BIAFINE ON MY SCARS : sur le chemin de la guérison avec Tetha
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Auteur·ice : Paul Mougeot
01/04/2025

BIAFINE ON MY SCARS : sur le chemin de la guérison avec Tetha

| Photo : Tom Josso

À quel point le parcours de vie et le cheminement artistique d’un·e artiste sont-ils liés ? De la résilience à la renaissance, il y a parfois un vide abyssal que la création parvient à combler. Pour Tetha, la voie de la guérison a pris la forme d’un EP dark pop aux contours méticuleusement dessinés par une production luxuriante et une maîtrise vocale impressionnante, dont elle nous a révélé les secrets quelques semaines avant sa release party prévue au Hasard Ludique le 26 avril prochain.

La Vague Parallèle : Hello Clara ! Comment ça va ?

TETHA : Honnêtement, je sors d’une période assez compliquée mais ça va de mieux en mieux depuis quelques semaines. Je prépare ma release party au Hasard Ludique, des morceaux dont la sortie est prévue juste après, des nouveaux clips et d’autres projets en parallèle. J’ai plein de trucs qui arrivent !

LVP : Pour commencer, pourrais-tu te présenter pour celles et ceux qui ne te connaîtraient pas encore ? 

T : Je m’appelle TETHA, je suis autrice, compositrice, interprète et musicienne. Je fais de la pop électronique à tendance hyperpop et je chante en anglais. Je fais vivre ce projet depuis 2022. J’ai sorti deux EP dont un qui est sorti en novembre dernier et qui s’appelle BIAFINE ON MY SCARS. Je vous invite à l’écouter !

LVP : Auparavant, tu jouais en groupe, dans un registre plus rock, plus organique. Est-ce que tu peux nous raconter le parcours musical qui t’a menée jusqu’ici ?

T : J’ai grandi dans une famille de musicien·nes. Ma mère était pianiste et j’ai grandi avec beaucoup d’instruments à la maison. J’ai rapidement fait de la musique en autodidacte, sans avoir vraiment fait de cursus pour apprendre. J’ai commencé à chanter assez jeune, vers l’âge de douze ans, et j’ai très vite su que c’était ce que je voulais faire. J’entretenais un rapport très fort au chant et à la composition, les deux allaient de pair pour moi. Au début, j’écrivais des valses au piano et progressivement, je me suis mise à écrire des chansons plus personnelles. D’ailleurs, à l’origine, j’écrivais plutôt en français et j’ai basculé vers l’anglais assez rapidement.

J’ai eu une adolescence compliquée, assez chaotique, et j’ai fini par être déscolarisée. C’est comme ça que j’ai décidé de me tourner vers une profession artistique, je suis passée par l’école ATLA à 17 ans, où j’ai rencontré les musicien·nes avec qui j’ai monté mon groupe. On co-écrivait avec le guitariste et on a joué comme ça pendant quatre ans, principalement à Paris. Ça s’est fini pendant le confinement, comme beaucoup de choses… J’ai mis un petit moment à me demander ce que j’avais envie de faire et finalement, j’ai donné vie à ce projet solo, TETHA. TETHA, c’est le diminutif de Fiammetta, mon deuxième prénom, qui est aussi le nom de ma grand-mère. J’ai choisi ce nom pour commencer ce nouveau chapitre.

LVP  : À quel point ces expériences précédentes ont-elles pu t’influencer pour ce projet personnel pour en arriver jusqu’à l’esthétique qui est la tienne aujourd’hui ?

T : J’aime beaucoup de styles différents mais la musique d’un groupe, c’est le fruit des influences et des envies de cinq personnes, donc le résultat est rapidement devenu très rock. Ça me plaisait beaucoup à ce moment-là et j’aime toujours beaucoup le rock, mais en solo, ça faisait davantage de sens de m’orienter vers quelque chose de plus produit, de plus intimiste, de plus pop aussi.

J’avais des références assez précises en tête : FKA Twigs, Eartheater, James Blake, Rosalía, Billie Eilish… Ce sont des artistes qui m’ont beaucoup influencée dans la direction que j’avais envie de prendre.

LVP : On se retrouve aujourd’hui quelques mois après la sortie de ton deuxième EP, BIAFINE ON MY SCARS. Comment as-tu vécu cette sortie ?

T : C’est un projet que je préparais depuis un petit moment, au moins un an et demi. Il y a même un morceau que j’avais écrit en 2021 et que je gardais au chaud. Les morceaux ont été très bien accueillis, j’ai reçu des retours qui m’ont fait beaucoup de bien.

C’était une période assez particulière pour moi parce que j’ai connu des gros bouleversements personnels à ce moment-là. L’EP parle du fait de guérir, de soigner ses traumatismes, de mettre de la Biafine sur ses blessures et c’est assez paradoxal parce qu’il est sorti dans une période complètement chaotique pour moi. C’était particulier parce que je parlais de résilience, de guérison, alors que j’étais en plein dedans… Mais d’une certaine manière, c’était peut-être encore plus fort de parler de tout ça à ce moment-là. Sortir cet EP m’a soulagée, d’autant plus que ça a marqué une transition, quelque chose de profondément nouveau pour moi par rapport à ce que j’ai traversé.

LVP : Cet EP parle traite effectivement de sujets qui sont très intimes. Est-ce que le fait de chanter en anglais est plus simple pour toi, est-ce que ça te permet de prendre une forme de distance par rapport à ces expériences ?

T : Mes textes peuvent être assez durs donc effectivement, peut-être que les écrire dans une langue qui n’est pas ma langue maternelle peut créer une forme de dissociation par rapport à ce que je suis en train de dire. Après, c’est vrai aussi que j’écoute principalement de la musique anglophone donc les mots me viennent plus facilement dans cette langue. Cela dit, j’ai de plus en plus envie d’écrire en français. Récemment, j’ai écrit un morceau en français, d’ailleurs. Il y a quelque chose qui s’est débloqué dans mon histoire personnelle et ça m’a inspiré un morceau en français qui m’est venu comme ça. Je ne l’avais pas du tout vu venir, je ne sais pas encore ce que je vais en faire, mais en tout cas, il est là.

En tout cas, ça m’est venu très naturellement et je me suis sentie très à l’aise avec le fait d’écrire aussi en français. Je crois que je chante de la même manière en anglais qu’en français. Ce n’est pas la première fois que je le fais, j’ai déjà repris des chansons donc j’avais plutôt l’habitude. Je pense que le français m’a tout de même poussée à faire des mélodies beaucoup plus simples alors qu’en anglais j’aime bien aller vers des mélodies plus alambiquées. Je crois que le français permet quelque chose de plus direct, de plus brut.

LVP : Je trouve que cet EP brille vraiment par sa production méticuleuse qui le rend très immersif en accentuant les détails, les respirations, les modulations de ta voix. Comment tu l’as travaillée, la production de cet EP ?

T : Depuis le début de TETHA, je travaille toujours de la même manière : je travaille sur des maquettes, je vais le plus loin possible dans cette partie de la production et au moment où je considère que j’arrive au bout de ce que je peux faire, je passe la main. Sur cet EP, comme sur le premier, j’ai beaucoup travaillé avec Joachim Baumerder qui a produit quatre titres. J’aime beaucoup ce qu’il apporte parce qu’il a ce côté très détaillé, cette approche très numérique dans la production. Je lui fais énormément confiance dans ce qu’il propose, c’est toujours très inspiré.

Pour certains morceaux, je me suis laissée surprendre par la direction que ça prenait. Biafine On My Scars, par exemple, elle est passée par toutes les esthétiques avant de terminer en espèce de bossa nova, ce qui n’était pas prévu à l’origine… Pour Never Fill Me ou bitch bye-bye, au contraire, les maquettes ressemblaient beaucoup au résultat final.

LVP : Dès les premières notes du disque, on est très marqué·e par le chant, par la grande maîtrise vocale qui s’en dégage. Comment es-tu parvenue à faire de ta voix un tel atout ?

T : J’ai toujours été très intéressée par la recherche vocale. J’ai pris des cours de chants, j’ai beaucoup essayé, j’ai chanté dans différentes esthétiques… Ça m’a même amenée à me perdre parce que quand tu imites tout le temps, tu finis par ne plus trop savoir quelle est ta propre voix. Là, je suis passée d’une voix très puissante, très projetée, qu’on pouvait retrouver dans mes projets précédents, à quelque chose de plus intimiste, de plus maîtrisé. C’est un travail qui ressemble davantage à de la dentelle.

C’est une approche que j’ai développée avec le temps. Mon premier EP, je l’ai écrit pendant le confinement et j’étais en colocation à ce moment-là donc je ne pouvais pas forcément chanter très fort. Je travaillais donc au casque, sur Logic, avec un micro dans lequel je m’entendais beaucoup trop. Je pense que ça a pas mal joué sur la manière dont j’ai placé ma voix, c’est-à-dire beaucoup moins fort, avec une recherche de sonorités plus minimalistes. Ça n’a pas été évident d’amener ça sur scène parce que plus tu chantes doucement, plus c’est compliqué de restituer ça sur scène. Ça demande un contrôle de chaque seconde de ton corps et de ta voix alors que quand tu es davantage dans la puissance, tu peux simplement te lâcher. Au début, j’étais assez perdue sur cet aspect-là parce que j’avais l’impression de ne plus réussir à chanter, à trouver mes marques. Ça a pris un peu de temps, mais là, j’ai trouvé mes marques.

LVP : Ce que je trouve intéressant, c’est que tu parviens à traiter des sujets très terre à terre (une rupture, une relation toxique, la perte d’un animal de compagnie…) et à étirer les émotions qu’ils procurent pour leur donner une dimension bien plus grande, plus universelle mais aussi plus théâtrale, plus dramatique. Ça se ressent dans ta manière d’écrire et dans ta manière de chanter. Est-ce que c’est comme ça que tu ressens les choses ou est-ce que c’est plutôt ton écriture qui leur donne cette dimension ? 

T : Je pense que je les ressens comme ça, de manière assez intense (rires).

LVP : On retrouve aussi ce côté très impressionnant, très théâtral dans tes clips qui ont même une dimension assez spectaculaire avec ces grands décors naturels qui permettent de tisser un lien entre les vidéos. Comment as-tu travaillé l’aspect visuel de ton projet ?

T : Pour les clips, je travaille avec Tom Josso, qui a monté sa boîte de prod, Saison Haute. C’est quelqu’un qui m’accompagne depuis le début de mon projet, il a réalisé mes artworks, beaucoup de photos, tous mes clips et mes captations lives. C’est une collaboration à laquelle je tiens beaucoup, on se renvoie la balle sur certains projets : j’ai réalisé la musique d’un de ses courts-métrages par exemple.

Pour les clips de cet EP, on avait pour idée de partir dans un décor assez grand, sans savoir précisément lequel. Il se trouve que Tom avait déménagé à Strasbourg, pas très loin des Vosges, donc il a pu aller faire des repérages facilement et on a décidé d’aller tourner là-bas. Le premier clip, bitch bye-bye, a été tourné en mars 2024, il faisait extrêmement froid. On a été surpris par la neige pour le clip de Rosebud, ce qui n’était pas du tout prévu. Et puis finalement, on y est retourné l’été pour tourner Pure Sadness. On avait en tête dès le départ cette idée de décor naturel, un peu brut, avec un côté féérique et on a réussi à filer cette esthétique sur les trois clips.

LVP : À quel point est-ce que tu lies ton parcours musical et ton cheminement de vie ? Sur Instagram, tu expliquais récemment que tu avais traversé une période difficile parce que des choses que tu pensais derrière toi avaient resurgi… Est-ce que ça peut parfois être difficile de devoir interpréter des morceaux qui traitent de ça ?

T : Les deux sont très liés, effectivement. Il y a des morceaux du premier EP que je ne veux plus jouer en live, c’est trop difficile. Je ne suis plus vraiment en phase avec ce que je pouvais dire à ce moment-là, je raconte des expériences qui ont été très intenses et ça me replonge dans une souffrance que je considère comme étant derrière moi. Rouvrir ça systématiquement, c’est un peu dur.

Pour le deuxième EP, c’est différent : il parle de guérison en général donc je pense que je serai toujours en phase avec ça. Après, il y a suffisamment de matière dans ce qui nous entoure pour trouver l’inspiration et continuer à avancer.

LVP : Beaucoup d’artistes associent la création à la douleur ou à la tristesse. C’est un état qui leur permet d’aller chercher des émotions ou tout simplement de l’inspiration. Est-ce que c’est aussi évident pour toi d’écrire sur des émotions positives ?

T : Maintenant, oui, j’écris autant sur des choses positives que négatives. Avant, la règle c’était vraiment un drama, un morceau (rires). Systématiquement. En fait, je n’arrive pas à écrire quand je suis dans la souffrance. J’écris une fois que c’est traité, une fois que ça a été digéré et que j’ai réussi à analyser ce qui s’est passé. C’est sûr que ces traumas, ils ont alimenté 99% de mon écriture.

