Autour d’un café avec les finalistes du Concours Circuit 2022
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Auteur·ice : Giulia Simonetti
05/12/2022

Autour d’un café avec les finalistes du Concours Circuit 2022

Le Concours Circuit met en lumière le meilleur de la scène émergente en Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est le véritable tremplin des musiques alternatives actuelles. Au départ, sur 420 candidats, seuls 20 projets ont été retenus pour enfin dévoiler les 4 finalistes : Bart Kobain, JAZMYN, Eosine et Alex Lesage. La finale approche à grands pas ! Elle aura lieu ce vendredi 9 décembre au Botanique. Nous avons donc décidé d’aller à la rencontre de ces artistes, pour mieux les connaître, pour qu’iels nous parlent de leur art et de leur vision de la musique. Ce qui est revenu au cours de cet échange c’est l’excitation, l’acquisition d’expérience, l’impatience ou encore la concrétisation d’un rêve. La barre est haute cette année et les styles musicaux sont variés, et c’est cette diversité musicale qui rend ce concours unique.


BART KOBAIN

| Photo : Giulia Simonetti

LVP : L’expérience Court-Circuit t’as permis de level up, qu’est-ce que tu as appris au cours de ces derniers mois ? 

Bart Kobain : On a appris à mieux maîtriser nos morceaux, à vraiment définir une direction artistique, à ne pas partir dans tous les sens parce que moi je suis de nature très éclectique. On a pu vraiment se concentrer sur un style spécifique, le développer, le travailler et on l’améliore à chaque répète. Autant moi que les musiciens, on se dépasse à chaque fois, eux testent des trucs qu’ils n’ont jamais testés avant.

LVP : Tes inspirations côté francophone sont Youssoupha ou encore Frenetik pour le Belgique. Mais au niveau du hip-hop plus anglophone, quelles sont tes inspirations étant donné que tu écris en anglais ? 

Bart Kobain : Nas, d’office au niveau de la plume, sa manière de rapper, de caler ses syllabes, d’avoir des mots de vocabulaire très précis et toujours avec une pointe de provocation. Pour le flow, la manière de délivrer, je me calque plus sur un modèle The Game et Kanye West. Kanye West pour la créativité aussi, j’ai vraiment grandi en écoutant ses albums et la sortie de College Dropout, Late Registration et Graduation correspondent avec l’époque où j’étais en secondaire. J’arrivais vraiment à être attaché à ce qu’il racontait, parce que moi aussi c’était un peu mon parcours scolaire et dans la vie. Il m’a vraiment inspiré à ce niveau-là, même en termes de musicalité, sur sa manière de construire ses morceaux et de mettre des effets dans sa voix. Ensuite, pour l’énergie je m’inspire d’un modèle un peu plus rock, mais si je dois citer un rappeur, je dirais Denzel Curry aussi, j’adore ce mec il est trop fort (rires).

LVP : Dans une précédente interview pour Court-Circuit tu disais que la langue française est une langue extrêmement riche lexicalement, pourquoi malgré cette richesse de la langue tu choisis d’écrire en anglais ? 

Bart Kobain : Ce n’était pas un choix, c’était plutôt une évidence, ça m’est venu très naturellement. Faut savoir que moi j’étais un enfant du rock avant, et j’ai fait cette transition vers le hip-hop parce que j’allais souvent aux USA. J’ai de la famille là-bas et j’ai un cousin avec qui on a commencé à kiffer le hip-hop. Un jour d’été on a voulu copier nos stars comme Lil Wayne, T.I., et on s’est dit qu’on allait écrire un petit son, en anglais. Depuis ce jour-là je n’ai plus eu envie d’écrire qu’en anglais.

LVP : Keys est l’un des morceaux les plus écoutés que tu as. Quel est ton rapport à ce titre, du flow très rythmé au texte ?

Bart Kobain : Avec Keys il y a un rapport un peu plus deep que ça en a l’air parce que c’est une période où je venais de sortir un EP qui s’appelle Night Calls et avec toute l’équipe on a travaillé d’arrache-pied pour arriver à bien sortir ça et à agir comme si on était des pros même si on n’avait pas encore toute l’infrastructure pour. Et après cette période-là d’acharnement et de finitions, j’ai eu un souci avec mon écriture, je venais de faire quelque chose et je voulais aller encore plus loin mais c’était un peu comme si j’avais épuisé toutes mes forces. Keys est venu à un moment où j’avais un peu cette page blanche. Il y avait vraiment ce BPM magique, je me suis dit que maintenant que j’avais sorti un projet, ce son marquerait le départ de la route vers le succès. Les mots sont venus instinctivement. Mesure après mesure j’essayais d’écrire mieux et jusqu’à ce jour, c’est le son que j’ai préféré écrire. Quand je l’interprète sur scène c’est magique.

