Black Country, New Road : à la croisée des chemins
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Auteur·ice : Augustin Schlit
16/02/2022

Black Country, New Road : à la croisée des chemins

| Photo : Rosie Foster

L’histoire de Black Country, New Road aurait franchement pu tourner court. Quand le septuor à peine majeur est apparu sur les radars il y a environ deux ans, il n’a pas fallu longtemps pour que tout le monde les considère comme les sauveur·euses providentiel·les que le rock attendait depuis si longtemps. Une position qui, croyez-le ou non, n’a pas que des avantages. D’ailleurs, le départ abrupt du chanteur et guitariste, Isaac Wood, à quelques jours de la sortie de l’album, laisse assez peu de place au doute quant à la montagne russe émotionnelle qu’a dû être cette année 2021. Et malgré tout, il suffit d’écouter les premières minutes de Ants From Up There pour réaliser que ce nouvel effort relève plus de l’envolée lyrique que du crash en plein vol.

 

Du propre aveu des membres du groupe, cet album se veut plus universel et abordable que son prédécesseur. De fait, le choix d’avoir entamé l’album ainsi que sa promotion par Chaos Space Marine, leur titre le plus enjoué à ce jour, ressemble en quelque sorte à un accueil chaleureux au sein de l’univers du groupe. Le rythme est relevé et les mots de Wood résonnent comme un élan de liberté menant à une joie communicative, malgré un sous-texte pas toujours rose. Le titre Concorde, quant à lui, confirme définitivement le potentiel fédérateur des compositions du groupe. Un véritable hymne, à la fois tendre et éprouvant, bien que toujours empreint d’optimisme. C’est donc aujourd’hui une certitude, BC,NR refuse de rester coincé·e dans le cercle fermé des groupes trop cools pour être populaires. La bonne nouvelle, c’est que cette évolution n’est nullement synonyme de nivellement vers le bas.

Évidemment, on est bien loin des élucubrations pop de “insérer artiste radio friendly random”. Ants From Up There reste un disque exigeant envers ses auditeur·ices. Les morceaux sont longs, les textes sont souvent obscurs et les structures alambiquées. Mais voilà, il y a quelque chose d’irrésistible dans la manière dont chaque instrument s’imbrique l’un dans l’autre si naturellement au fil des titres. Peu importe l’inaccessibilité apparente de la démarche artistique, elle est réalisée avec une telle bienveillance qu’on ne peut finalement que l’accueillir à bras ouverts. En ce sens, Ants From Up There réussit un pari risqué. Celui de s’ouvrir à une audience bien plus large, sans réaliser la moindre concession sur ce qui fait l’ADN du groupe.

 

Ce numéro d’équilibriste nous offre ainsi un nombre substantiel de moments mémorables dont il serait difficile de faire la liste exhaustive. On vous invite tout de même vivement à vous pencher en profondeur sur Good Will Hunting, point culminant de la première partie du disque et dont le refrain devrait vous accompagner pour un bon moment. Difficile également de ne pas s’arrêter sur le splendide interlude qu’est Mark’s Theme. Avec ses timides 2 min 47, le morceau est un hommage sobre et touchant à l’oncle de Lewis Evans, le saxophoniste, décédé l’année dernière du COVID-19. Un moment suspendu dans le temps, donc, avant que le disque prenne une tournure bien plus expérimentale et intense dans ses instrumentations. Lorgnant de facto sur l’héritage prog rock du groupe, ce triptyque de fin sonne comme une immense jam session où chaque membre du groupe a tout loisir de laisser parler sa créativité, dans un dernier cri du cœur aussi dense que virtuose.

 

Limpide et assourdissant à la fois, empli d’optimisme et pourtant terriblement mélancolique, l’écoute de ce projet est une expérience singulière. En effet, toutes les compositions transpirent l’intensité des événements vécus par le groupe depuis leur montée en puissance l’année dernière. L’excitation, le doute, l’isolement, les désillusions… Tous ces éléments se retrouvent ici digérés et retranscrits à travers cette fameuse analogie du Concorde, cet avion destiné à révolutionner le monde pour finir tragiquement sa course dans une explosion meurtrière pour ses passagers. Un destin funeste que les membres de BCNR sont bien décidés à éviter. Dès lors, plutôt que de s’engouffrer tête baissée dans la brèche formée par For The First Time, les sept compères ont eu l’intelligence de prendre de la hauteur tout en gardant les pieds sur terre.

Ants From Up There résonne forcément, à travers les annonces récentes, comme une sorte de testament de la part de son chanteur. Paradoxalement, la volonté de ses six compagnons de continuer l’aventure transforme ce dernier en la promesse d’un après des plus prometteurs. Il suffit de constater la capacité du groupe à prendre une situation aussi périlleuse que la leur et à en tirer une œuvre d’une richesse et d’une sincérité inouïes pour comprendre que Black Country, New Road n’a pas fini de nous impressionner.

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