Maintenant, il y a aussi un côté nouveau pour moi à écrire des choses plus légères, plus joyeuses. J’arrive davantage à écrire sur ce cheminement, à traiter des choses positives qui m’arrivent et à trouver un intérêt dans la joie (rires). Et c’est hyper cool à jouer en live !

LVP : Il y a un morceau, qu’on ne retrouve pas sur cet EP mais qu’on a aussi énormément écouté et apprécié, c’est SORRY, un titre en featuring avec Carmea Sea. Est-ce que tu peux nous expliquer comment est venue cette collaboration ?

T : Carmen Sea, ce sont des amis de longue date. Joachim, qui a produit tous mes titres, fait notamment partie du groupe, donc c’était assez naturel de travailler avec eux. Je crois que c’est aussi un de mes titres préférés parce qu’il a ce côté un peu good vibes, même s’il parle de quelque chose d’assez dur, de profond. Le groupe a eu un accident de voiture il y a quelques années et c’est un événement qui m’a beaucoup touchée. Le morceau adopte le point de vue d’une personne qui a subi l’accident : le message c’est SORRY d’avoir crashé la voiture, en gros.

En termes de processus créatif, c’était très nouveau pour eux et pour moi : ils avaient la prod, toute la partie instrumentale et il se trouve qu’il y avait suffisamment de place sur ce titre-là pour qu’il y ait une voix. Donc ils m’ont proposé de poser ma voix dessus, je suis arrivée avec la mélodie, on a retravaillé quelques éléments ensemble et ça a donné ce titre. On a beaucoup aimé le jouer ensemble lors de leur release party au Petit Bain.

LVP : Justement, en live, tu as évolué avec plusieurs formules : en solo comme tu l’as fait il y a quelques semaines aux Disquaires, ou bien en groupe avec un batteur et une harpe. Comment tu le travailles, ce live ? 

T : En live, jusqu’ici, j’étais accompagnée par mon amie Camille Lévy, une harpiste qui était dans le projet depuis le début, et par un batteur. L’année dernière, j’ai monté un set solo pour pouvoir tourner plus facilement. C’est une configuration que j’ai réfléchie avec Joachim Baumerder et il se trouve que j’ai adoré être aux machines, être au synthé, jouer les parties des prods, les morceaux que j’ai composés… Je ne l’avais pas forcément vu venir ce côté amusement, ce plaisir d’occuper une vraie place de musicienne sur scène. J’ai tellement aimé que je n’imaginais pas vraiment en revenir à une formule à trois dans laquelle j’aurais dû lâcher cette place au synthé. Et c’est vrai que la place de la harpe, qui est un instrument très atypique, faisait forcément moins sens parce qu’il n’y en a pas dans les nouveaux morceaux.

Bien sûr, il y aura aussi des moments dans ce live où je serai davantage sur le devant de la scène et moins derrière mes machines et justement, je crois que ça me permet de profiter encore plus de ces moments-là.

LVP : Est-ce que tu sais déjà de quoi sera faite la suite pour toi ?

T : J’ai prévu la sortie de quelques singles et j’ai aussi commencé à travailler la musique à l’image suite à la proposition de Tom Josso de travailler sur la bande-son de son court-métrage. Ça m’a poussée à m’inscrire au conservatoire dans la foulée. Je n’avais jamais fait d’études classiques, je ne savais pas lire la clef de fa jusqu’à il y a peu, mais j’ai rejoint une classe de musique à l’image et de composition beaucoup plus classique. Je suis aussi des cours d’écriture d’arrangement pour cordes. Comme je viens de la pop, c’est un langage très nouveau pour moi et c’est très stimulant, je ne pensais pas que j’adorerais ça à ce point.

C’est quelque chose que je développe en parallèle de mon projet mais ce côté cordes, je n’envisage pas forcément de l’intégrer à ma musique. C’est cool de pouvoir le faire si l’occasion se présente mais ce ne sera pas une fin en soi.

LVP : Pour terminer, est-ce que tu peux partager avec nous un film, un morceau ou un livre qui t’aurait marquée récemment ?

T : J’ai revu récemment un film que j’avais vu quand j’étais petite, à sa sortie au cinéma en 2005, et qui m’a beaucoup touchée. Ça s’appelle Le Chien jaune de Mongolie. C’est un film qui parle d’une famille de nomades qui voyage dans le désert mongole, qui trouve un chien et qui s’y attache. C’est extrêmement émouvant.

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