| Photo : Nick Ventura
Si on vous dit “musique très particulière qui évoque ce sentiment brûlant dans la poitrine, qui ne veut pas partir”. Ou encore “des émotions imagées et narrées aux moyens de picking, d’une voix solide et rassurante et une gestion particulière des respirations sonores”. Savez-vous de qui on parle ? C’est bel et bien de Tamino et de son large spectre émotionnel qu’on retrouve dans Every Dawn’s a Mountain, sorti ce 21 mars. Et si l’envie vous prenait de lire notre ressenti sur cet album, le voici.
Soupir. Commencer à écrire cet article s’est révélé plus compliqué que prévu. Peut-être qu’une 40ème écoute de l’album nous aidera. Un peu de contexte est de mise pour celui-ci. En 2017 : l’écoute des premiers sons de Tamino. A l’université : rires de fellow classmates “mais toi, t’écoutes que de la musique triste aussi”. Ne pas avoir l’impression d’écouter de la musique triste car beauté, réconfort, mélancolie, et intensité auraient été des mots plus justes. Continuer à rechercher pendant toutes ces années toutes les musiques qui nous déchirent le coeur parfois, mais nous enlacent souvent. Pour la faire courte, vous lisez les lignes écrites directement via des oreilles conquises par une humble poésie aux paroles crues et simples.
Si souvent des artistes se cherchent, affinent leurs styles et changent en cours de route, la musique que l’on vous présente aujourd’hui a toujours été solide et déterminée, avec une sensibilité à l’épreuve de tout (même du fascisme, oui). D’un premier EP éponyme surprenant, à l’intensité de Amir, à la justesse de Sahar ; nous n’avons pas encore réussi à être déçu·es. Pourtant, on a essayé, on vous assure. Every Dawn’s a Mountain s’inscrit dans la lignée tracée par ses prédécesseurs. Un peu comme une braise qui ne s’est pas encore éteinte, et qui, par son dernier effort, nous donne l’assurance que le feu se relancera toujours.
Cela fait quelques temps que la conviction nous effleure, la poésie de Tamino a une espèce d’urgence d’exister. On a pu la découvrir dans le rythme des tracks : Intervals, Habibi, w.o.t.h, Reverse, The First Disciple, au rythme rapide et increvable. Cette urgence a aussi coexisté avec une légèreté dénichée dans Verses, The Flame, Cinnamon, apaisant. Puis, un aspect dramatique prédominant, dans Indigo Night, Persephone, You Don’t Own Me. Dans ces trois aspects qui coexistent, on a pu décortiquer ses paroles, dont chaque mot a été placé avec mesure et attention. Elles n’ont besoin d’aucune fioriture de langage ou de prétention pour nous toucher. Des mots simples, des productions très justement dosées et jamais saturées ou superflues.
De toutes ces envolées qui ont rythmé nos marches nocturnes, on a pu voir certains thèmes se dégager : l’aube, le feu et la mémoire. L’aube est un concept qui semble toucher particulièrement l’anversois. C’est la traduction directe de “Sahar“, nom de son deuxième album, mais elle est aussi présente dans “Every Dawn’s a Mountain“. Le sentiment brûlant, il l’insuffle dans chaque recoin de sa musique. Et à l’occasion, peut-être une fois par album d’ailleurs, il nous raconte une histoire grâce à un détour mythologique ou biblique (oserions-nous vous dire que ce sont nos préférées ?).
C’est d’ailleurs ce que nous raconte lui-même l’artiste dans un texte écrit pour cet album, dont on apprécie profondément l’écriture : “The metaphor is apt, for if there were one prevailing element in these songs it would be fire. The most unpredictable, volatile, and destructive of the four.”. On voit très bien ce feu se matérialiser dans cet opus, parfois sous sa forme la plus douce, et parfois sous la plus vive, et avec tout ce qui réside entre les deux.
