The Veils : quand la musique devient le miroir de nos émotions
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Auteur·ice : Hugo Payen
18/03/2025

The Veils : quand la musique devient le miroir de nos émotions

I Photos : Hugo Payen

Quelques heures seulement avant que The Veils enflamme la scène d’un Trix club (Anvers) déjà sold-out depuis des mois, nous arpentons le peu de couloirs qui nous sépare de notre rendez-vous musical du jour. Entre deux dates d’une intime tournée européenne venue célébrer la sortie de son nouvel album Asphodels, il nous était presque impossible de ne pas vous ouvrir les portes de cet univers où la chaleur de ses mots se mêlent à la dure réalité qui s’y cache. Rencontre.

Nous sommes en 2004 quand Finn Andrew sort son premier album sous le masque de The Veils. Une plongée directe dans le tréfonds de ses pensées les plus sombres mais aussi les plus lumineuses. Chose qui, au fil du temps, ne le quittera plus et en fera sa plus belle force d’ailleurs. Comme nous, quelques-uns de ses morceaux les plus connus ont dû accompagner vos séries télés d’adolescence préférées. Des Frères Scott à Twin Peak, la puissante réalité de ses textes se mêlent à nos écrans, puis à nos playlists et à nos quotidiens.

Depuis 20 ans, The Veils nous accompagne et nous renvoie vers certains moments de notre vie que l’on aimerait parfois bien retrouver. Et son fraîchement sorti septième album, Asphodels, n’échappe pas à la règle. De toutes ces choses, on a voulu discuter avec Finn Andrews.

La Vague Parallèle : Tu as 16 ans quand tu es signé par Rough Trade. À l’époque, tu viens d’arrêter l’école pour venir à Londres et lancer ton premier groupe de musique. Être signé comme ça, aussi jeune, je suppose que c’est une expérience aussi incroyable que terrifiante ?

Finn Andrew : J’ai encore un peu de mal à me connecter à cette époque-là de ma vie, ou à la personne que j’étais en tout cas. Tout est tellement différent pendant l’adolescence. J’en avais ma dose de la Nouvelle-Zélande… J’y avais de très bon·nes ami·es mais le système scolaire me rendait malade. Je ne désirais qu’une chose : partir de là. Finalement, je me foutais un peu de tout, sauf de la musique. Je voulais juste écrire mes morceaux et surtout, qu’on me laisse tranquille. Cette signature est arrivée comme un ticket d’or qui me permettait de partir. Et c’est arrivé, très rapidement d’ailleurs. Je me souviens avoir envoyé quelques démos à pas mal de labels alors que j’étais encore en Nouvelle-Zélande et ce sont ces labels qui m’ont presque unanimement dit de venir à Londres. J’y suis allé sans trop savoir ce qui m’y attendait, sans trop me prendre la tête et surtout, sans trop d’attentes. Je me disais que l’un d’entre eux voudrait peut-être sortir un album ou du moins quelques morceaux. Jamais je n’aurais cru que Rough Trade déciderait de me signer comme ça ! C’est un label de renom, à l’histoire incroyable qui a propulsé pas mal de groupes avec lesquels j’ai grandi. C’était une expérience assez intimidante.

LVP : Quelques années plus tard, tu sors ton premier album The Runaway Found et son mythique Lavinia. C’était il y a 20 ans et pourtant, cet album est resté toujours aussi rafraichissant et impactant aujourd’hui. Un album qui a changé pas mal de choses pour toi : on a pu entendre tes morceaux dans un bon nombre de séries à l’époque. Beaucoup de choses ont changé avec le temps mais la relation que tu as avec ce premier album, est-elle toujours la même qu’aujourd’hui ?

