(INTERVIEW) Petit Fantôme dans une autre dimension
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Auteur·ice : Paul Mougeot
12/10/2017

(INTERVIEW) Petit Fantôme dans une autre dimension

Le contraste est saisissant. Alors qu’on avait quitté Petit Fantôme rayonnant sur la scène d’un Point Ephémère, ébloui par la prestation qu’il venait de livrer, on le retrouve cette fois sous la pluie parisienne, en marge du Marché des Labels Indépendants. Interview entre les gouttes d’un artiste qui fait fuir la grisaille.

La Vague Parallèle : Hello Pierre ! Tu es un artiste très éclectique, tu as joué dans plusieurs formations ou collectifs, est-ce que tu peux te présenter en quelques mots pour nous permettre d’y voir plus clair ?

Petit Fantôme : Salut ! Je m’appelle Pierre et j’ai commencé la musique à Bordeaux en créant un collectif qui s’appelle Iceberg avec des amis. On a ensuite monté plusieurs groupes dont Crane Angels, dans lequel on était 13, ou un groupe de hip-hop qui s’appelait Le Pingouin. On a fait quelques concerts avec ces formations, puis d’autres formations se sont créées, comme JC Satan. Après, j’ai rencontré François (François Marry de Frànçois and the Atlas Mountains, NDLR) il y a plus de dix ans à Bordeaux, je l’ai rejoint pour un album puis j’ai tourné avec lui pendant sept ans. En ce moment, c’est vraiment la première fois que je me consacre à Petit Fantôme à temps plein.

LVP : Il s’est écoulé à peu près trois ans depuis que tu as sorti tes derniers morceaux (Torse Bombé, 2014). Qu’est-ce que tu as fait pendant tout ce temps ?

PF : J’ai pris le temps. Je vis à Bayonne, j’y ai rénové une maison, j’ai fait quelques travaux. J’ai fait beaucoup moins de musique : j’en fais surtout pour les autres, pour jouer avec des copains. Quand il s’agit de ma musique, il faut vraiment que ça déborde de moi pour que je m’y mette. C’est pour ça que j’en fais par vagues, pour créer une sorte de frustration et que je me dise “là, j’ai envie de jouer”.

LVP : Justement, tu disais auparavant que ça te gênait de faire payer tes musiques parce qu’il s’agissait de productions vraiment intimes. Est-ce que ça veut dire que cet album est moins intime ?

PF : Non, c’est plutôt que j’ai changé d’avis et évolué sur le sujet. J’étais un peu trop timide sur Stave et ça me gênait de vendre des chansons très intimes. Mais avec le recul, je peux dire que c’était vraiment mon premier disque, parce qu’un album avec des morceaux intimes et naïfs, créés à l’instinct, authentiques, c’est vraiment un premier album.

Du coup, on peut dire que j’ai deux “premier album”, puisque celui-ci, que je viens de sortir, est le premier que je sors dans l’industrie du disque.

LVP : Ce nouvel album, Un Mouvement Pour Le Vent, tu as déjà commencé à le défendre en tournée et tu as fait plusieurs concerts cet été, notamment en festivals. Comment s’est passé ce début de tournée ?

PF : Très bien ! C’est un peu une nouvelle formule pour le groupe. Le batteur ne joue pas depuis très longtemps avec nous, c’est un copain du Pays Basque. On a beaucoup travaillé, beaucoup répété, on joue énormément. Les concerts se sont bien passés et les gens sont surpris parce que le concert est beaucoup plus rock que ce à quoi ils pouvaient s’attendre. Le live est très différent du disque, beaucoup plus transcendé, il est pensé comme une expérience plus rock.

On est super content parce qu’on a eu de très bons retours, notamment de la prestation qu’on a donné à la Route du Rock.

LVP : Au Point Ephémère, le 5 octobre dernier, c’était ta première date en tant que tête d’affiche dans une salle parisienne. Comment tu l’as vécu ?

PF : Le Point Ephémère, c’était assez incroyable ! C’était la première fois que je jouais devant un public qui connaissait les morceaux, qui criait le nom des morceaux – “vas-y, joue ça !”-, c’était rigolo.

C’était un peu nouveau et ça m’a fait un truc ! Il y a vraiment un côté émouvant pour moi parce que j’habite loin : venir à Paris c’est un peu un événement et réaliser qu’il y a des gens qui écoutent le projet ça fait vraiment un truc. Chez moi, les gens savent à peine que je fais de la musique !

En plus, pour le groupe, le plus important c’est de faire des concerts. La musique, c’est un peu comme le théâtre, ça se vit en live, et sans live ça n’existe plus.

LVP : D’ailleurs, quel rapport est-ce que tu entretiens avec ton public ? Comment est-ce que tu le perçois ?

PF : Je ne le perçois pas encore ! C’est vraiment nouveau, je ne savais même pas que j’avais un public ! C’est surprenant de voir des gens qui connaissent le groupe. C’est peut-être parce qu’on est à Paris, dans un milieu avec des gens qui s’intéressent à la culture. Au Pays Basque, on est un réseau, on connaît un peu tous les gens qui vont voir des concerts, ce sont des passionnés de musique.

LVP : On sait que le live revêt une dimension particulière pour toi. Comment est-ce que tu fais vivre cet album en live?

PF : Quand je fais l’album, je ne pense pas du tout aux concerts. Je vois ça après. Ensuite, quand on travaille le live, je prends vraiment des copains que je connais par coeur. Je prends leur personnalité en compte, un peu comme un sélectionneur de foot : je fais mon mercato (rires). C’est comme un bon joueur de foot ou de rugby, il a son style de jeu, il a ses tricks. Là, c’est pareil. Par exemple, sur cette tournée, je tenais vraiment à ce que le guitariste, que je connais depuis qu’on est ado, joue avec moi : je savais qu’il allait amener ce truc un peu fou à la guitare. Du coup, le live est aussi pensé par et pour les personnalités qui sont dans le groupe. Là, mes musiciens viennent vraiment du rock et se réunissent avec moi pour jouer de la pop, avec toutes nos influences rock, krautrock… On arrive à faire un mélange qui nous correspond.

LVP : Dans quel contexte as-tu écrit cet album ? Qu’est-ce qui t’a inspiré ?

PF : J’écoutais beaucoup les Zombies et les Beatles, même si ça ne s’entend pas trop. Les Zombies, c’était surtout pour les arrangements. Au début, j’avais pensé à des arrangements de fou avec des violons, des trucs qui coûtent hyper cher et pour lesquels je n’avais pas du tout le budget. J’ai une super anecdote là-dessus : les Zombies, quand ils ont enregistré Odessey and Oracle, sont arrivés à Abbey Road alors que les Beatles venaient de terminer l’enregistrement de Sgt. Pepper’s. Ils ont dit au producteur qu’ils avaient plein d’idées pour les arrangements mais qu’ils n’avaient pas le budget. Du coup, le producteur leur a dit qu’ils pouvaient utiliser le mellotron de John Lennon, qui comportait des sons de violons. Et ils ont fait tout l’album avec. Ça m’a inspiré, je me suis dit que j’allais choper un mellotron et que j’allais faire les sons avec, j’ai fait les arrangements comme ça.

Sinon, j’écoutais aussi beaucoup Electric Light Orchestra et les Beach Boys, des trucs très simples, très pop.

LVP : En écoutant ton album, notamment sur Easy Come Easy Go, j’ai pensé à deux morceaux en particulier : Rockcollection de Laurent Voulzy et Dans un vieux rock’n’roll de William Sheller, avec cette utilisation d’un franglais un peu désuet, des accords et du rythme, très doux et entraînants à la fois, et des harmonies. Est-ce que ça a pu être une source d’inspiration pour toi ?

PF : Ça doit être inconscient ! J’écoute beaucoup William Sheller, mais ce n’était pas volontaire au moment où je l’ai fait. J’ai surtout écouté Sheller sur des albums moins connus comme Lux Aeterna, au moment où j’écoutais aussi La Mort d’Orion de Gérard Manset, des albums vraiment psychédéliques.

On a fait Easy Come Easy Go à l’intuition, en 30 minutes. Ce morceau était surtout inspiré de Don’t Talk Put Your Head On My Shoulder des Beach Boys ; les paroles en sont clairement inspirées. Pour le thème, il est inspiré de l’album Smile des Beach Boys.

