A une époque où tout va trop vite, prendre son temps est presque devenu un risque. Pourtant, selon les circonstances, il est parfois nécessaire, voire vital, de laisser tourner l’aiguille de l’horloge. Pour pouvoir respirer, expérimenter, se retrouver ou tout simplement vivre. Ce temps, Concrete Knives l’a pris. Il aura fallu six ans aux Normands pour offrir un successeur à Be Your Own King. Ce nouvel album s’appelle Our Hearts et il est exactement comme on l’espérait.
C’est compliqué de grandir, surtout quand l’inattendu point le bout de son nez. Quand on monte un groupe de musique, on pense forcément au succès, il est dans un coin de la tête de chaque personne qui se lance dans un projet artistique. Mais il existe un gouffre entre le monde fantasmé et la réalité pas forcément toujours aussi chatoyante que les espoirs qu’on avait placés en elle.
Si le succès a frappé à la porte de Concrete Knives assez rapidement grâce à un excellent premier album porté notamment par des titres aussi efficaces que réjouissants tels que Africanize ou Brand New Star, il a aussi amené avec lui les tournées à répétition, l’éloignement récurrent de ses racines et un décalage constant avec le monde qui les entoure, comme la sensation de vivre sur une autre planète en permanence, à la fois proche et loin de tout. Le genre de choses qui, si on n’y prend pas garde, peuvent faire exploser facilement un groupe, voire des amitiés, et transformer un band de potes en machine sans âme.
C’est pour se protéger de tout ça que, comme un bon vin, les Normands ont pris le temps de décanter. Certains ont fait des enfants, d’autres se sont lancés dans des projets solo, dont l’excellent Samba De La Muerte, et quand l’envie s’est faite nécéssité, ils se sont retrouvés pour nous livrer leur second album Our Hearts.
Un titre d’album peut parfois révéler une dimension plus que symbolique, une pochette aussi. Our Hearts, ce sont les cœurs à l’unisson du groupe, où chacun donne une partie de lui-même pour ne former au final qu’un seul être, une seule pulsation. Le nouvel album des Caennais est ce genre de somme d’influences, de désirs et de pulsions, ou chacun apporte à l’autre. Il en résulte un album frais, maitrisé, composé de pop songs aussi puissantes que variées.
On avait peur de ne pas retrouver le petit côté punk et frondeur qui faisait tout le sel de Be Your Own King, et pourtant, dès que raisonnent les premières notes de Bring Your Fire, la passion l’emporte sur la raison. Les gars – et la fille – de Concrete Knives sont de retour, et qu’est ce que c’est bon. C’est avec bonheur qu’on retrouve le style inimitable du groupe, aux sonorités asiatiques et africaines notamment sur The Lights, Sometimes ou Gone. L’influence des Pixies et de Weezer se fait aussi sentir sur l’excellente Tightrope.
On cerne toujours ce sens inné de la mélodie qui tape, du refrain qui accroche l’oreille et qui se fredonne avec plaisir. Mais si cette fraicheur, cette insouciance, est toujours présente, les gaillards ont pris de la bouteille et ça se sent également. La production est plus affirmée, plus dense, et l’album se termine par un véritable morceau de bravoure : On The Pavement, une pièce ambitieuse d’environ 7 minutes, qui part d’une structure pop classique pour basculer au fil du titre dans des influences arabisantes pour approcher dans sa conclusion un son électronique plus brut.
Retrouver les Concrete Knives, c’est comme retrouver un copain perdu de vue depuis des années. On se remémore avec plaisir notre jeunesse, les souvenirs vaporeux d’un passé commun tout en regardant vers le futur. Our Hearts est dans la droite lignée de ce que les Normands nous avaient offerts auparavant, tout en étant plus ambitieux, plus profond et plus maitrisés. Bref un album adulte pour un groupe qui garde son âme d’enfant.
Futur maître du monde en formation.
En attendant, chevalier servant de la pop francophone.
