Plongée éclectique dans l’univers nostalgique de spill tab
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Auteur·ice : Florence Bodson
23/05/2025

Plongée éclectique dans l’univers nostalgique de spill tab

| Photo : Giulia Simonetti

Bruxelles, début mai. Le printemps n’a plus été aussi doux depuis quelques années. Le temps est aux déambulations sans but précis, casque vissé sur les oreilles. Le regard baladeur, on se laisse volontiers envahir par la sensation rassurante de la chaleur environnante. Quoi de mieux, dans ces instants, qu’un album à la fois rafraîchissant et rêveur, nous promettant un été sans fin? C’est le moment idéal pour découvrir ANGIE, le premier album de spill tab.

spill tab, ce sont des textes qui semblent tout droit sortis d’une tête plongée en pleine réflexion. Comme si on venait tirer des pensées de leur nid, entre bribes à peine naissantes et idées complètement finies. Là où les paroles apparaissent comme des mots murmurés quand personne ne nous regarde, les compositions nous emportent dans un florilège d’instruments qui nous offre une nostalgie inattendue. 

Claire Chicha, connue sous le nom de spill tab, est une artiste franco-coréenne qui grandit entre la France et la Californie. Basée à Los Angeles, elle sort ses premiers projets en 2019. L’engouement naît autour de cette artiste multi-instrumentiste, qui écrit, compose et produit sa propre musique. Un premier EP, Oatmilk, voit le jour en 2020, suivi de près par Bonnie en 2021. La même année, elle nous fait notamment bouger la tête – et le bassin – grâce à un single avec Metronomy, Uneasy. En 2023, elle sort un troisième EP, KLEPTO, qui nous fait plonger dans son univers à la fois rêveur et en pleine ébullition. 

Ce 16 mai, l’artiste sort son premier album, ANGIE. Coup de chance, l’artiste est de passage à Bruxelles. Entre deux rendez-vous, sous le soleil de Flagey, Claire a pris le temps de nous parler de son univers musical expérimental et décomplexé. Après un échange inévitable sur la pluie et le beau temps, on entre assez vite dans le vif du sujet, anglais et français se mélangeant au fil de notre discussion.

LVP : Dans ce premier album, on sent que ta musique prend un tournant plus expérimental. À certains moments, les instruments prennent le dessus, comme dans by Design ou De guerre. J’ai lu que tu jouais beaucoup d’instruments toi-même. En créant cet album, quelle place as-tu donné à cette composition acoustique ? 

spilltab : Je pense que mon amour pour les instruments est né quand j’ai commencé à écouter de la musique pour moi, pas seulement avec mes parents. Dès le départ, j’ai toujours été attirée par la prod. J’adore ses multiples détails, je suis assez méticuleuse. Meticulous, ça se dit en français ? (rires). J’aime laisser respirer la chanson, qu’il n’y ait pas que de la voix – créer des dynamiques, des hauts et des bas. Souvent, quand je crée, l’instrumental me vient en premier, qui mène à une mélodie sur laquelle je pose ensuite mes textes.

LVP : On sent qu’il y a un véritable aller-retour entre les paroles et les compositions. Est-ce qu’on peut dire que l’un réagit parfois à l’autre ? 

spilltab : Oui, pour sûr. Avec la compo, l’âme de la chanson est créée. Par la suite, une conversation s’installe entre l’écriture et la prod, back and forth. C’est agréable de ne pas se sentir cantonné⸱e à l’un ou à l’autre. C’est pour ça que la plupart de mes chansons ont des outros, ou alors une deuxième partie différente de la première. J’aime découvrir, en créant, quels chemins inattendus ma musique va prendre. 

LVP : Quand on entre dans l’univers de ton album, on sent une véritable nostalgie qui nous envahit. C’est un peu comme si on entrait dans ta tête, qu’on partageait tes souvenirs. Quel est ton rapport aux souvenirs, au temps qui passe et à celui qui est à venir ? 

spilltab : Un de mes trucs préférés par rapport à l’album, c’est que certaines sons, comme morning dew interlude, datent de 2020. Ça ne fait pas 4 ans que je travaille sur ce projet, mais il couvre d’une certaine façon ces 4 années de ma vie. C’est ce que j’aime dans la musique : quand elle se rattache à des vieux souvenirs. Avec un son, on peut s’imaginer une scène dans notre tête, la nostalgie joue un rôle-clé là-dedans. Tu penses à des films que t’as vus dans le passé, des histoires que t’as entendues. J’aime explorer cette idée, expérimenter comment différentes textures musicales permettent de faire ressortir différentes émotions. 

LVP : J’avais envie de te parler de ton multilinguisme, qui est super impressionnant. Tu chantes en français et en anglais, tu bouges pas mal entre les États-Unis et la France. Comment est-ce que ça influence ton processus créatif ? 

spilltab : Ce qui est intéressant avec le français, c’est que ce n’est pas ma première langue. C’est une langue qui comporte énormément d’idioms, de tournures de phrases, qui évoluent constamment. Je me rappelle être revenue en France après un an, et le vocabulaire avait totalement changé. D’une certaine façon, la langue représente l’état d’esprit d’une communauté à un moment donné. Ce qui est chouette, c’est que je peux m’en servir comme instrument. C’est un challenge, mais ça me permet de découvrir de nouvelles façons de formuler mes pensées. Puis c’est génial de réussir à détailler un sentiment très spécifique qui n’existe même pas dans une autre langue – ou qui ne pourrait pas résonner aussi fort.

LVP : Au-delà de l’aspect multilingue, on retrouve un univers visuel assez unique. Peux-tu nous parler un peu de tes inspirations, de ce que t’as voulu exprimer à travers les visuels d’ANGIE

spilltab : La direction visuelle qu’a pris l’album s’est décidée assez vite. L’album a été profondément collaboratif, il me semblait nécessaire de faire de la création visuelle une collaboration. Mon amie Alex, qui est peintre, a une façon très particulière de dessiner les visages, que j’adore. C’est très weird, presque absurde. Tout le monde a l’air un peu malade sur la cover, ce que j’aime beaucoup (rires). Je voulais créer des visuels qui collent avec ma musique : pas totalement expérimental, mais pas spécialement ce à quoi on s’attend non plus. 

Du coup, la peinture est née d’une photo qu’on a prise, qu’on a ensuite éditée pour y glisser des surprises, pour être ensuite peinte, puis scannée. Il y a une conversation entre le digital et le matériau. Ce qu’on retrouve aussi dans ANGIE : on enregistrait des live drops, qu’on découpait digitalement pour ensuite les réinjecter dans du matériel analogue, puis dans l’ordi… Un peu comme un puzzle. Je trouve que le digital détruit l’information, d’une certaine façon. Ça la modifie, elle ne sera jamais exactement comme avant. On détruit, on refait, on détruit – j’adore cette idée. 

LVP : Alors, la dernière question que j’ai pour toi : c’est quoi l’image idéale à se faire dans notre tête quand on écoute ANGIE

spilltab : Je me rappelle d’un moment où je l’ai écouté, en caisse, en roulant le long de la côte californienne. Je pouvais plus trop me l’entendre, cet album, à force de le répéter en boucle. Mais là, d’un coup, c’était comme si je l’écoutais avec une perspective nouvelle – c’était frais, ça m’a fait du bien. 

À Bruxelles, on ne peut pas se vanter d’avoir une côte digne de Los Angeles. Par contre, on a un temps qui peut se montrer clément, des souvenirs auxquels se rattacher, et un album pour nous rappeler que la nostalgie est plus douce quand elle est partagée. 

 

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