Pour bien vous achever en ce mois d’octobre, il y a la dépression saisonnière, mais aussi un nouvel album de Sufjan Stevens
"
Auteur·ice : Philomène Raxhon
13/10/2023

Pour bien vous achever en ce mois d’octobre, il y a la dépression saisonnière, mais aussi un nouvel album de Sufjan Stevens

Sufjan Stevens et de retour pour jouer de ses cordes de banjo et des cordes de nos coeurs. Dixième album de l’artiste américain, Javelin est un nouveau bijou de grâce à ajouter à la discographie de Stevens. Explorateur du discret désespoir de l’existence, de la racine du mal amoureux et de la dévotion, Sufjan Stevens se livre une nouvelle fois à la composition de morceaux intimes et bouleversants. Au passage, il reprend ses croisades pour nous anéantir à coup de mélodies d’une perfection à couper le souffle. Sortez les mouchoirs.

Sur le Tumblr très actif de Sufjan Stevens, on peut voir des chaussettes jaunes, une chaise percée et une dizaine de photos de repas d’hôpital qui suggèrent un séjour prolongé. L’artiste est victime d’une maladie auto-immune, le syndrome de Guillain-Barré, qui l’empêche de marcher ou d’utiliser ses membres. Alors, il réapprend à vivre à l’hôpital et documente – la plupart du temps avec panache – son rétablissement. Pour la tournée mondiale de Javelin, on repassera. En revanche, si Goodbye Evergreen, premier titre de l’opus, n’annonce pas un album pour Noël 2024, on fera un scandale. Pour celleux peu ému·es par la magie de Noël, les Christmas albums de Sufjan Stevens sont ce qui se fait de plus merveilleusement traditionnel sans nous donner envie de rendre la bûche. Sorti en 2006, Songs for Christmas reste un album indétrônable (pas même par Sia) qui sent bon le sapin. Goodbye Evergreen est on ne peut plus emprunt du style de son créateur ; doux, mélancolique de prime abord, avant d’embrasser la cacophonie chère à l’artiste, conscient que la béatitude n’est jamais plus mise en valeur qu’en juxtaposition à la maison qui brûle. De la même manière, Shit Talk, titre de plus de 8 minutes qui suggère un peu moins la scène de la nativité, s’inscrit dans cette recette de contraste tonitruant. Soutenue par le jeu de guitare de Bryce Dessner, membre du groupe The National – dont le dernier album comporte un feat. avec Stevens – la mélodie de Shit Talk se fait à la fois lumineuse, feutrée, théâtrale et dépouillée. “I don’t wanna fight at all“, murmure comme une prémonition l’auteur de Carrie & Lowell.

Carrie & Lowell, justement, venons-y. Quiconque maintiendra ne pas chercher partout dans les nouveaux pèlerinages musicaux de Sufjan Stevens des vestiges de cette oeuvre parfaite est full of shit. On est là pour vous annoncer qu’avec Javelin, le musicien emprunte à nouveau les sentiers d’un son acoustique, d’une écriture à la fois crue et délicate, d’un éclat mélancolique. Les mêmes allées qui font de lui un artiste à la sensibilité inimitable. Puis il y a aussi du bandjo, Sufjan Stevens oblige. Dans les toutes premières notes de So You Are Tired, on se risque même à reconnaître le piano de Visions of Gideon, ou un visage mouillé de larmes rendu doré par la lueur d’une cheminée dans une villa quelque part dans le nord de l’Italie. Mais Stevens n’est pas, plus seul sur Javelin. L’opus entier est parcouru de chœurs qui tantôt le poursuivent, tantôt le charment et le consolent. A Running Start est un pur produit de ce style aux voix illuminées. Illuminé, Genuflecing Ghost (imaginer une fantôme en position de prière) l’est aussi, mais plutôt dans le genre fanatique christique ; genre qui – et ça nous arrache les lèvres de l’admettre – est peut-être bien la recette de la grâce de Sufjan Stevens. À bien y penser, c’est cette adoration de God – personnage principal de nombres de ses titres – , la foi étalée dans toute l’oeuvre de Stevens, qui donne à sa musique son air miraculeux. Comme lorsque le musicien prie “Jesus lift me up to a higher place” sur Everything That Rises, dont la chorale presque suppliante rappelle encore la nef d’une église.

À moins que l’inspiration divine ne lui vienne de ses relations terrestres ? My Red Little Fox enjoint doucement un·e amant·e à s’abandonner à l’amour. Puis les chœurs s’en mêlent, les paroles se font tendrement pressantes et Stevens se risque à plus d’explicité :

Now, I sing it won’t you kiss

me like the wind that flows

within your veins?

On se risque quant à nous à désigner ce morceau comme notre préféré. Étincelante de beauté, de justesse et de pudeur, la voix de Sufjan Stevens nous y bouleverse avec une maîtrise presque diabolique. En compétition également pour le titre de chouchou, il y a Will Anybody Ever Love Me ?, chanson plus pêchue qui rappelle le temps de l’album Illinois et se risque même à quelques percussions. L’artiste y explore la recherche d’amour véritable, loin de l’ego et des rancunes. “In every season pledge allegiance to my heart“, réclame Stevens, ou “let me go“. Aime-moi totalement ou pas du tout, parce que sinon, à quoi bon ? Le tout sonne comme la bande originale d’une photo de Nan Goldin, des amant·es abîmé·es au bord du lit, prêt·es à se dire au revoir. Mais peut-être Sufjan Stevens a-t-il trouvé cet amant dévoué qu’il désirait tant en la personne de son partenaire, Evans Richardson, chef d’équipe du Studio Museum in Harlem, un centre culturel new-yorkais consacré au travail d’artistes noir·es. Le musicien décrit son compagnon comme un être “précieux, irréprochable et absolument exceptionnel en tous points” dans un poste Instagram annonçant la sortie de Javelin et la mort de Richardson, à qui cet album est dédié. There’s a Wolrd, dernier titre de Javelin, apparaît alors comme une fin bien plus grande, des adieux pas pour rire, comme l’envoi d’un petit bateau sur le Gange ; quelques airs de bandjo et un javelot de plus à travers nos cœurs.

Spécialement sélectionné pour toi :

Découvre d’autres articles :

Orange:
Orange: