| Photo : Antonio De Masi
Ça vous dit quelque chose le festival de Sanremo ? Énorme monument de la chanson italienne qui garantit à qui gagne la représentation du pays à l’Eurovision – si toutefois vous arrivez à passer l’obstacle de la pseudo bien-pensance de droite, bien sûr. Rappelez-vous, il y a quelques années, en 2019 exactement, c’est Mahmood qui avait remporté le trophée et qui avait porté Soldi jusqu’à la deuxième place du grand concours européen. Cette année, c’est Angelina Mango qui remporte Sanremo avec sa chanson La Noia. Même si notre cœur est ravi qu’une femme gagne le concours, phénomène rare depuis quelques années, il nous reste un gout amer. L’Italie, we need to talk.
Nombreuses sont les incroyables chansons qui ont foulé le “palco” du festival, et nombreux·ses sont les super artistes qui les ont portées. On vous donne en ni une ni deux un petit palmarès personnel des années précédentes : IL BENE NEL MALE de Madame, TANGO de Tananai, Brividi de Mahmood et Blanco, Due de Elodie, Zitti e buoni de Maneskin, VOCE de Madame,…
Cette année, nous avions également repéré nos préféré·es parmi la grande sélection des quelques 30 chansons. À Sanremo, tout le monde participe, des plus petites carrières aux plus grandes comme celles de Ricchi e Poveri (vous savez, Sarà perché ti amo !), Loredana Bertè et on en passe. L’Italie et son gout plutôt fin pour le conservatisme s’en voit comblée. Une opportunité pour arriver ou revenir dans le fil de l’actualité, vous l’aurez compris. En 2024, C’est BigMama, Ghali, Mahmood et Angelina Mango qui ont nos cœurs, et nos votes, si on pouvait seulement voter de l’étranger (on vous le dit parce qu’on a essayé).
Nous avons malheureusement dévié de notre favori de toujours, Mahmood, qui a quand même réussi l’incroyable défi de gagner avec une chanson qui parle des quartiers en 2019, ce qui a bien fait rager le pays. Au secours, un homme aux origines égyptiennes, et gay en plus. L’Italie en sueur. Cette année, avouons-le directement, notre cœur a penché vers Ghali, ou encore l’occasion pour les fachos de faire du cardio. Avec Casa Mia et sa pochette façon fond d’écran de Windows Xp, l’artiste véhicule un message qu’on a besoin d’entendre à la télé nationale. Le single raconte l’histoire que nous “regardons sur nos écrans tels des zombies”, celle du génocide palestinien. Interrogé sur la question dans Rockit.it, Ghali explique : “le monde dans lequel on vit fait qu’on a peur de parler, à cause du shadowban, de la censure […] dans ce monde on pense que si on parle on va perdre quelque chose”. “Pour moi porter ce message sur la scène de Sanremo, c’est un motif de fierté”. “La musique a ce pouvoir de faire rentrer un message dans ta peau, parfois sans que tu ne t’en rendes compte”. Il dira plus tard dans un post Instagram qu’il n’a ni le rôle, ni l’ambition de résoudre une question internationale, seulement de passer un message.
Ma come fate a dire
Che qui è tutto normale?
Per tracciare un confine
Con linee immaginarie bombardate un ospedale
Per un pezzo di terra o per un pezzo di pane
Non c’è mai pace
Ndlr. : Mais comment pouvez-vous dire. Que tout est normal ici ? Pour tracer une frontière. Avec des lignes imaginaires, on bombarde un hôpital. Pour un bout de terre ou un bout de pain. Il n’y a jamais de paix.
Si mon show apporte la raison à ce qui n’est pas raisonnable, si ma chanson apporte la lumière à ce que l’on fait semblant de ne pas voir, alors qu’il en soit ainsi. On ne peut plus faire autrement. Il faut prendre position pour que le silence ne sonne pas comme un accord.
– Ghali sur Instagram.
