| Photo : Paul-Louis Godier pour La Vague Parallèle · Texte : Arotiana Razafimanantsoa et Flavio Sillitti
On arrive tard, certes, mais la nostalgie n’en est que plus belle et plus forte. Un mois après avoir foulé le Bois de Vincennes à l’occasion de l’incontournable festival parisien vert et engagé We Love Green, on vous dévoile nos coups de cœur et les concerts qui sont restés imprimés dans nos rétines et nos tympans plusieurs semaines plus tard.
Le soleil tapait fort au cœur d’un grand ciel bleu en cette première semaine du mois de juin, et si on vous parle du beau temps c’est que la clémence de la météo était chargée d’importance pour cette édition 2023, l’année précédente ayant malheureusement été entachée par l’annulation d’un jour de festival pour cause d’averses abondantes. C’est donc serein·es et frappé·es par le cagnard que les organisateur·ices ont pu accueillir 93 000 festivalier·ères rassemblé·es devant l’un des 78 concerts ou des 16 conférences du Think Thank, endroit d’émulation collective qui questionne nos quotidiens autour de sujets comme l’écologie ou la mondialisation.
| Photos : Paul-Louis Godier pour La Vague Parallèle
L’effervescence du festival avait largement de quoi entamer la saison des festivals en beauté : entre une rampe de skateboard invitant les pointures internationales, un stand de friperies en plein site, un food corner unique en son genre et 100% végétarien ou encore un salon de coiffure en plein air, le We Love Green sait rajouter la touche d’extra qui marque et séduit.
Si on reste encore meurtri·es de l’annulation last minute de Caroline Polacheck (qui méritait à elle seule le déplacement de nos corps fatigués et mélomanes), d’autres concerts nous ont tapé dans le cœur, à commencer par la funk salvatrice de NxWorries, l’emo-rap hanté de Yung Lean, la fièvre rock contagieuse de Surf Curse ou encore la consécration de Varnish La Piscine, artiste pluriel à l’esthétique et à la vision claires, qu’il nous tarde de voir s’envoler plus haut encore. Mais des multiples shows qui ont attisé notre curiosité, six ont largement gagné nos cœurs.
Little Simz
On risque peut-être de se répéter, nos compatriotes belges l’ayant déjà inondée d’éloges pour son passage au Core Festival de Bruxelles, mais Little Simz était la vraie superstar du We Love Green. De son flow incisif, sa prestance magnétique et ses textes forts, la Britannique a assuré un seule-en-scène impeccable, empochant toute l’admiration et le respect de la plaine de la Main Stage, avec un show rempli d’esprit et de technicité, sans pour autant verser dans le froid et le distant.
Little Simz est proche de nous, prend le temps de savourer cette consécration parisienne, elle qui n’a jamais misé sur les hits ou les sorties faciles, préférant défendre un rap britannique intemporel, politique, au phrasé demandant et challengeant en live, qui n’a jamais aussi bien résonné que sur les enceintes de La Prairie du We Love Green. Mention spéciale pour Point and Kill ou encore Woman, qui ont enchanté l’assemblée, tandis que Venom aura offert un moment d’intensité rare en cette fin d’après-midi ensoleillée. Sans faute.
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Yves Tumor
Si vous avez déjà eu la chance d’assister à un concert de Yves Tumor, vous saurez de quoi on parle quand on vous dit qu’on ne sait pas toujours par quel bout prendre sa performance. Pour avoir vu l’artiste quelques années auparavant au Dour Festival, son exubérance à l’américaine nous avait laissé·es dubitatif·ves face à une nonchalance et son jemenfoutisme sans filtre, qui nous donnaient l’impression de cracher sur sa discographie pourtant si solide. Alors qu’on s’apprête à lui donner une seconde chance cette année au We Love Green, le même genre d’attitude s’invite sur scène : désinvolte, détachée, bordélique. Et là, le déclic.
Le problème, c’était peut-être nous. Yves Tumor et sa bande demandent de considérer le dispositif live comme un terrain de jeu au sens propre du terme. L’artiste ne vient pas religieusement réciter ses tubes dans les versions qui nous plaisent à l’audio, mais plutôt laisser transparaître l’esprit de ses compositions, foncièrement impétueuses, incontrôlables, et forcément rock’n’roll. Voilà du glam-rock qui ne s’excuse pas, qui marmonne s’il le veut, qui hurle s’il le veut, qui abîme son matériel sans vergogne, arrose la foule de son breuvage, enchaîne les poses lascives et suggestives au sol avec son musicien, n’en déplaise à la bienséance. Honnêtement, avec une musique si peu orthodoxe, le show qui l’accompagne se doit d’être subversif et déstabilisant. Une fois le message passé, le spectacle n’en est que plus réjouissant. Ça y est : on aurait donc compris Yves Tumor.
Sudan Archives
Un dimanche après-midi dans les bois de Vincennes, les spectateurs·ices rassemblé·es à La Canopée ne s’attendaient pas à une montée de chaleur supplémentaire… Un son de violon inhabituel se fait entendre, annonçant l’entrée imminente d’une artiste qui incarne à la perfection la splendeur et la sensualité : Sudan Archives, tenant fermement son instrument de prédilection. Avec sa voix mielleuse chantant Milk Me, elle commence son concert en douceur. Même celleux qui la découvraient tout juste se laissaient envoûter. À travers sa musique, Sudan Archives (a.k.a Brittney Parks) souhaite transcender les conventions du violon et offrir une vision totalement décalée de cet instrument, exploit qu’elle réussit avec brio sur scène notamment avec des morceaux comme Nont For Sale.
Débordante d’énergie, Brittney est capable de basculer subitement vers des morceaux entraînants qui la font se déhancher sur scène au rythme des acclamations du public. Comment résister à l’envie de la rejoindre et de danser sous le soleil ardent de Paris ? Une mention spéciale pour NPBQ (Topless), OMG BRITT et ses solos de violon qui ont rendu les spectateur·ices hystériques. L’expression « trop belle découverte » a même été entendue dans le public… Si vous n’avez pas eu l’occasion d’assister à We Love Green cette année, on ne peut que vous recommander une chose : une bonne dose de Natural Brown Prom Queen et, évidemment, Come Meh Way pour découvrir Sudan Archives dans toute sa splendeur.
070 Shake
Un show qu’on attendait avec impatience, et qui nous l’a bien rendu. Notre amour pour 070 Shake, connue comme la protégée de Kanye West, reflète notre admiration pour ce registre rap pluriel et sans frontière. Sa musique se teinte de couleurs diverses, d’époques opposées, de courants conflictuels, et c’est peut-être ce qui nous attire vers son concert ce soir-là : l’envie de découvrir comment cet éclectisme se met en scène sous l’égide d’une des promesses de la nouvelle scène américaine en plein envol.
Charisme, attitude, force, dramaturgie : Danielle Balbuena, de son vrai nom, est une bête de scène. Pas de celles qui virevoltent et se contorsionnent d’un côté à l’autre de la scène, ni de celles qui captivent par des vocalises célestes. Mais plutôt de celles qui vous happent du regard, qui imposent l’attention par leur posture, qui savent exactement ce qu’elle veulent et comment faire pour l’avoir. Elle est impressionnante, vous donne envie de l’écouter, fait s’enchaîner ses hits en prenant soin de préserver l’énergie d’une foule qui lui a bien rendu également.
Lorsque commence à résonner son tube Honey, elle s’arrête : “Je déteste ce son” lance-t-elle à sa foule, déçue de ne pas pouvoir s’ambiancer sur l’un des titres emblématiques de sa discographie. Mais c’est comme ça, la chanteuse ne se ment pas, préfère s’amuser sur des unreleased, prendre un bain de foule sur le mythique Ghost Town, ou rejouer l’excellent Cocoon issu de son dernier album, tant il galvanise son public du soir, dont sa compagne Lily-Rose Depp sur le coin de la scène. Un grand moment, qui manque peut-être d’ambition scénique, même si le manque est rapidement comblé par la présence de l’artiste.
