Phoenix renaît avec Ti Amo
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Auteur·ice : Adrien Amiot
21/08/2017

Phoenix renaît avec Ti Amo

Le 9 juin dernier, le plus international des groupes français sortait Ti Amo, un recueil de dix titres, quatre années après le massif et sous-estimé Bankrupt!. Malgré un relatif succès critique, ce disque semble cependant remporter moins de ferveur populaire que durant les années dorées de Phoenix, il y a de cela dix ans. On avait de quoi être septique : comment renouveler un genre, l’électro-pop “french touch”, déjà exploité partout et par tous ? Comment continuer à faire rêver les teenagers américains alors que Thomas Mars, le chanteur, vient de  dépasser la quarantaine ? Phoenix aurait eu toutes les raisons de continuer à exploiter la recette magique de Wolfgang Amadeus Phoenix, ce qui leur aurait certainement assuré des ventes solides et une approbation générale des fans de la première heure. Verdict ? Il n’en est rien. Avec Ti Amo, Phoenix trouve sa fontaine de jouvence, opère sa mue en profondeur, quitte à s’éloigner de sa fanbase originelle. Certains reprochent au disque ses mélodies kitch, d’autres sa naïveté, d’autres enfin regrettent la quasi absence de guitares. Mais le groupe n’a jamais été aussi moderne, cohérent et pertinent dans ses propositions ; c’est ici le disque d’un groupe sûr de son art, bien entouré (merci Philippe Zdar !) et parfaitement conscient de son statut à l’international.

Phoenix sait jouer des désirs. Sur WAP, le groupe parvenait à faire fantasmer l’Amérique avec une pop bourgeoise et savante. Phoenix utilisait alors une imagerie variée mais cohérente : la musique classique de Mozart et Listz, le Paris de 1901, et bien sûr Rome, qui devient sur Ti Amo le centre névralgique de tous les fantasmes. Sur ce nouvel opus, et pour la première fois, Phoenix se concentre sur un seul champ lexical, une seule galerie d’imaginaire : celui d’une Italie immortelle, de la Cineccita, des gloires de la pop italienne… En se laissant aller, on est vite embarqué dans ce trip bubble-gum, naïf, pur et d’une sincérité rare. Il suffit d’avoir déjà posé sa valise au-delà des Alpes pour être ému par les rues étroites (Via Veneto), les spécialités locales (Fior di Latte, la gelato Tuttifrutti) et bien sûr le romantisme de la langue, maniée avec grâce par Thomas Mars.

Ce focus est bienvenu, il permet de plonger pleinement l’auditeur dans l’atmosphère souhaitée, sans interférence : tous les éléments se répondent, se parlent et alimentent l’efficacité du tout. De nombreux fils rouges font du disque un ensemble compact : les messages téléphoniques sensuels déposés par lui sur Ti Amo, puis susurrés par elle sur Fleur de Lys, puis résumés par lui sur Telefono ; l’effet sur la voix de Thomas, presque mystique par moment ; et bien sûr la multiplicité des langues utilisées (beaucoup d’italien bien sûr, de l’anglais, du français, et une pointe surprenante d’espagnol). Aucun des dix titres n’aurait pu se trouver sur un autre disque, tant la logique de construction est unique. C’est certainement la marque d’un grand disque, c’est en tout cas celle de Ti Amo

La première chose que l’on remarque en écoutant Ti Amo ? Le renouvellement des sonorités. Si depuis vingt ans on appose l’étiquette passe-partout de french touch à la musique de Phoenix, ce n’est qu’avec Ti Amo qu’elle se légitime : un grouillement de synthés analogiques, un sample afro-house de Lodger sur Fleur de Lys, une boîte à rythme sur Via Veneto, des effets sur la voix tirant vers le vocoder… Phoenix n’a jamais été aussi électronique. On est à deux pas du 1999 de Cassius et du Super Discount d’Étienne de Crécy, sorties fondatrices du mouvement house parisien. Le groupe embrasse une nouvelle fois pleinement son époque et offre ironiquement une musique plus fraîche que la plupart des groupes “millenials”, restés bloqués dans le son de 2007.

Phoenix prend ici pleinement conscience de sa puissance évocatrice, celle qui en un mot met des rêves plein la tête des auditeurs. Si United était le disque de la liberté, WAP celui de la maturité, le nouveau venu est à coup sûr celui de la postérité. Phoenix aurait pu se contenter de tirer sur le filon découvert dix ans plus tôt ; il n’en est rien, Ti Amo est plus abouti, plus cohérent, plus efficace que toutes leurs tentatives antérieures. Ti Amo est un des meilleurs disques de Phoenix, point.

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