I wanna love tomorrow, but I love what’s left
Tamino nous présente son premier single avec une de ces références, Babylon. En toute subjectivité journalistique, on ne peut vous raconter l’admiration qui nous habite à chaque écoute. On y retrouve le violoncelle de Frederick Daelemans qui semble lointain au début, mais déjà déchirant. Et lorsque la voix de Tamino arrive, on sait déjà qu’on est foutu·e. On se rappelle l’histoire de cette ville de Mésopotamie, une des plus vastes de son temps, dont il ne reste que les ruines. Elle est marquée par le déclin et l’abandon : “I’ll be counting my treasures in fire”. Cette chanson nous fait passer par des périodes de gloire et tendresse intense à des moments de douleur profonde, de décadence et presque de colère. Comme la perte d’un amour qui a occupé une place divine dans notre coeur, la perte de Babylone se fait dans la douleur. Cette progression vers un trou béant est soutenue par un picking qui s’accélère et le violoncelle qui suit ce déchirement. Au plus la voix de l’artiste devient grave, au plus on en mesure la gravité. Et puis, … l’explosion, la descente de cendres et le calme, le trou béant.
Babylon, I’m looking out from your cold tower
Into a past horizon
And therе’s lady love
My lady love
I built myself from hеr warmth
I built myself from her warmth
When it was just us
When it was just us
We built ourselves a tower
We built ourselves a tower
Nous avons eu la chance de voir le show prévu pour l’album deux fois avant d’écrire cet article, et quel piètre article nous aurions écrit si cela n’avait pas été le cas. Comment parler d’un son qui se vit, à des gens qui lisent via un écran ? Comment décrire le sentiment qu’on a quand on a l’impression d’être seul·e à un concert et de devenir le vecteur de mille émotions ? Cette intensité, autant en live qu’en studio, ne serait par ailleurs pas la même sans le talent des musiciens qui accompagnent Tamino ; Ruben Van Houtte (percussions, guitare, clavier), Frederik Daelemans (violoncelle), Alessandro Buccellati (guitare). On a pu apprécier l’un des tous premiers concerts solo de ce dernier, avec son projet plus +.+, prometteur et surtout intimement lié à la musique de Tamino puisqu’il a participé à l’écriture de cet album (particulièrement sur Sanctuary).
She sinks in my weary eyes
Something she knows
Speaks of the ancient sign
That marks my soulAnd she returns a smile
It’s my pain and fault
Around us
It calms the cold
Le seul bémol, il nous manquait le passage de Sanpaku, issu de ce nouvel album. Une chanson qui s’habille du son très particulier de l’oud, que Tamino a su magnifier depuis maintenant quelques temps. On pourrait dire que c’est exactement de cette façon que l’urgence prend forme auditivement. On a l’impression de galoper vers une destinée très précise en plein soleil, accentué par un beat discret mais très singulier. “Is this real, she’s asking me”, nous dit-il dans un moment de quiétude, avant de reprendre la course. Raven suit le même processus, composé directement à partir de cet instrument, et dont le reste de la production gravite autour. Ici, les percussions se détachent pour venir challenger le rythme de la musique. Le riff principal, semblable à de la dentelle sonore fait retentir “Wait for me”, et “Erased” plusieurs fois ensuite. Après le bridge qui nous laisse à peine le temps de reprendre notre souffle, le violoncelle retentit puis une voix de tête, signe distinctif que c’est bien du Tamino. Elle se loge dans un endroit lointain jusqu’à s’effacer avec la musique.
I watch the raven fly
Paint a darker sky
Every night she dives to meIt’s like she seems to say
Oh dear runaway
You will only run to me
Quelque part dans le live, quand notre cerveau a déjà bien pu s’imprégner de chaque couleur du spectre affectif de Tamino, il nous laisse une petite fenêtre vers les sons qui ont marqué son esprit. Il nous assure ne pas connaître les paroles par coeur, et pourtant, rien ne semble fébrile dans cette restitution. Puisqu’on a beaucoup apprécié la démarche, et qu’on aurait adoré parler de musique avec lui si on avait pu avoir une interview, on vous donne la playlist des covers de ces quelques concerts intimistes :
For we we stole from eternity
Certaines chansons semblent muter avec notre besoin de douceur, c’est le cas de Dissolve qui arbore une narration très particulière et qui permet une progression jusqu’aux envolées vocales de l’artiste. Comme un délicat cri mélancolique, elle nous rappelle la fragilité des relations et comment un “tu me manques” qui semble sincère et éternel peut soudainement disparaitre. On aimerait vous coller toutes les paroles de cette chanson tant elle nous a prit le coeur sans crier gare. Un très bel exemple de la délicatesse mise dans chaque lettre et chaque image qu’évoque son auteur, tant elles sont incarnées. Les sentiments à vif, Tamino nous ressert ses sujets préférés, à savoir le deuil et l’aube qui s’en suit. “See yet another erase me”, le sujet de l’oubli qu’on a déjà pu retrouver dans plusieurs chansons comme par exemple dans Raven. Mais si on fait petit un retour dans le passé, il nous disait déjà “For everything dies, so does memory”, dans Cigar. Des lignes qui sont restées avec nous depuis.
Night falls upon the yard like a shade
The willow is weak, the bed has been madeNight falls within, it bleeds through the bark
Its shadow contains a piece of my heart
Bien qu’on ne puisse pas vous faire une thèse sur chaque morceau (on n’était pas loin pourtant), on tient quand même à citer quelques mentions spéciales. L’obscurité de Willow qui répond directement à la lueur de Every Dawn’s a Mountain, la justesse de Elegy dont les mots “Fall on all we have wasted, call on love to reclaim us” nous ont particulièrement touché. Et ils nous rappellent plus que jamais que dans la musique, les mots sont importants (on espère que vous aviez deviné que la personne qui écrit ces lignes les affectionne particulièrement).
Afin de terminer la jolie boucle de ce projet, on aimerait faire une mention spéciale à Amsterdam. Nous avons pu assister à la performance de cette chanson dans cette même ville, quelle aubaine vous nous direz. D’une voix chargée d’émotion, il nous racontait son lien particulier avec Amsterdam, dans laquelle il a vécu quand il était encore bébé avec sa mère, qui était elle aussi présente dans la salle. Là-bas, il y a étudié et il en connait bien les rues : “somehow this connexion made it to the album” nous dit-il.
I’m going to my mother’s old café
Where she would work when I was on the way
Oh, Amsterdam would hold her for eight yеarsAnd when I came, we driеd her ocean tears
I’m turning every corner of my past
Clouded by the trails of burning grass
Where I once found a taste of happiness
Waiting ‘neath your moonlit, scarlet dressI walk along the old canal, the market glows
I know these streets, I know them well
And there I see you once again
Why can’t we dream as beautifully as then?I know now how it ends
I know now how it ends
I know now how it ends
We know now how it ends
Si nous devions conclure cet article de la façon la plus simple, on vous dirait qu’une fois de plus, chaque chanson a su trouver un espace au fond de notre coeur, bien qu’on ne pensait même plus en avoir la place. On vous dirait aussi que l’évidence de chaque mot a laissé une nouvelle trace dans notre esprit et on les retiendra encore. Puis, on vous dirait qu’on espère que chaque note vous a réconforté sur ce qui est perdu et ce qui est à venir. Puisse les braises ne jamais s’éteindre totalement pour avoir la chance d’écouter à nouveau un album de Tamino. On vous laisse sur les mots de l’artiste qui valent sûrement 1000 articles que l’on pourrait écrire à son sujet :
“Usually, songwriting feels more like carving away into a self-revealing sculpture rather than carefully implementing a pre-existing blueprint. After recent developments in my life, however, I did feel a tremendous urge to build a metaphysical altar for what had been lost. The end result, though at times eclectic, feels like the most harmonious record I’ve made to date, with all 10 songs strung together by a same sense of honoring and letting go.”
Mes articles sont plus longs qu’un solo de jazz.