JEREMY JAY : “J’ai besoin de m’isoler du monde pour composer”
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Auteur·ice : Joseph Lanfranchi
15/06/2018

JEREMY JAY : “J’ai besoin de m’isoler du monde pour composer”

Jeremy Jay est cet incorrigible dandy d’une pop anglophone obstinément romantique. Il nous ouvre intimement les portes du monde aussi sombre que fabuleux de son nouvel album, DEMONS.

 Depuis 2007, Jeremy Jay distille des hymnes qui font danser au ralenti, absorbés par son univers aussi unique que fabuleux. De retour 5 ans après avec DEMONS, l’artiste s’enfonce encore dans les noirceurs cachées de l’âme humaine. Véritable catharsis, ce nouvel opus permet au chanteur de vaincre sa dépression, mêlant les genres, brouillant les pistes et transportant l’auditeur au sein de contrées rarement visitées.

Un album qui confirme le virage engagé lors de sont album précédent, Abandoned Apartments, marqué par une synth-wave épurée par rapport aux sonorités rock des 4 premiers LP. En sa compagnie, nous avons essayé de mettre des mots sur la vaste palette d’émotions par lesquelles cet album nous fait voyager.

La Vague Parallèle : Tu as grandi aux Etats-Unis, tu vis à Londres mais tu as choisi de fêter la sortie de ton nouvel album, DEMONS, à Paris, pourquoi ?

Jeremy Jay : Je trouvais ça fun de faire ça en dehors de la ville où je vis. Cela me donne une excuse de sortir de chez moi, de la routine et de ma zone de confort.

LVP : Tu as été très prolifique au début de ta carrière en sortant 5 album entre 2007 et 2011. Tu as pourtant mis 5 ans à composer ce nouvel album. Comment cela se fait-il ?

Jeremy Jay : Il y a 4 ans, j’ai eu quelques complications dans ma vie personnelle. J’ai toujours continué à écrire mais cela m’a pris énormément de temps pour tout remettre en ordre. Ce n’était pas un choix pour prendre du recul vis-à-vis de ma carrière. Simplement ma vie personnelle et les difficultés que j’ai rencontrées ont pris le dessus et j’ai mis beaucoup de temps à m’en sortir. C’est le sujet de DEMONS, cette lutte. Moi contre mes démons, mes problèmes.

La suite arrive à la fin de l’année. L’album suivant s’appelle Ballad For The Lost et a été enregistré à Konk, le studio des Kinks. Le rendu final est vraiment dingue. On a centré notre attention sur les percussions et la batterie, quand tu fais un album rock c’est vraiment le plus important pour moi.

LVP: Tu parles du studio des Kinks que tu sembles particulièrement affectionner. La façon dont un musicien choisi un studio reste quelque chose de très abstrait pour les non-initiés, peux-tu m’expliquer comment tu choisis les studios où tu enregistres tes album ?

Jeremy Jay : Je cherche un endroit qui m’inspire, que je trouve cool et qui m’impressionne. Pour Konk, ce n’est pas parce que c’est le studio des Kinks, c’est surtout l’endroit, la pièce en elle-même, le son et les équipements aussi. C’est réellement le meilleur studio que j’ai vu, j’en ai des frissons rien que d’en parler (rires).

LVP : Tes 5 premiers albums tiraient plutôt vers le rock, avec moins de synthé et des chansons plus entraînantes que sur Abandoned Apartement, sorti en 2013. Ton nouvel album pousse encore cet aspect sombre et mélancolique, les rythmes sont plus lents et les sons plus mystérieux. Est-ce le fruit d’une évolution personnelle ?

Jeremy Jay : En effet, DEMONS a été un processus de création très personnel, une étape vitale et nécessaire pour que j’arrive à m’échapper de ma dépression. C’était quelque chose d’énorme pour moi, c’est pour ça que j’ai fait tout l’album moi-même, la composition des synthés, des percussions, des orgues et tout le reste. Mais aussi l’enregistrement, la production, l’ingénierie derrière. Absolument tout. Ballad For The Lost, sera plus rock, un peu comme les premiers mais en mieux (rires).

Photo : Anna Sampson

LVP : Dans ce nouvel album, tu expérimentes aussi de nouveaux genres. Par exemple avec Mama Never Told Me. On y perçoit un côté dub et qui peut faire penser à certains morceaux de l’album Sandinista des Clash. C’est une volonté ?

Jeremy Jay : Cette chanson est tiré directement de la vie du quartier où j’habite à Londres. Il y a ce restaurant jamaïcain proche du strudion. C’est très bon et je vais souvent y commander des plats à emporter que je mange dans mon studio. Il ne m’a rien fallut de plus pour écrire l’instru de ce morceau qui rappelle la musique jamaïcaine.

Mama Never Told Me parle d’un meurtre qui a eu lieu dans une rue avoisinante, un gamin a été tué au couteau dans une bagarre entre gangs. C’est de lui que parle la chanson. J’ai été très touché par cette histoire. Les paroles ont été improvisées en moins de 5 minutes, sur le coup, sans rien écrire, je ne les ai jamais retouchées par la suite.

J’aime tester de nouvelles manières de composer, comme j’aime simplement voir de nouvelles choses. Je trouve ça bien plus excitant d’être inspirés par pleins de choses différentes. Rester cantonné à un style de musique m’ennuie profondément. C’est difficile pour un musicien, car on est qui on est. Certains arrivent à ne jamais rester enfermés dans un genre et évoluent constamment. C’est le cas de David Bowie qui n’a jamais fait deux albums identique.

LVP: Tu composes des morceaux très personnels, qui parlent souvent de tes émotions et tes ressentis. Quel est ton processus créatif, c’est quelque chose de construit ou cela vient-il d’un besoin, des influences de ta vie quotidienne ?

Jeremy Jay : J’écoute tout le temps les choses autour de moi, je suis très sensible aux bruits de la vie en général. Le monde, la vie politique aujourd’hui et l’aspect social des choses, tout cela me touche fortement mais j’essaie de m’en écarter quand je compose. Mon studio est à une rue de chez moi. Quand j’y suis, je ferme la porte, personne ne peut me parler ou frapper à ma porte. Cette solitude m’aide à écrire, c’est un peu comme une recette, j’ai besoin de m’isoler du monde pour composer.

LVP : Tu écris des chansons très poétiques, quelles sont tes influences ?

Jeremy Jay : J’apprécie particulièrement la poésie inspirée du dadaïsme, du romantisme et du surréalisme. C’est ce qui a le plus d’effet sur moi et j’imagine que ça transparaît assez fortement dans ma musique.

LVP : Depuis le début de carrière tu donnes beaucoup d’importance à l’atmosphère qui se dégage de tes chansons. Pourtant impossible de trouver le moindre clip pour DEMONS ?

Jeremy Jay : Oui c’est vraiment quelque chose d’important pour moi. On vient de finir le clip pour Demons. Il sera disponible dans quelques semaines. Celui de Live By Night suivra. J’ai vraiment envie d’en faire de plus en plus mais je veux pouvoir les faire comme j’ai envie, dans les meilleures conditions. On a filmé le clip de Live By Night en Super 8, c’était génial. Ce n’est pas vraiment du perfectionnisme, c’est juste de mettre les bonnes images sur mes chansons.
Aujourd’hui, tout est plus stable pour moi, j’ai mon appartement, mon studio, ma fiancée avec qui je vis, les choses se remettent en marche. Avec mon autre groupe, September Strangers, on a aussi fait un clip récemment.

LVP : Il est disponible YouTube, mais sans aucune description. Tu ne fais pas beaucoup, la promotion de ta musique sur les réseaux sociaux. C’est quelque chose que tu n’aimes pas faire ?

Jeremy Jay : Je me concentre davantage sur l’écriture de nouveaux morceaux et leur enregistrement. Ce n’est pas que je m’en fiche, c’est simplement que je ne le fais pas.

LVP : Tu préfères faire des concerts ?

Jeremy Jay : En vérité ce que je préfère c’est être en studio. Faire des concerts, c’est compliqué pour moi à cause de tout l’aspect logistique. Sans ça j’aime beaucoup être sur scène bien sûr.

LVP : Tu dis que ce que tu aimes par-dessus tout, c’est être dans ton studio à écrire et enregistrer des morceaux. Est-ce que  cela t’arrives de composer et d’enregistrer pour ton plaisir ? Sans jamais le faire écouter à ton public ?

Jeremy Jay : Je l’ai déjà fait. Ces cinq dernières années j’ai enregistré deux albums mais ils ne sont pas sortis et je ne sais pas si je les diffuserai un jour. C’était une période très compliquée dans ma vie et ce n’était pas le bon moment pour les diffuser.

Pour DEMONS, c’est le contraire. Je l’ai toujours imaginé de cette façon, comme un moyen de revenir sur scène. Maintenant qu’il est sorti et que mon nouvel album est prêt, l’élan est revenu. Je pense que c’est un tout, je suis plus actif récemment, au niveau de la musique, des clips. Tout recommence de la bonne façon et je me sens sur une bonne voie.

LVP : Quel est le sujet dont tu as toujours envie de parler mais que personne n’aborde jamais ?

Jeremy Jay : Les efforts et le travail nécessaires pour enregistrer une chanson et que le résultat sonne bien. L’aspect technique de l’enregistrement, de la production, le côté plus nerd de la création d’un album, j’y fais toujours attention, peut-être trop d’ailleurs. C’est quelque chose que les gens remarquent rarement. Tout le monde peut écouter les paroles, les lires et écouter l’instrumentation mais ce qui m’intéresse et me touche c’est le côté technique et la raison qui pousse chaque ajustement, pendant tout le processus d’enregistrement d’un disque.

LVP : Cela ne t’intéresserait pas d’enregistrer un album dans ta chambre, avec seulement un matériel très rudimentaire à ta disposition ?

Jeremy Jay : Je ne me suis jamais dis que je devais produire mes disques de telle ou telle façon, c’est selon mon instinct. Pour DEMONS, j’ai enregistré, produit et mixé moi-même, c’était nécessaire pour moi. D’un point de vue très personnel, je devais réaliser tout ce processus. Pourtant, ce n’est pas ce que je préfère car ce qui compte pour moi est la qualité du résultat. Mais peu importe car une bonne chanson sonne toujours bien et reste toujours une bonne chanson, peu importe la technique d’enregistrement.
Sur Ballad For The Lost je n’ai pas participé à la production, je n’ai absolument rien fait en dehors de l’interprétation. Nous avions un excellent ingé-son qui a travaillé sur de très bons albums précédemment. Il a tout fait. Le rendu est vraiment incroyable et c’est beaucoup plus simple (rire). C’était beaucoup plus rapide aussi que pour DEMONS et le résultat est meilleur, c’est le plus important.

LVP : Si tu devais donner un conseil à ton public, quel est le meilleur moment pour écouter ta musique ?

Jeremy Jay : Je ne peux que répondre pour moi-même et ce serait dans un studio, avec de bonnes enceintes, seul ou avec des gens cela n’a pas vraiment d’importance. Ce qui compte, c’est la qualité du système sonore, pas avec un ordinateur portable (rire). La qualité du son est très importante, j’aime entendre chaque détail qui apporte sa touche, même très légère. Ecouter de la musique est quelque chose de très personnel et chacun le fait de la manière qu’il préfère. Même si au final la plupart des gens écoutent de la même façon. Au final il faut juste écouter mes morceaux de la manière qui te fasse plaisir, dans un club, dans une salle de concert ou sur ton téléphone. Pour moi c’est avec des grosses enceintes tout autour de moi, avec des basses profondes. Mais c’est personnel, c’est juste moi, mon histoire.

LVP : Tu écoutes quoi en ce moment, un groupe, un artiste, un album que tu as découvert récemment et que tu aimes beaucoup ?

Jeremy Jay : J’écoute tout le temps Cocteau Twins et en particulier L’album Head Over Heels. Il y a un ou deux ans je passais mon temps à écouter les derniers groupes que je pouvais dénicher. Je le fais moins. Même si je reste très enthousiaste vis-à-vis de la musique en général, je ne lis plus du tout de magazines ni de sites spécialisés.
J’ai remonté le temps et je m’intéresse davantage à l’aspect technique de la musique. Il y a une raison pour laquelle beaucoup des nouveaux albums qui sortent aujourd’hui sont affreux, ils utilisent tous les mêmes ordinateurs, les mêmes programmes et les mêmes mélodies. C’est extrêmement ennuyant. Avec un album comme Head Over Heels, et le suivant Treasure, tu peux vraiment être impressionné par la production et le travail réalisé pour obtenir ce rendu. La qualité est folle, la voix de la chanteuse est magnifique, on croirait qu’elle n’est pas humaine. Cette voix extraterrestre. Ecoute Treasure d’une traite, en entier, avec un casque et tu verras. C’est un chef d’œuvre, le genre d’album qui a changé ma vie.

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