| Photos : Jack Lovekin
En octobre dernier, nous étions au festival Left of the Dial à Rotterdam. Trois jours de concerts dans des lieux insolites, de rock dans les églises, de musique alternative et d’open bar sur des bateaux au son des guitares électriques. Un vent de liberté soufflait sur toute la ville. Après un live saisissant dans une église, notre coup de cœur du festival s’est porté sur le groupe londonien Famous.
Leur dernier disque, Party Album, sorti en 2024, offre 30 minutes et 57 secondes d’émotions mixtes. Entre extase et vertige, Famous dépeint et célèbre les complexités de l’existence. L’écouter, c’est se libérer. Party Album peut potentiellement créer une légère addiction : sans s’en lasser, on l’écoute en boucle. Nous avons donc sauté sur l’occasion de rencontrer un membre du groupe.
Chanteur, auteur-compositeur principal de Famous, Jack Merrett a une subtilité d’écriture et un goût pour les contrastes un peu à la Gainsbourg. Des paroles touchantes, ironiques et parfois amères, avec en fond la joliesse d’accords doux, complexes et inattendus. Un brin d’optimisme suivi de silences qui terminent sur des déchirements et des solos de guitares électrisants. Des variations de voix, rappelant Lou Reed, qui traduisent son don à faire vivre ses textes. Il mélange les genres, jouant entre chaos et harmonie, avec ce talent naturel à saisir son audience. L’énigmatique Jack Merrett écrit – entre autres – le désespoir rempli d’espoir, l’amour, l’amitié et le UK.
La Vague Parallèle : Hey Jack, comment ça va ? On va commencer avec une question un peu spéciale. Si tu ne faisais pas de la musique, que ferais-tu ?
Jack Merrett : Très bien, merci. Bonne question (rires). Je ne suis pas sûr mais j’aimerais probablement écrire. Être écrivain, d’une certaine manière. J’ai beaucoup étudié et je m’intéresse beaucoup à l’histoire, la politique et la religion. J’imagine que j’en ferais quelque chose, soit en tant qu’universitaire ou journaliste.
LVP : De quoi parlerait ton premier livre ?
Jack : J’ai toujours voulu écrire un essai ou un recueil d’essais sur l’Angleterre. Ce qui m’a toujours intéressé, c’est ce qu’est l’Angleterre historiquement et ce qu’elle représente aujourd’hui.
LVP : Dans ta musique, tu abordes des aspects culturels du Royaume-Uni, parfois de manière ironique. Tu mentionnes aussi ta vie en général au Royaume-Uni. Comment ça se passe pour toi actuellement ?
Jack : Je vais bien. Je me débrouille. Je pense que le Royaume-Uni va bien. Le monde traverse probablement une période de transition et d’incertitude, où l’ancienne manière de concevoir les choses ne paraît plus adaptée ou pertinente. Le Royaume-Uni ne fait pas exception. On a du mal à définir ce qu’on représente ou ce qu’on cherche à accomplir dans le monde, et je trouve ça très intéressant. Cela s’applique à une grande partie de l’Europe. Nous n’avons pas encore trouvé notre rôle au XXIᵉ siècle.
LVP : En parlant d’Europe, tu es venu à Rotterdam il y a quelques semaines pour le festival Left of the Dial. Peux-tu nous parler de ton expérience ?
Jack : C’était une super opportunité. On a joué quatre concerts en un week-end, ce qui est assez rare. J’ai beaucoup aimé la ville et les gens étaient formidables. Pour l’un des concerts, on a fait un set juste tous les deux avec le pianiste, pour essayer quelque chose d’un peu différent. C’était sympa de pouvoir expérimenter.
Photos : Jack Lovekin
LVP : Dans Modern Times, tu écris : « The Party Album is here and it’s so much better than I could ever have hoped it would be » (Party Album est là et il est bien meilleur que ce que j’aurais pu espérer). Peux-tu nous en dire plus sur le processus créatif de ce nouveau disque ? Était-il différent des projets précédents comme The Valley, sorti en 2021 ?