LVP : Maintenant que tu t’es un peu produit sur la scène belge, quel est ton avis sur l’ambiance de la scène rap et hip-hop en Belgique ? Tu t’y sens bien ? 

Bart Kobain : Sur la scène rap telle que je la connais moi, je me sens un peu différent, d’autant plus que j’ai des musiciens. Et je pense que la scène est cool mais j’ai l’impression qu’elle commence un peu à tourner en rond, par exemple dans les festivals, les trois quarts c’est des playbacks, c’est juste du turn-up. Je trouve qu’il manque un élément pour qu’elle se réinvente. Il ne faut pas mal prendre mes propos parce que je trouve que les artistes et ce qu’ils proposent sont hyper cool. Il y a une évolution. Un style belge commence vraiment à s’affirmer, on devient progressivement une entité “rap belge”. Mais en termes de scène et de performance, je trouve que ça tourne un peu en rond et je suis content de proposer quelque chose de différent, je ne pense pas qu’on puisse me mettre dans une case.


JAZMYN

| Photo : Giulia Simonetti

LVP : Tu as des influences new-soul, soul, jazz et RnB. Peux-tu nous parler de quelques artistes qui auraient contribué à développer ton style ?

JAZMYN : Un artiste qui m’inspire énormément c’est d’Angelo, même si c’est différent de ce que je fais. Je suis très inspiré par sa musicalité, les arrangements et aussi son côté full band. Je trouve qu’il y a beaucoup de travail de voix et pour mon EP j’ai envie de travailler le côté voix, le côté chœurs, en studio et en live. La néo-soul, le mélange de jazz et de rnb, tous les mélanges de la musique noire. Quant aux influences plus récentes, j’ai découvert il n’y a pas si longtemps Cleo Sol une artiste londonienne. Je me rends compte que la niche néo-soul est très présente à Londres. Elle a une très belle voix, de très belles harmonies, un grand travail de chœurs et d’instruments.

LVP : L’aspect organique de la musique est donc très important pour toi ? Le fait de travailler avec des voix, des instruments…

JAZMYN : Pour moi c’est une façon de faire de la musique et elle est très importante. D’autant plus que j’ai l’impression que c’est une manière de faire dont on n’a plus forcément l’habitude. Pour mon processus à moi j’écris une mélodie et je fais souvent une base d’accords. Puis, j’envoie ça à mon guitariste et ma bassiste pour qu’iels travaillent les accords. Ensuite on va tou·tes en groupe avec le batteur pour qu’on puisse arranger et harmoniser le tout. C’est beaucoup de travail et c’est très dur de trouver des musicien·nes qui ont envie d’investir autant d’énergie dans un travail. La scène pour moi est quelque chose qui se fait en collaboration : c’est le plaisir de faire de la musique.

LVP : Sais-tu d’où te vient cette approche ?

JAZMYN : J’ai découvert ça avec le temps, j’ai grandi avec les instruments et la musique. Mon père était un grand mélomane, c’était du jazz, du blues et de la soul à la maison. J’ai été amenée à écouter beaucoup d’albums avec des instrumentales dans mon enfance. J’aime aussi le rap, mais surtout old school. Encore une fois, qui dit old school rap dit sample et donc beaucoup d’instruments. Ensuite, quand je suis allée à l’école à Londres, c’est aussi la culture musicale là-bas qui m’a inspirée. Une culture musicale très différente d’ici. Je prenais des cours de chant, j’avais 19 ans et c’était une école où les instruments avaient une place prépondérante. À cette époque, j’ai appris que travailler avec des instruments était indispensable.

LVP : Est-ce que tes textes jouent un rôle cathartique pour toi ?

JAZMYN : Oui, moi je dis toujours qu’il y aura un moment où les réponses aux questions arriveront dans ma musique. Je n’ai pas de « persona scénique », pas parce que je n’ai pas envie d’en avoir, mais parce que sur scène ou encore dans mes morceaux c’est le fin fond de mes tripes, de mon âme, de qui je suis qui est dévoilé. On porte déjà assez de masques dans la vie de tous les jours… je ne monte pas sur scène pour en porter un. C’est cathartique oui, mais par exemple mes textes, lorsque j’écris, n’arrivent pas tout de suite. Vu que j’écris sur ce que je vis, il me faut parfois énormément de temps. J’ai besoin de voir la situation avec du recul pour pouvoir la décrire. Voir des artistes de tout art aborder des thèmes liés à la santé mentale, personnellement ça m’a beaucoup aidée et ça aide à voir que tu n’es pas tout·e seul·e dans la difficulté. Les sujets peuvent être très simples, quotidiens. Par exemple, U est une chanson dédiée à mon lit et c’est le seul endroit où je me sentais en sécurité à ce moment précis, donc j’ai écrit sur ça.


