Photos : Caroline Bertolini pour La Vague Parallèle et Melissa Fauve Anzalone pour le Botanique
Il y a des concerts pour lesquels un simple article ne suffit pas à retranscrire la joie d’un public conquis. Nous nous essayerons malgré tout à l’exercice, tant le show de Saya Gray au botanique nous a charmé. Équilibre parfait entre fun et virtuosité, cette soirée se hisse peut-être déjà comme un des meilleurs concert de l’année. Pourquoi donc ? Parce que c’est sans artifice aucun que l’artiste a envouté une salle entière, une foule hétéroclite avec pour seul point commun, l’amour de la bonne musique.
© Caroline Bertolini
Artiste multi-instrumentiste, Saya Gray épate par son style aussi versatile que sophistiqué. De par notre incapacité à la placer dans une case, c’est trépidant·es d’impatience que nous sommes allé·es découvrir cette artiste qui nous intrigue tant. Son dernier album SAYA a séduit un nombre inespéré de personnes, s’ajoutant à la liste de mélomanes déjà conquis·es par son univers tout en collage de ses projets précédents.
Amuse-bouche électro-folk avec Ace G et John Mavro
La première partie du show était partagée entre deux artistes, Ace G et John Mavro. Le détour vers le bar nous a fait manquer l’entrée sur scène du premier. Celui-ci s’était si bien camouflé derrière son Macbook qu’on se demandait d’où émanait le méli-mélo d’instruments à vent saccadé. Le producteur de Toronto dont nous n’apercevons que la touffe de cheveux parle sans micro pour remercier les quelques têtes curieuses qui sacrifient les derniers rayons de soleil d’avril pour une cette expérience auditive immersive. Équipé de son armada de samples et d’un AKAI MPK mini, l’artiste nous fera découvrir ce qu’on qualifiera silencieusement de musique d’hikikomori, aka des mélodies composée depuis un lit et qui ne doivent pas souvent voir la lumière du jour.
© Caroline Bertolini
Les fioritudes électroniques n’auront duré que quelques instant, car l’artiste partage la première partie avec John Mavro, artiste folk et accessoirement guitariste pour Saya Gray qui monte sur scène pour nous interpréter quelques titres à la guitare sèche. De par son univers musical un peu plus accessible que celui de son collègue, John séduit une partie de la foule, notamment grâce à ses compositions emo-folk et sa voix qui porte loin. On aura reconnu le cover the This Must Be The Place des Talking Heads, qui on peut se le dire, sonne beaucoup mieux quand il n’est pas interprété par un vieux rockeur sexiste.
© Caroline Bertolini
Entrée sur scène de Saya Gray et sa bande
Après cet amuse-bouche electro-folk, nous attendons avec impatience la venue de notre star du jour : Saya Gray. C’est toute de fourrure vêtue que l’artiste arrive sur scène sur un sample de LINE BACK 22. Du haut de ses pattes de velours (comprenez ici, des chaussettes pattes de chat) elle attrape son combo guitare-basse (oui oui, les deux en un) et salue la foule avant de lancer une petite séance de yoga collective. Dans une Orangerie pleine à craquer, le public s’adonne à quelques exercices de respiration dictés par Claire la claviériste. Moment cocasse qui aura eu l’effet d’harmoniser une audience qui ne tenait plus en place.
Le set s’enchaine ensuite très rapidement. On profite de PUDDLE (OF ME), THUS IS WHY (I DON’T SPRING FOR LOVE), titres issus tout deux de son dernier album SAYA, qui nous semblent presque expédiés tant ils passent rapidement. Ce n’est sans doute pas l’intention de l’artiste qui nous propose ensuite d’improviser une petite chorale pour le prochain titre : SHELL (OF A MAN). Sur les paroles “Speak now, or forever hold your peace“, on nous propose de fredonner trois harmonies différentes en fonction de notre position géographique dans la salle. C’est probablement dans ces moments-là que l’artiste multi-instrumentiste se rend compte que tout le monde n’a pas été élevée par une professeure de musique classique et un trompettiste de renom. Mais tant pis pour les harmonies, la foule chante joyeusement le refrain tel qu’elle le connait.
© Caroline Bertolini
Sur sa guitare acoustique trône fièrement une lanière customisée en fourrure, hommage à Gungus le chat resté au Canada nous confie-t-elle. Le concert prend doucement une autre tournure. Pour quelqu’un qui a appris à jouer du piano avant même de savoir parler, le contact passe divinement bien avec le public. Moment opportun pour enchainer sur des sons plus vieux de son répertoire, de quoi satisfaire les ancien•nes fans venues écouter ses 19 MASTERS.
On aurait aimé vous dire qu’on faisait partie des gens cools, mais un regard dans la pièce suffit pour nous placer quelque part sur le spectre entre les nerd de musique et les cool kids de tiktok. Ce que Saya elle-même ne tardera pas à remarquer : “Je suis assez surprise, à mes concerts il y a à la fois des jeunes asiatiques très stylées et des vieux hommes de 80 ans, en même temps, je pense que je suis un peu des deux.”
Après la séance de yoga, il est temps à présent de répéter quelques affirmations positives, et l’adage “I am cringe but I am free” n’aurait pas pu mieux représenter ce moment. La musique de Saya, chamboule les codes et nous prend par la main. Elle évoque les chagrins d’amour, les voyages mais aussi un sens de la communauté et du partage qui se transmet grâce à l’art.
© Melissa Fauve Anzalone
Au fil du set, la musique prend une place plus prenante, le magnétisme de Saya Gray nous invite à absorber tout de ce qu’il se passe avec nos yeux et nos oreilles. Saya utilise tout l’espace qui s’offre à elle. Les lumières deviennent rouges lorsqu’elle bouge au rythme des basses sur H.B.W..On se fond dans l’intime SADNESS RESIDUE (ERASER ROOM), on regarde ses doigts glisser sur sa basse pour ANNIE, PICK A FLOWER..(MY HOUSE) et on se prend une claque dans la figure avec l’exubérant ok FURIKAKE. La foule aboie en coeur sur PREYING MANTIS ! et on l’aperçoit furtivement descendre dans la foule sur les épaules de John Mavro avant d’enchainer sur la dernière chanson de son concert : LIE DOWN.
© Caroline Bertolini
Le concert prend fin trop vite, alors que cela fait déjà une heure et demie que le groupe se déchaine sur le podium de l’Orangerie. Sous les acclamations d’un public qui en redemande encore, l’artiste revient sur scène avec son guitariste pour une dernière chansons en guitare voix: HOW LONG CAN YOU KEEP UP A LIE ?.
Le set se clôture sur une envolée plus calme après la tempête. Des morceaux de coquillages se retrouvent par terre, quelques miettes tombés de l’attirail de notre sirène. Dans son univers téléchromé, Saya Gray nous aura transporté dans un tourbillon sonore mêlant l’intime à l’excentrique. On en ressort électrisé·es, avec l’envie de s’essayer à quelques riffs de basse pour pouvoir lui ressembler. Si nous devions retenir une chose, c’est que tout est passé bien trop vite, alors on profite de la lune de printemps qui plane dans le ciel pour une balade nocturne avec SAYA dans les oreilles.
Ma playlist est aussi bipolaire que moi. J’aime le metal, le sang et les boyaux, tant que ça reste vegan.