Jack : C’était plutôt différent oui. The Valley a été réalisé avec un petit groupe de base, mais il était très collaboratif car beaucoup de gens y ont contribué. C’était assez dysfonctionnel. On l’a réalisé sur une longue période. En revanche, Party Album a été écrit, développé et enregistré avec les mêmes personnes. On a davantage le sentiment qu’il s’agit d’un groupe, avec un personnage cohérent à travers les différents morceaux. En ce qui concerne l’écriture des textes, j’ai trouvé beaucoup de réconfort dans le fait d’être très honnête et de raconter une sorte d’histoire de mes expériences en des termes assez francs. Bien qu’il y ait encore un peu de cela dans Party Album, j’étais plus intéressé par l’idée de partir de ces expériences et de les situer dans quelque chose d’un peu plus vaste, avec plus de place pour l’abstraction et l’ambiguïté. J’ai commencé à vouloir écrire sur moi-même et sur des expériences qui m’étaient arrivées. Les inscrire dans un univers un peu plus étoffé où d’autres choses se passent. Il y a de la place pour d’autres personnes et plus pour ce qui m’intéresse également. Il y a beaucoup d’histoires et d’idées religieuses qui s’entrelacent, ce qui m’a permis de dépasser mes expériences personnelles pour les relier à quelque chose de plus collectif.
LVP : Te souviens-tu d’un moment qui a marqué ou déclenché la création de cet album ?
Jack : La première chanson que j’ai écrite pour l’album, en sachant que c’était pour cet album, s’appelle Love Will Find A Way. Elle se trouve à la fin de l’album dans l’ordre des morceaux. C’était une expérience inhabituelle pour moi, car je suis normalement un auteur très lent. J’accorde une grande attention et je réfléchis beaucoup aux paroles. Pour Love Will Find A Way, j’ai créé le motif central au piano et je l’ai mis en boucle sur mon ordinateur. J’ai commencé à écrire. Presque toutes les paroles sont venues dans l’ordre dans lesquelles je les chanterais. La manière dont cette chanson a été écrite m’a donné l’impression d’une nouvelle ouverture, car il y a toujours une partie de moi là-dedans. Il y a des détails de ma vie de tous les jours, comme un SMS envoyé à ma mère et des petits fragments de choses ordinaires. Ces petits exemples ironiques d’amour dans ma vie, sous toutes ses formes, que ce soit avec des ami·es, ma famille ou l’amour romantique, s’additionnent à une idée un peu chrétienne d’un amour universel et rédempteur, qui n’a en réalité rien à voir avec moi. C’est comme si ça fonctionnait sur un canal complètement différent. J’ai continué à essayer de combiner ces petits détails particuliers de ma vie, en espérant que cela ne semble ni bête ni prétentieux, tout en atteignant quelque chose de grand et légèrement au-delà de ma propre compréhension.
LVP : Tu viens de mentionner le processus d’écriture. Que dirais-tu de l’intention narrative dans l’album ? Est-ce qu’il y a une manière spécifique d’écouter Party Album ? Par exemple, dans une voiture la nuit ou dans un parking vide ? Nous, on l’écoute la nuit à vélo à fond dans nos écouteurs. Que recommandes-tu ?
Jack : Honnêtement, je ne saurais le dire. Ce qui est étrange quand on fait de la musique, c’est qu’en tant qu’auteur·ice, on fait l’expérience de l’ensemble par petits fragments. Il y a le jour où on a écrit cette chanson, puis le jour où on l’a enregistrée. À travers ce processus, on devient progressivement de moins en moins familier·e avec notre propre travail, car on ne le voit que dans les petits moments où on y est confronté. À la fin, il devient très difficile d’imaginer ce que l’expérience peut-être pour quelqu’un·e qui l’écoute en un seul coup. On n’a jamais cette opportunité, et quand on pourrait l’avoir, on a déjà trop d’associations avec chaque chanson pour les entendre comme une personne normale le ferait. Je passe beaucoup de temps à conduire la nuit. C’est un bon moment pour écouter de la musique en général. Ou à vélo, si c’est plus votre truc.