EOSINE

| Photo : Giulia Simonetti

LVP : Vous êtes très jeunes, encore aux études, quel effet ça fait d’arriver si jeune dans le milieu et qu’est-ce que le Concours Circuit vient symboliser pour vous ?

Elena : C’est très bizarre, on se rend compte qu’on ne connait pas énormément de gens dans ce milieu. Il y a plein de choses qu’on a appris et on apprend toujours grâce au concours. C’est aussi notre force pour le moment d’être jeunes et un peu naïfs. Mais c’est sûr que là on est en train de tout apprendre, c’est très stimulant.

LVP : Elena, c’est toi qui as créé le groupe. Est-ce que tu peux m’en dire un peu plus sur comment est né le projet Eosine ? Et comment vous vous êtes rencontré·es ?

Elena : Au départ je composais à la maison, toute seule chez moi. Mais j’ai commencé à produire pas mal de morceaux et je me suis dit qu’il fallait faire de la scène. C’est pour ça que j’ai mis des annonces pour trouver des personnes pour intégrer le projet et voilà qu’on s’est rencontré·es. Les connexions se font assez vite, par exemple Julia c’est ma cousine, Brieuc c’est un bon ami à moi et Benjamin on l’a trouvé par annonce (rires). Mais au final, on se rend compte que la configuration actuelle est très forte. Quand j’écoute mes anciennes démos et que je les compare aux concerts ou aux enregistrements studios qu’on a pu faire récemment, ça a quand même beaucoup évolué.

LVP : Au niveau du processus créatif, comment est-ce que vous fonctionnez ? 

Brieuc : Au début c’est Elena qui a un home studio. Ensuite elle arrive en répètes avec des démos toutes prêtes pour qu’on arrange le tout ensemble.

Benjamin : Il y a de l’interprétation mais pas seulement. En travaillant à quatre on améliore ensemble le morceau.

Julia : On lui rajoute de la couleur, des dimensions nouvelles et le morceau peut prendre une toute autre direction.

Brieuc : On ajoute des intensités qui n’étaient pas vraiment présentes auparavant et c’est pour cette raison que les morceaux évoluent. Il y a des énergies et des émotions supplémentaires. Si on devait dans le futur enregistrer d’autres morceaux, on ne devrait pas skipper cette partie de mise en live tous ensemble, car elle fait vraiment partie de la manière dont on travaille.

LVP : Pourquoi Eosine ?

Elena : Éosine, c’est un colorant histologique qui permet de colorer les cellules sous un microscope. L’éosine donne une coloration un peu rosée, c’est artistique un peu comme la peinture abstraite. C’est un chouette moyen de faire des liens entre les sciences et la musique. Car pour la plupart d’entre nous, ce sont deux aspects très importants dans nos vies. Ensuite, pour une question esthétique, c’est un aspect que nous aimons valoriser au niveau de la pochette, de l’identité du groupe. Pour le premier EP et ensuite pour le deuxième qui va arriver, c’était un moyen intéressant de commencer.

LVP : Votre principale influence est le shoegaze, est-ce que vous pouvez m’en dire un peu plus sur vos inspirations ?

Elena : Ce qui fait la force d’Eosine c’est qu’on a des influences diverses et variées. Shoegaze est la principale, on écoute majoritairement du post-punk, du post-rock aussi, tout ce qui est rock alternatif au sens large et ça ne se limite pas à ça. On ne veut pas se limiter.

Benjamin : Oui, chacun y met ses inspirations, par exemple moi je suis plus dans le funk, le jazz ou encore le rock classique.

LVP : La voix est quelque chose d’assez présent dans votre musique, est-ce que c’est lié au côté esthétique dont vous me parliez tout à l’heure ?

Elena : La voix dans Eosine est versatile et elle évolue en fonction des intensités. On essaye de plus en plus de choses. On joue sur le contraste de la couleur de la voix, les intensités. En accord avec les paroles et en accord avec la musique. Parfois ça peut montrer très haut, c‘est donc très vaporeux, mais quelquefois ça peut être aussi terre à terre, plus brut et agressif.

Julia : La voix est un instrument très puissant qu’on n’utilise pas du tout dans un but de démonstration technique. On est vraiment au service de la musique.