Finn : Elle est quand même bien différente. Je veux dire que j’étais super jeune quand on a sorti cet album et je pouvais déjà plus en entendre parler dès sa sortie (rires). On a passé des années dessus, il y a un monde de différence entre des morceaux que tu écris quand tu as 13 ans et des morceaux que tu écris quand tu en as 19… J’en pouvais plus. J’étais d’ailleurs un peu embarrassé par cet album. Puis le fait de devoir continuer à jouer ces moments d’adolescence sans trop pouvoir m’en détacher n’a pas aidé. Mais avec le recul, 20 ans plus tard, tout fait sens. J’en suis fier de cet album. Ça reste une belle petite capsule temporelle de cette époque de ma vie. Je me dis parfois que j’aimerais bien laisser un message à cette jeune version de moi-même pour lui dire de prendre les choses plus tranquillement, de profiter et surtout d’être moins dur avec lui-même. J’étais frustré de ne pas atteindre les sommets aussi vite que ce qui était prévu d’une certaine manière. Je voulais tout, tout de suite. J’avais cette idée d’imposture qui ne cessait de résonner dans ma tête. Du coup, je m’auto-flagellais constamment au lieu de me laisser porter par l’expérience et de savourer toutes les choses qu’elle pouvait m’apporter. Surtout parce qu’avec le recul toujours, tu réalises ô combien c’est le genre de moment que tu ne vis qu’une fois mais qui surtout, est fascinant. Mais oui… On a passé trois ans à le faire cet album et deux semaines après sa sortie, j’ai tout envoyé balader et je suis rentré en Nouvelle-Zélande. J’étais un peu secoué sur le moment.

LVP : Cette expérience de dévoiler de nouveaux morceaux ou de sortir un nouvel album, change aussi avec le temps. Je suppose qu’au fil des albums, les sorties sont un peu plus relaxantes que la toute première ?

Finn : En fait, je sais pas trop. Parce qu’à côté de ce dont on vient de parler, ça reste une expérience tellement belle. Je suis arrivé là, j’avais aucune idée de la manière dont tout ça fonctionnait. Puis finalement, tu travailles avec des personnes incroyables, sur un label tout aussi formidable à un âge où tu comprends pas forcément tout ça. Les personnes avec qui tu travailles sont intéressées par ce que tu fais. C’est pas quelque chose de « normal » pour quelqu’un de 16, 17 ans. Dans ma tête, je ne faisais pas les choses de la bonne manière. J’avais qu’une envie : rentrer chez moi et écrire un nouvel album, voire même ne plus jamais revenir à Londres. Mais chaque sortie apporte son lot d’excitations autant que d’interrogations.

LVP : En parlant de nouvel album, tu viens de sortir Asphodels. Un septième album qui arrive dans nos oreilles pas si longtemps après la sortie de son prédécesseur …And Out Of The Void Came Love. C’est d’ailleurs la première fois que tu nous offres tant de nouvelles histoires aussi rapidement. Quand on écoute les deux, on a l’impression qu’ils se complètent. Le premier est une ode à l’amour et le second, une ode à la mort d’une certaine manière.

Finn : Je pense que je n’y ai jamais trop réfléchi. En tous cas, c’était pas la raison pour laquelle j’ai écrit Asphodels. Tout s’est passé très rapidement. Encore aujourd’hui, je ne réalise pas trop qu’il est sorti cet album (rires). Le simple fait de tenir le vinyle entre mes mains, je t’avoue que c’est particulier. Il n’a longtemps existé que dans mes écrits et dans mes pensées, c’est assez fou. Je n’ai commencé à essayer d’y mettre un sens que récemment en fait, le jour où j’ai eu cette version physique devant moi. Il y a à peine quelques jours donc (rires). Je sais pas… J’ai l’impression que cet album n’est pas de moi. Ce qui est assez chouette finalement. Le simple fait de savoir que ces histoires ne sont plus que les miennes mais aussi celles des personnes qui les écoutent, j’adore ça. Mais je dois avouer que des morceaux comme O Fortune Teller ou The Dream Of Life étaient de base, prévus pour mon précédent album. Peut-être qu’il sont reliés d’une manière ou d’une autre c’est vrai. Peut-être que tout prendra sens avec le temps.

LVP : Au fil des années, tu nous as toujours emmené dans des univers différents à travers tes albums. Différentes sonorités, différentes couleurs. Pourtant, sur chaque album, tu nous proposes un équilibre parfait entre cette quiétude très pure et cette dose de bruit qui vient nous transporter. Autant de lumière que d’obscurité finalement. Avec Asphodels, tu as pris une direction un peu plus légère en terme de superpositions et d’arrangements. Cette fois-ci, tu nous proposes quelque chose de plus orchestral, plus organique aussi. Est-ce que c’est une direction que tu avais en tête depuis le début pour cet album ?  