LVP : On essaie d’être plus éco-friendly.
Jack : Je trouve que faire du vélo en écoutant de la musique est trop distrayant. Je vais finir par foncer dans une voiture (rires).
LVP : Quel·les artistes, œuvres ou personnes t’ont influencé lorsque tu écrivais et préparais cet album ?
Jack : C’est très difficile pour moi d’imaginer ce que je fais sans penser aux choses qui ont compté. Musicalement, j’ai passé une grande partie de l’année dernière à écouter de la musique classique, au sens large. En particulier, un compositeur anglais nommé John Taverner, que j’ai trouvé extrêmement puissant et formateur. J’écoutais des chorales, particulièrement anglaises, ainsi que Rachmaninoff. Une énorme influence pour l’album, particulièrement pour moi personnellement et au niveau des paroles, a été une auteure-compositrice-interprète appelée Judee Sill. Elle a écrit des chansons d’amour dévastatrices. Elle venait d’un milieu religieux très conservateur et a grandi en jouant du piano dans des églises. Sa musique a une magnifique inflexion hymnique, mais l’imagerie, en vieillissant, est devenue progressivement plus abstraite et sombre. Elle est morte très jeune. Elle a eu une grande influence sur moi. En terme de littérature, je vais seulement nommer un roman qui a eu un grand impact sur moi : Les Buddenbrook de Thomas Mann. Le premier livre qu’il a écrit à l’âge de 25 ans. C’est pour moi la réflexion la plus incisive et profonde sur la vie dans une Europe post-industrielle, et sur l’existence silencieusement tragique de la classe moyenne européenne. Il y avait quelque chose d’incroyablement puissant dans cette œuvre, ainsi qu’une réflexion sur la famille. C’était pour lui une tentative de revenir en arrière et de rétablir la vérité sur sa propre famille. Je pense que j’ai fait un peu la même chose. En dehors de ces influences spécifiques, je retourne toujours à la musique que j’écoutais enfant. Les Beatles et Elvis Presley ne sont jamais loin. Et Lou Reed.
LVP : En tant qu’artiste éclectique aux nombreuses influences, comment te présenterais-tu ?
Jack : Je joue dans un groupe parce que c’est ce que je faisais adolescent, et j’ai continué à le faire. Famous est une tentative d’intégrer autant de choses que j’aime dans un groupe – en dehors du fait de jouer dans un groupe. Que ce soit audible ou non, il y a cette influence venant d’une grande variété de genres musicaux : que ce soit la country, le hip-hop, la pop, la musique classique, le jazz ou la musique traditionnelle. J’essaie d’intégrer tout cela, et je m’intéresse au monde de diverses manières. J’essaie toujours de trouver un moyen, peut-être maladroitement et sans conviction, d’intégrer autant de choses que j’aime dans ce monde, dans la musique. « Je joue dans un groupe » est ma réponse simple.
LVP : Comment la dynamique de groupe a influencé la création de Party Album ?
Jack : J’écris les paroles, une grande partie des structures des chansons et les accords simples. Au-delà de ça, c’est très collaboratif et l’album ressemble aux personnes qui l’ont joué. Je tiens toujours à ce que celleux qui contribuent à la musique jouent comme iels le feraient s’il s’agissait de leur propre projet, et qu’iels essaient de s’exprimer pleinement. Je veux que ce soit une expression complète pour toustes les participant·es. C’est vraiment marqué par les personnes qui ont joué sur l’album.
LVP : As-tu eu des difficultés ou entretenu une relation particulière avec l’une des chansons écrites pour Party Album ?