Elena : Eosine ce n’est pas juste une voix et des instruments derrière, c’est intégrer la voix comme un instrument à part entière. Ce qu’on raconte n’est pas important en soi. Nous on sait ce qu’on dit, mais ce qu’on dit ne doit pas être forcément compréhensible, c’est l’intention derrière qui est importante. Ce qui est encore plus important, c’est l’énergie transmise. Et c’est cette énergie que les gens vont ressentir qui va pour finir être en accord avec les paroles que l’on dit.


ALEX LESAGE 

| Photo : Giulia Simonetti

LVP : Quel est ton rapport au piano et comment est-ce que tu définirais ton son ?

Alex Lesage : Je remarque que je vais vers un son particulier. Le piano, et plus particulièrement tout ce qui est impro, parce que à l’origine, je suis pianiste de jazz. Cela n’a rien à voir avec ce que je fais maintenant mais cela reste très ancré en moi, c’est presque de l’improvisation, de l’improvisation free. Un de mes pianistes préférés, c’est Keith Jarrett notamment dans le live Köln.

LVP : Quels autres artistes ont inspiré ton style musical actuel ? Qu’est-ce que tu aimes écouter ?

Alex Lesage : Pour le moment, mes chouchous, ils viennent tous de Londres. C’est Rival Consoles, un génie. J’ai presque le même synthé à cause de lui. Au niveau de la production, pour moi, c’est comme si quelqu’un faisait de l’ASMR pour mes oreilles avec du synthé. Un autre qui m’inspire beaucoup, notamment du côté visuel, c’est Max Cooper, un génie de la production. Si je dois en citer d’autres au niveau de la production, je dirais qu’il y a Floating Point, Bonobo. Du côté du jazz, je cite Keith Jarrett, Shai Maestro, qui sont dans le même délire et qui puisent dans le jazz et la musique classique. Ce sont tous mes héros.

LVP : Tu as un style assez minimaliste. Est-ce que ça s’est fait consciemment ou c’est plutôt venu naturellement ?

Alex Lesage :  C’est le genre de choses que je faisais par manque de moyens. Je fais tout moi-même, parce que je n’ai pas d’argent (rires). Pour tout ce qui est visuel, ça m’a permis d’apprendre beaucoup de petits aspects sans nécessairement investir de l’argent. J’aime beaucoup l’art minimaliste, c’est mon côté́ touriste, je ne suis pas expert en la matière mais quand je vais voir une expo d’art moderne, j’aime bien les carrés blancs avec des cercles bleus. J’aime aussi quand c’est complexe mais j’aime surtout le côté́ net. Pour la musique, c’est comme ça que je pense.

LVP : Tu parles de ta formation de jazz, où est-ce que tu l’as suivie ?

Alex Lesage : J’ai étudié un peu partout. J’ai commencé́ avec la guitare acoustique, puis électrique. Après, j’ai abandonné́ l’acoustique et je suis allé́ au piano pour tout ce qui est pop et musique classique. À 16 ans, j’ai découvert Rachmaninov, le compositeur, mon grand amour. C’est lui qui m’a inspiré́ pour aller vers la musique classique. Puis, niveau éducation, un prof m’a dirigé́ vers Anvers où j’ai appris le jazz d’un pianiste qui fait du free, Augusto Pirodda. Après Anvers, je suis allé́ à Maastricht où j’ai rencontré́ les artistes avec qui je joue maintenant, comme Max Hilpert à la batterie, mais aussi tous les collaborateurs de mon EP précédent. Je suis venu à Bruxelles pour terminer un Master de jazz avec un professeur qui me dit “arrête de trop jouer, calme-toi un peu”.

LVP : Cette collaboration avec ton batteur, Max Hilpert, est-elle née pendant tes études ?

Alex Lesage : Max est un de mes meilleurs amis, que j’ai rencontré à Maastricht justement. “Alex Lesage”, c’est mon projet, enfin c’est ce que je dis pour prendre toutes les responsabilités sur mon dos. Mais en réalité ce projet est assez collaboratif. Max m’inspire avec sa batterie. Il joue dans un groupe qui s’appelle Cast Glass, si c’est encore d’actualité́. Il joue aussi dans un autre groupe avec moi, qui s’appelle Kassius où l’on fait de la musique électro. À côté́, Max m’aide pour mon projet. On peut tout lui demander, c’est un musicien formidable.


4 finalistes, 4 univers musicaux différents : la finale du Concours Circuit sera une belle soirée où la musique de la scène émergente de la FWB est mise à l’honneur. Qui succédera à Tukan, gagnant de l’édition 2020 ? Nous vous donnons rendez-vous vendredi au Botanique.

 

Co-écrit avec Philomène Raxhon 

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