Finn : Dans nos sociétés, tout est devenu jetable ou en tout cas, est fait avec une idée plus temporaire que jamais. J’ai eu envie de faire quelque chose qui pourrait, d’une certaine manière, survivre à cette société de la rapidité. Faire un album avec ces morceaux qui me suivent depuis pas mal de temps maintenant et les mettre en musique aussi simplement que ça, sans trop d’arrangements ni de superpositions. Pour une fois, je voulais juste y aller sans trop me poser de question, comme on le fait en live d’ailleurs. J’ai toujours eu un attrait pour le live. On sonne mieux en tant que groupe et surtout, je préfère ma voix quand on joue comme ça. J’avais envie de trouver autant de plaisir à enregistrer cet album qu’à le jouer sur scène.

LVP : Tu décris notre société comme étant tournée vers le jetable, le temporaire. Une direction que prend aussi l’industrie musicale depuis quelques années maintenant. On pousse les artistes vers un besoin toujours plus fort de rapidité pour passer en radio, faire des streams, etc… Tu es dans cette industrie depuis 20 ans. Je suppose que tu as vu cette industrie évoluer avec le temps. Est-ce que faire de la musique aujourd’hui est aussi « simple » qu’il y a 20 ans ?

Finn : Mon expérience reste “petite” comparée à d’autres mais je dois dire qu’il y a toujours eu des côtés négatifs dans cette industrie. Certains de ces côtés ont pas mal évolué avec le temps, mais plein d’autres sont toujours là. J’ai eu la chance d’être bien accompagné dès le départ. Goeff et Jeannette, les fondateurs de Rough Trade, m’ont tout de suite pris sous leur aile et ont été un véritable bouclier face aux nombreux autres labels de l’époque. Dès le départ, j’étais en discussion avec pas mal d’entre-eux, avant de signer chez Rough Trade. Mais pour la majorité, ce n’était qu’un tas de requins londoniens. C’était assez intimidant. La différence avec l’époque, c’est que les labels mettaient plus d’argent dans leurs artistes qu’aujourd’hui et ce, même s’iels n’en rapportaient pas autant que la « mise de départ ». On dépensait beaucoup d’argent dans la création d’album. Un budget comme on a eu pour Nux Vomica, on l’aurait jamais eu aujourd’hui. Un producteur de renom comme Nick Launay non plus d’ailleurs. Pour Total Depravity, 10 ans plus tard, El-P a accepté de le produire pour 3 fois rien… parce que c’était la seule manière de le faire en réalité. Aujourd’hui, on ne peut compter que sur des personnes comme lui, qui acceptent de le faire comme ça. Chose qu’on avait pas il y a quelques années. Mais ça nous limite aussi dans la création d’une certaine manière. Je vais être honnête avec toi, je n’imagine pas comment ce serait pour se lancer dans la musique aujourd’hui. Et c’est frustrant, parce que ce que j’aime faire en musique coûte le plus cher à faire (rires). Tu as besoin de gros studios, de beaucoup d’équipements. C’est frustrant, parce que tout ne dépend pas que de toi non plus.

J’ai 40 ans aujourd’hui et l’industrie en demande toujours plus. Mais d’un autre côté, de toutes ces frustrations découlent aussi de très belles choses. Je pense que tout aurait été différent si on nous avait directement fait signer un contrat pour 10 albums avec un million d’euros de fond pour chacun d’entre eux. Ça n’aurait pas été sain, ni pour nous, ni pour notre musique. Dès le départ, j’ai décoché toutes ces listes de choses «  à faire absolument » pour se conformer aux demandes de l’industrie. Je m’en fous complètement si je ne passe pas en radio… même si c’est super quand ça arrive, je ne dis pas. Mais je ne fais pas de la musique pour ça. Et je suis super à l’aise avec ça. On fait la musique que l’on veut, pour nous et surtout pour les personnes qui nous écoutent, nous connaissent, viennent à nos concerts et achètent nos albums chez leurs disquaires préféré·es. Même chose lorsque nos morceaux passent dans des séries ou des films, c’est quelque chose qui me ravi d’autant plus qu’un passage en radio. J’aime ce qu’on fait, de cette manière plus intime sans altérer ce qu’on a construit au fil du temps juste pour faire plus de streams.

LVP : Tu as récemment écrit que tu étais rarement fier de tes albums mais qu’avec ce nouveau Asphodels, c’est différent. De quelle manière ?

