Avec Warm Chris, Aldous Harding nous offre une parenthèse intimiste, réconfortante et énigmatique
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Auteur·ice : Coralie Lacôte
14/04/2022

Avec Warm Chris, Aldous Harding nous offre une parenthèse intimiste, réconfortante et énigmatique

| Photo : Emma Wallbanks

Qu’il peut sembler peu aisé de se réinventer après la sortie d’un album brillant et plébiscité. C’est à ce défi que s’est mesurée l’artiste néo-zélandaise Aldous Harding après la sortie en 2019 de Designer. Si nous étions en droit de nous interroger sur le chemin qu’elle déciderait d’emprunter, son talent de composition et d’innovation auront eu raison de nos appréhensions. À l’image du printemps, la musicienne fait donc son retour avec Warm Chris, un album tout en douceur et en facétie.

Moins de dix années et quatre opus auront suffi à Aldous Harding pour s’imposer comme une figure incontournable des scènes folk et pop internationales. Outre son génie musical, l’artiste a su séduire le public par la conjugaison d’un personnage énigmatique et d’un univers où l’onirisme et la drôlerie tiennent lieu de préceptes.

Pour ce quatrième album, la musicienne s’est constitué un environnement créatif aux allures de refuge. Elle a ainsi fait appel au producteur John Parish qui, au-delà de sa collaboration historique avec PJ Harvey ou de son travail avec Eels et Tracy Chapman, avait pris part à l’élaboration des deux précédents albums d’Aldous : Party (2017) et Designer (2019). L’autrice-compositrice-interprète s’est également entourée de musiciens renommés tels que H. Hawkline, Seb Rockford, Gavin Fitzjohn, Hopey Parish et Jason Williamson de Sleaford Mods avec qui elle signe par ailleurs un featuring étonnant sur Leathery Whip.

Comme sur le précédent opus, la guitare acoustique et le piano forment la voûte de l’instrumentation, qu’elle agrémente par la suite d’une batterie, d’une guitare électrique, d’un orgue Hammond, d’un saxophone, d’un banjo ou même d’un shaker. Sur cette base qui semble simple, elle déploie en réalité un véritable travail des textures et des mélodies, et crée un univers sonore et imaginaire qui n’a pour limites que celles que l’on se fixe. Instaurant un savant équilibre entre minimalisme et profondeur, Aldous Harding relève ainsi brillamment le pari de l’accessible complexité.

Si par le choix des instruments ou par les riffs de piano dynamiques que l’on retrouve dès l’inaugural Ennui, on peut se dire que Warm Chris est la suite logique de Designer, ce nouveau disque décèle en fait de nombreuses subtilités. Peut-être davantage que pour le reste de sa discographie, Warm Chris est un album équivoque, qui ne cherche pas à séduire l’auditeur·rice. De fait, ce disque s’apprivoise, demande à celle ou celui qui l’écoute de s’accrocher, d’y revenir et d’aiguiser sa curiosité. Toutefois, passé l’étonnement initial, l’effort est vite annihilé par la force du projet et l’envie que nous insuffle Aldous Harding de percer à jour les mystères qui y sont cachés.

Avec cet album, la musicienne signe deux singles : Lawn que nous avions eu le plaisir de vous présenter et Fever. Principalement construit sur la répétition de quatre accords de piano francs intensifiés par la batterie, le morceau conte l’histoire d’une romance brève et la difficulté de faire perdurer ces relations. Peut-être s’agit-il de la quête d’un équilibre aussi subtil que celui sur lequel repose brillamment ce morceau qui concilie guitare, basse, batterie, banjo, mandoline, violon, flûte et trombone.


Comme une pièce de théâtre antique, Aldous Harding enfile un masque à chaque chanson et nous confie l’histoire d’un nouveau personnage, qu’elle incarne pleinement. Pour parfaire l’illusion, elle module sa voix, change de ton, de timbre ou recourt aux artifices du mix. L’intonation retranscrit alors avec justesse l’état d’âme du personnage qu’elle figure, et son évolution lorsqu’elle module sa voix à l’intérieur même d’un morceau, comme c’est le cas sur Tick Tock. Si les paroles nous semblent souvent cryptiques, c’est peut-être la voix d’Aldous qui nous trace les contours de ce qui se joue. Ce goût pour l’interprétation et le jeu, devenu l’un de ses attributs, laisse encore une fois éclore le mystère qu’incarne la chanteuse : ces personnages sont-ils des déguisements ou une déclinaison de sa personnalité ? L’interrogation reste entière et la musicienne insaisissable.

L’onirisme est sans doute une des choses qui définit le plus le monde établi par Aldous Harding. En se penchant sur les textes de l’album, on se rend ainsi compte qu’il est souvent complexe d’en saisir le sens, rendant cette écriture sibylline, voire surréaliste, difficile à saisir. C’est pourtant dans ce chaos d’images et de phrases courtes que jaillissent la beauté et la poésie de son univers.

Si l’excentricité nécessite d’être bien dosée, la musicienne en maîtrise les proportions et nous partage un album folk, baroque, surprenant et enivrant. Warm Chris est sans doute le morceau le plus mystérieux et de cette manière le plus représentatif de ces compositions-surprises. Donnant son nom à l’album, il en révèle peut-être également l’intention artistique. De fait, alors qu’il semble au premier abord s’agir d’un morceau intimiste reposant sur l’association familière d’une guitare acoustique et d’une voix cristalline et fébrile, un riff de guitare électrique vient rompre l’équilibre et le confort dans lequel nous nous étions lové·es. Sans doute un brin de malice pour pallier une trop grande sincérité.

Face à cette succession de facéties, Aldous Harding nous offre tout de même des moments de grâce comme celui porté par le morceau She’ll Be Coming Round the Mountain. Par la simplicité d’un piano dépouillé, d’une voix aiguë et douce, auxquels viennent s’ajouter des nappes de cuivres et un banjo, la musicienne fait vibrer nos cordes sensibles. “Coeur à coeur, esprit à esprit”, pour citer John Maus, c’est ainsi qu’Aldous Harding établit la connexion avec son auditeur·rice. Avec ce titre, l’envoûtement est total et, sous nos yeux, les paysages se déploient.

De cette singularité maîtrisée naît l’homogénéité du projet. Si certain·es pouvaient espérer un album davantage lissé, c’est peut-être en réalité ici que se révèle le génie de l’artiste. Fuir les attentes et les convenances pour mieux nous surprendre. Après Designer, Aldous Harding nous livre avec Warm Chris une parenthèse poétique et sensible, un jeu de piste que nous aurons à coeur de découvrir sur scène, que ce soit à l’occasion du festival Rock en Seine le 26 août, ou au Cirque Royal de Bruxelles le 21 mars.

 

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