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Si l’Italien dénonce l’inaction, ce n’est pas le seul message qu’il portait cette semaine à destination du public italien. Parmi les 5 soirées du concours, il est de coutume de choisir une reprise à présenter. Mahmood choisissait cette année Come è profondo il mare, chant sarde, en hommage aux origines de sa mère. Ghali, quant à lui, tenait à rappeler à l’Italie toute entière que lui aussi, est un vrai Italien, via un magnifique medley de BAYNA (chanson originale), Cara Italia (chanson originale) et L’Italiano (cover de Toto Cotugno). Il confiait à nouveau à Rockit.it qu’il en avait marre de devoir se justifier, il est Italien, et toutes ses opinions viennent d’une personne qui est née et a vécu toute sa vie dans ce pays.
Il adressait également un message sur les réseaux sociaux en expliquant que BAYNA lui avait permis de tenir sa promesse de chanter en arabe sur la scène de Sanremo. Bayna, c’est aussi le nom du bateau dont il a fait don à Mediterraneo Saving Humans pour aider à sauver des migrant·es en mer. Cara Italia lui a permis d’être dans toutes les maisons d’Italie avec un message engagé qui parle de ses origines tunisiennes, de la politique et des personnes qui lui disent de rentrer chez lui. “Mais j’y suis déjà”, selon ses mots. L’Italiano était la seule chanson que sa mère lui chantait quand il était petit et c’est le seul souvenir qu’il a de ses parents ensemble. C’est aussi l’occasion de dire “Je suis un vrai italien” en pointant du doigt le public et lui-même, sous une marée de violons qui donne un nouveau sens à la chanson.
L’artiste connaissait le risque de porter ce genre de discours sur une scène italienne, et pourtant, il est arrivé dans les Big 5 à la dernière finale, ce samedi soir. Nous avons eu l’espoir qu’il pourrait l’emporter jusqu’à l’Eurovision, si proche et pourtant, Ghali arrive en 4ème position. Angelina Mango gagne Sanremo 2024 avec La noia, super chanson, en partie produite par Madame (chère à notre cœur). Les résultats se divisent en 3 : le vote du public (1,2 % pour Ghali), le vote de la salle de presse (12,5 %), et le vote des radio (7%). Cela veut aussi dire que la salle de presse et les radios ont l’opportunité d’endiguer une victoire une fois leurs votes réunis. Par exemple, Geolier et son morceau en lice avaient reçu 80% du vote du public, et s’est quand même retrouvé second, car c’est Angelina qui a été plébiscitée par les deux autres parties de vote. Un affront qui fâche les internautes, si on en croit notre feed TikTok qui bouillonne, on aurait juste aimé qu’il bouillonne sur la défaite de Ghali (ou de Mahmood à la limite).
Nous avons déjà écouté TUTA GOLD au moins un million de fois et pensé que nous pouvions réciter les paroles avec le même flow que Mahmood. Comme quoi, la vie est injuste, mais on sera au premier rang pour voir Mahmood au Cirque Royal le 16 avril, et Ghali, bientôt, on l’espère sur une scène belge.
Plus tard ce weekend, les artistes passaient à la “Domenica Speciale”, show qui suit le concours. Un moment bien plus détendu auquel participent des journalistes en bord de scène pendant que les artistes performent à nouveau leur chanson. Un Ghali bien plus détendu nous arrive, à qui on apprend en direct que l’Ambassadeur israélien a trouvé “honteux” que la scène de Sanremo soit utilisée pour “répandre la haine et la provocation de manière superficielle”. Chose sur laquelle il se défend en disant qu’il est musicien et qu’il utilise ce qu’il voit pour produire, il ne voit pas le problème de dire qu’il veut la paix, ce sont pour lui des valeurs italiennes. Il laissera également s’échapper un “Stop alla guerra, stop al genocidio, viva la pace”. Mara Venier, présentatrice du show, lira plus tard un message qui fait suite au discours de l’artiste, venant de l’Administrateur Délégué de la Rai présentant sa solidarité au peuple israélien et affirmant vouloir continuer à parler des “tragédies comme celle commise par le Hamas”, sans parler de celle qui frappe tous les jours le peuple palestinien et ce, depuis quatre mois. On peut alors se demander, est-ce que Ghali avait vraiment une chance de gagner ? Vu ce que ça signifie pour un artiste italien de gagner ce festival, c’est d’autant plus respectable d’y avoir été avec une chanson qui n’allait potentiellement jamais lui apporter la victoire.
Mes articles sont plus longs qu’un solo de jazz.