LVP : Tu as été très bien entouré lors de l’enregistrement de cet album. Comment cela s’est-il passé ?

PF : Déjà, pour le studio, c’était hyper simple. On a fait ça avec Jean Thévenin, qui fait la batterie dans Frànçois and the Atlas Mountains, et c’est lui qui fait la batterie dans l’album. Il a ouvert un studio à Pigalle et on y a fait la batterie et la basse, puis j’ai fait tout le reste chez moi.

Ensuite, j’ai mixé avec Stéphane “Alf” Briat. Alf s’était déjà proposé pour Stave, j’étais fan de ce qu’il avait fait notamment sur les albums de AIR et sur le premier Phoenix. Je l’ai appelé, il était hyper content et c’était une très belle rencontre : on a passé trois semaines à mixer, à discuter et à rigoler.

LVP : Tu as sorti déjà sorti deux clips pour cet album, Ma Naissance et Libérations Terribles, qui sont à la fois très épurés et très travaillés esthétiquement. Est-ce que c’est ça, l’esthétique de Petit Fantôme ?

PF : Ouais, c’est ça ! Après, j’ai un gros problème avec les clips, c’est que je déteste ça ! Je préférerais ne pas en faire. Là, j’en ai fait un pour Ma Naissance, que j’ai fait avec un copain, qu’on a conçu un peu comme un exercice de respiration.

Le deuxième clip, c’est une référence au groupe Ultra Vivid Scene, un groupe des années 90 dans lequel Moby jouait de la guitare. Ils ont fait un clip qui s’appelle Mercy Seat, et on a refait à peu près la même chose parce que c’est un morceau que j’adore. D’ailleurs, il m’a inspiré Libérations Terribles.

LVP : Tu as vraiment l’air de travailler le visuel autant que la musique. Comment est-ce que tu as travaillé le graphisme de cet album ?

PF : Ouais, j’aime bien la mise en place graphique, la composition graphique. Le design du fantôme, on l’a fait à deux, avec un copain, on a fait plusieurs essais et c’est vrai que ce fantôme fonctionne bien. D’ailleurs, pour ce disque, on a fait un double-vinyle transparent avec un fantôme gravé sur la face D.

La pochette de l’album, c’est une photo de ma mère qui fait du planeur quand elle avait 17 ans. J’ai vraiment grandi avec cette photo. D’ailleurs, ce disque, il parle un peu de ma mère. J’avais fait un milliard de pochettes que j’avais dessinées, notamment un essai avec une impression lenticulaire qui coûtait trop cher, et à un moment ma copine m’a dit “mais la pochette, c’est cette photo !”. Et c’était ça, c’était cette photo qui était devant moi depuis des mois.

LVP : Comment est-ce que tu imagines ton avenir, à court et à long terme ?

PF : Ah… Tu es le premier à me poser cette question (rire) ! Moi, je n’ai pas trop d’ambition dans la musique. J’ai déjà la vie que je voulais, je vis à Bayonne entre la mer et la montagne, j’ai une vie à la cool là-bas. Je me verrais plus avec un travail genre vendeur de hi-fi, artisan, électricien… J’aurais un boulot et j’aurais ma musique à côté, ça me paraîtrait plus honnête.

En fait, j’ai envie de bâtir une oeuvre, de faire des albums qui font sens. J’ai l’ambition que les choses soient bien faites : que l’album soit bien fait, que le CD soit joli, que les critiques soient bonnes. Je pense avoir des ambitions assez normales.

LVP : Une dernière question : est-ce que tu as vu, écouté, visité des trucs cool dernièrement ?

J’ai prévu d’aller voir l’exposition David Hockney à Beaubourg, je pense que ça va me plaire.

Sinon, côté concerts, j’ai vu Lorenzo Senni cette année, c’était vraiment cool. D’ailleurs, j’ai récupéré son disque aujourd’hui, je ne le trouvais pas à Bayonne. Et mon concert de l’année, je pense que ça a été Teenage Fanclub, à Bordeaux.

Petit Fantôme sera en concert le 10 novembre au Reflektor (Liège, BE) et un peu partout en France dans les prochains mois. Toutes les dates sont disponibles sur PetitFantome.com.

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