Jack : Elles ont toutes été difficiles à leur manière. Je pense que Leaving Tottenham a été particulièrement difficile pour moi. C’était très difficile à finir, parce que j’ai essayé de mettre beaucoup de moi-même dans les paroles, et il y avait très peu de mots dans cette chanson. Si on regarde les paroles écrites, aucune autre chanson n’a exigé autant de travail pour que chaque mot compte. En ce qui concerne la composition musicale, What Are You Doing The Rest Of Your Life nous a pris un temps incroyablement long, en partant de l’hypothèse, maintenant prouvée incorrecte, qu’elle allait être un succès mondial (rires). Nous avons travaillé très dur sur ce morceau également.
LVP : Le clip de What Are You Doing The Rest Of Your Life a été réalisé par James Ogram. Comment s’est passé le processus de création en collaboration avec lui ?
Jack : James est un collaborateur de longue date et c’est quelqu’un de très talentueux. Nous avons travaillé ensemble sur le concept de la vidéo. Nous avons essayé de créer l’impression d’une grande histoire, sans jamais la dévoiler complètement, même à nous-mêmes. Je pense qu’il y a quelque chose de très Famous là-dedans : viser quelque chose de très grand sans vraiment savoir ce que c’est. C’était vraiment spécial de créer ce clip, avec une équipe et un casting merveilleux.
LVP : Sur scène, joues-tu un personnage, ou penses-tu que la musique te permet d’être toi-même ?
Jack : Il y a un aspect qui consiste à jouer un personnage. D’une manière amusante, c’est en partie à travers le jeu d’un personnage que je peux être moi-même. Comme tout le monde, je peux me sentir très timide, incertain et douter de ce que je fais. En mettant ce masque de quelqu’un qui, en théorie, avance avec confiance, je suis capable de dire les choses que j’aimerais de toute façon dire – mais que je ne pourrais peut-être pas autrement. Il faut y croire soi-même pour que les autres y croient. Même si j’ai peur ou que je me sens timide, j’essaie de me concentrer sur la précision et sur le fait d’être autant que possible la personne que j’essaie d’être. Je me force simplement à devenir la personne capable de faire cela, même si je ne me sens pas toujours capable.
LVP : La perception que tu as et celle que tu donnes au public, ce sont deux mondes différents. Où vois-tu Famous aller ensuite, musicalement ou artistiquement ?
Jack : Je n’ai pas d’attentes. Nous allons sortir plus de musique bientôt, dès que possible. Espérons-le, sortir et jouer pour plus de monde. J’essaie de me concentrer sur le simple fait de profiter de pouvoir faire ça, d’essayer de m’améliorer dans l’écriture et de moins penser à l’avenir à long terme.
LVP : Quand tu écoutes de la musique en général, fais-tu plus attention aux paroles ou à la partie instrumentale ?
Jack : Les paroles je dirais. Elles me frappent beaucoup. C’est difficile de les séparer de la mélodie, du contexte et de la voix dans laquelle elles sont livrées – mais oui, les paroles.
LVP : Si tu devais choisir un morceau qui capture vraiment l’essence de votre projet, lequel serait-ce ?
Jack : Peut-être Modern Times.
LVP : Tu triches, c’est une chanson de l’ancien album (rires).
Jack : Pour le nouvel album, je dirais Leaving Tottenham, mais ma vraie réponse est un morceau qui n’est pas encore sorti…
LVP : On est curieux·ses de l’entendre. Une dernière question pour clore cette conversation : imagine que tu es coincé quelque part et que tu ne peux écouter qu’une seule chanson pendant 24 heures. Laquelle choisirais-tu ?
Jack : Disney Girls des Beach Boys. C’est ma chanson préférée. Elle est magnifique.
Et pour les curieux·ses qui voudraient expérimenter Famous en live tout bientôt, le groupe se produira sur la scène mythique du 22 au Printemps de Bourges le jeudi 17 avril prochain aux côté de Knives, Gwendoline ou encore Chloe Slater.
J’espère écrire mieux que je chante.