La scène Grünt avec H Jeune Crack, Winnterzuko et Luther
Lorsqu’on accorde une carte blanche à Grünt, on ne peut s’attendre qu’à une chose : la crème de la nouvelle génération de rappeurs francophones, ou comme le dit si bien Jean Morel, « ces artistes qu’on adore ». H Jeune Crack, winnterzuko, Luther – ces jeunes rappeurs n’auraient jamais osé imaginer fouler la scène de We Love Green il y a quelques années, et ils n’ont pas cessé de le dire entre les morceaux. Notre fierté était immense et nos émotions profondes alors qu’on assistait à l’une de leurs premières apparitions en festival, d’autant plus un événement d’une telle envergure. Entre leurs descentes dans le public, les pogos survoltés, les mots doux, notre passage à We Love Green a été marqué par ces performances où l’authenticité n’a jamais été aussi palpable. Ce sont ces moments précis qui nous font apprécier encore plus ces artistes.
Aujourd’hui, en réécoutant leur musique, on se souvient des sourires qui illuminaient nos visages tandis qu’on criait en sautant de joie : « j’suis au max », « elle c’est ma princesse Monono » ou encore « veni, vidi, vide ». Et puis pour certains parents qui accompagnaient leurs ados, c’était la grande découverte des pogos… Que ce soit sur Pshiitt.. avec un H Jeune Crack qui lâche la pression, Dirty avec Khali qui rejoint winnterzuko sur scène, ou encore Alakazam, un morceau qu’on attend toujours impatiemment lors des lives de Luther, les accompagnants étaient pris de surprise par l’exaltation du public qui était en train de retourner la scène du Think Tank.
| Photos : Paul-Louis Godier pour La Vague Parallèle
La boum de Skrillex, Nia Archives et VTSS
En festival comme dans la vie, les imprévus sont souvent ce qui peut nous arriver de mieux. Un mois après, la douleur de ne pas avoir pu voir Caroline Polacheck entonner ses incantations pour raisons médicales nous tourmente encore. Mais l’événement inopiné nous a au moins permis de nous surprendre, en participant à la boom électronique ayant lieu au même moment au La La Land, chapiteau en ébullition à toute heure du jour et de la nuit, et qui a vu fouler les chouchous du moment des registres techno et électro tout au long du week-end, de Honey Dijon à la sensation Two Shell, en passant par Channel Tres ou même la Parisienne Crystallmess, qui a accompagné Frank Ocean sur son fameux set au Coachella plus tôt dans l’année.
C’est dans cet antre de la fête que la tête d’affiche Skrillex a décidé de s’inviter. Sur sa demande, le célèbre producteur américain a été décalé de la Main Stage à la La La Land pour se glisser entre les sets de ses sœurs d’armes, la Britannique Nia Archives et la Polonaise VTSS. Un tiercé absolument jouissif qui aura gardé le chapiteau complètement bondé pour la dernière journée de festival. Transpirations, chaleur suffocante, pogos, brûlures de clopes, nouveaux copains, câlins, danse et euphorie : on a eu 17 ans à nouveau, et ça a même eu le mérite de panser l’absence de Caroline Polacheck. On aurait pas pensé vous dire ça un jour, mais vive l’EDM.
| Photos : Paul-Louis Godier pour La Vague Parallèle
En trois jours, on aura ressenti tout un panel d’émotions intenses, car au final cette édition de We Love Green c’était ça : un tourbillon émotionnel qui a éveillé tous nos sens. Et même si nos jambes n’en pouvaient plus des allers-retours entre chaque scène, chaque instant en valait amplement la peine. Merci We Love Green !
C’est comme les Power Rangers, parfois on unit nos pouvoirs pour faire de plus grandes choses.