme sorti fin 2022, en feat avec Kyobee, son compère du label Bleu Music. L’alchimie sur scène des deux artistes n’a d’égale que l’énergie qu’iels déploient alors que dans le public les cous se détendent pour suivre l’ondulation des « aaaah aaaah » de zonmai. Le rythme redescend un peu le temps d’un morceau dont j’attends désespérément la sortie officielle. Les téléphones font de la lumière quand l’artiste originaire du Pays Basque chante la mélancolie du campagnard quittant ses champs pour les lumières de la ville : « Maman, je suis parti vivre à la city, essayer de combler l’ennui ». Hymne planant, les épaules détendent ce qu’il y a encore à détendre. Peut-être pour mieux réussir le défi qu’elle lance finalement : « détruire le pogo de celui-ci d’hier, à la fête de la musique ». C’est ainsi sereinement qu’elle peut interpréter son tube Fashionista, et cela depuis la foule où elle lancera ledit pogo. zonmai aura encore ce soir alimenté habilement sa réputation de show woman. Que le public des Ardentes qui aura la chance de la découvrir se tienne sur ses appuis.
Peu après, vers 22h, la cave du Bota s’opacifie davantage, maintenant plus remplie que celle d’un bourgeois bordelais. La nuit est à peine tombée que déjà à l’horizon naissent des lueurs rosées annonciatrices du lever du soleil : la nuit allait être courte. Comme celles qui jouent le décor céleste des plus belles fêtes. Or, de fêter il est question ici et son objet tient en 3 lettres. Jow arrive sur scène, transpirant de tous ses pores la fierté d’avoir soldé toutes les places disponibles pour la release party de son AURORAE à peine sorti. « J’vois tous ces bavards qui pensent que j’sais pas rapper ». La promenade de Jow sur la prod de LA FLEUR a à peine débuté que le public exulte déjà, quelque peu rassuré de la recette musicale plus consensuelle du jeune rappeur : esthétique sombre, flows modernes, rimes techniques. Ça kick, les basses tabassent, la fosse pue la sueur. On est au bon endroit.
Jow enchaîne avec CHOSE À PROUVER, premier son de l’EP, après avoir demandé de faire un max de bruit pour ses parents et sa belle famille. « C’est incroyable ». Sa sincérité est touchante, son respect du lieu et de son public carrément exemplaire. Tout comme sa manière de faire croquer ses potes, à commencer par n30 qui réapparait au milieu des stroboscopes pour performer son feat avec Jow, hArpi3. Le bon élève du rap célèbre sa musique en n’oubliant pas de balancer des sons d’Updown Winter, mixtape sortie l’an dernier, dont Basics qu’il rappe en live avec Jeune Pas$s. Ce dernier aura même l’honneur de pouvoir interpréter son dernier morceau à peine sorti. Que la famille ce soir.
La salle plonge maintenant dans le noir pour mieux apprécier la puissance des basses sur LOW, avant que les flashs fassent l’effet de l’aube pour accompagner un morceau exclusif sur lequel le flow de Jow se fait plus chantonnant. Ce mec sait tout faire. Comme lancer le plus gros pogo de la soirée alors que désormais chaque son devient le dernier. « Pourquoi j’me donne tout ce mal » confie-t-il sur IL FALLAIT CRIER – « le p’tit qui se débrouille » obtient ce soir une réponse satisfaisante alors que le public scande les trois lettres de son blaze. La scène est remplie et ne fait plus qu’un avec la fosse, célébrant une dernière fois comme un seul homme l’arrivée du jour, au cœur de cette nuit d’été.
Alors, et à l’instar des talents du voisin en forme d’hexagone, tenions-nous là ce soir la quintessence de la New Wave bruxelloise ? Difficile d’agglomérer derrière une étiquette unique des artistes aux esthétiques musicales qui ont chacune leur singularité. Mais une chose est sure, l’autodidactie radicale d’un Jow ou d’un n30, l’hybridation des genres d’une zonmai, et plus généralement la jeunesse et la volonté de ces trois artistes de mettre en avant des identités fortes, participent à enrichir et renouveler la scène rap bruxelloise, bien heureuse, de trouver chez ces talents son second souffle.
| Photos : Louise Duquesne pour La Vague Parallèle
C’est du rap, le plus bel art mon frère