Finn : En fait, chaque album m’a appris tellement de choses. Je pense que c’est aussi un processus de recherche constante de raffinement. Quand mon précédent album …And Out Of The Void Came Love est sorti, j’ai regretté instantanément chaque choix que j’avais fait dessus. Avec celui-ci par contre, pas du tout. C’est clair que j’allais pas refaire les mêmes erreurs. Mais je ne sais pas, avec Asphodels on a pas voulu surcharger les choses. Il y a quelque chose d’assez simple et je suis fier d’avoir trouvé cette simplicité.

LVP : Tu as récemment dis que c’est d’ailleurs dans l’écriture et la création de ces morceaux que tu te sentais le plus utile dans ce monde. Ça m’a rappelé ces quelques mots prononcés par une personne que tu connaissais bien et que tu appréciais énormément : David Lynch, qui a dit dans une interview en 2021 qu’on « écrit dans le but de se souvenir ». Quand on écoute ta discographie, on réalise que c’est aussi quelque chose d’intrinsèque à ta musique cette idée d’écrire pour ne pas oublier.

Finn : Ça l’est, clairement. On a toustes des raisons différentes pour lesquelles on fait de la musique. Pour moi, c’est surtout quelque chose qui m’aide à ordonner mes émotions, à les appréhender. C’est ma manière de réagir aux émotions. L’écriture, c’est ma thérapie quotidienne. Je suppose aussi qu’au fil du temps, ces mots deviennent une sorte de petites capsules temporelles que tu finis par apprécier. Comme The Runaway Found qui représente un peu mon journal intime d’adolescent. C’est là quoi, je ne peux pas m’en détourner et finalement, ça fait du bien. Parce que quand je l’ai écrit, je ne l’ai pas fait avec ce besoin de me souvenir de quoique ce soit. Je voulais me comprendre moi-même avant tout. Puis, je pense que la musique prend aussi la forme d’un miroir d’une certaine manière. Au plus tu regardes, au plus tu verras certaines choses différemment. Et c’est quelque chose qui me frustre parfois également. Mais la musique aide. Si je n’étais pas auteur-compositeur, je serais tourmenté par autre chose (rires). Tourmenté par le fait de ne pas savoir comment digérer toutes ces émotions.

LVP : Ce nouvel album s’appelle Asphodels, en référence aux fleurs très présentes dans la Grèce antique. Une fleur qui entourait le palais des Dieux de l’Enfer. Pourtant, cette fleur, elle possède un pouvoir symbolique : celui de résister au feu. Elle symbolise d’ailleurs la résurrection, toujours selon la légende. Au plus on écoute cet album, au plus on a l’impression que tes mots résonnent de manière plus apaisée qu’avant, comme un renouveau.

Finn : Les morceaux qui composent l’album me procurent des sensations et des émotions que je n’ai jamais ressenti sur mes précédents. Je pense qu’il y a une certaine part de confiance silencieuse qui commence à s’installer. Après des années passées à me demander ce que j’étais en train de faire (rires), je ressens clairement une sorte de paix avec mon écriture. Peut-être que ça s’étend au reste finalement. Évidemment, ça ne m’empêche pas de parfois douter, mais beaucoup moins qu’avant. Et j’ai plus de patience aussi. Aujourd’hui, j’ai une fille et ça a surement dû aider. Elle m’apporte ce besoin toujours plus fort de stabilité que je cherche. Pour elle et pour ma compagne.

LVP : L’album termine sur ce très beau morceau A Land Beyond où tu dis qu’il y aura toujours un refuge derrière la montagne. C’était important pour toi de finir cet album comme ça, sur une lueur d’espoir ?

Finn : Oui, vraiment. Je ne sais pas trop d’où me vient ce morceau d’ailleurs. Il est tombé à pic. Je pense que c’était vraiment la meilleure conclusion pour cet album.

LVP : Est-ce qu’on peut dire que cet album nous aide à encore plus célébrer la vie ?

Finn : En tous cas, j’espère que ça puisse avoir cet effet sur au moins une personne ! Il y a pas mal de choses sur cet album malgré sa simplicité. Il porte en lui beaucoup d’émotions différentes. J’espère toujours qu’il y aura un morceau qui touchera quelqu’un·e au point de l’aider à comprendre certaines choses de sa vie. Un petit quelque chose qui ajoutera un peu de lumière dans sa journée.


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