Black Country, New Road : chronique d’une jeunesse incandescente
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Auteur·ice : Marion Fouré
15/02/2021

Black Country, New Road : chronique d’une jeunesse incandescente

On ne le dira jamais assez, le sud de Londres est devenu l’un des terreaux les plus fertiles pour la scène rock d’outre-Manche. En quelques années seulement, des groupes tels que Squid, Shame, Black Midi ou encore Goat Girl ont su redonner ses titres de noblesse à un genre punk-rock jusqu’alors agonisant. Temple de ce nouveau courant libre et contestataire, le Windmill, pub défraîchi de Brixton, a vu défiler plusieurs groupes émergents dans ses murs pour donner sans doute les lives rock les plus excitants de la capitale. Derniers en date mais certainement pas en matière de talent, les Black Country, New Road, donnent encore un nouveau souffle à cette scène bouillonnante avec leur premier album, For The First Time, sorti chez le mythique label Ninja Tune Records. Depuis 2019, les jeunes poulains de l’incontournable Dan Carey ont parcouru du chemin et confirment plus que jamais leur place de choix dans l’écosystème très exigeant du rock indé.

 

For The First Time n’est pas un disque conventionnel, loin de là. Si Black Country, New Road s’impose pour beaucoup comme l’un des groupes les plus talentueux de ces dernières années, il n’en demeure pas moins clivant. À la première écoute, vous allez certainement être désarçonné.e.s. Indifférence totale, incompréhension, mépris ou adoration ? Il faudra dans tous les cas un petit laps de temps à vos oreilles pour saisir et digérer cette musique complexe et parfois déstabilisante.

Iels sont sept. Sept ami.e.s aux horizons musicaux sensiblement différents et dont la fusion a permis d’aboutir à la création d’un recueil expérimental fascinant et inclassable. Assurément on y retrouve des éléments art rock, post-punk, free jazz, et même de la musique folklorique juive (Klezmer), mais réduire cette œuvre de haute volée à des bribes d’influences ne lui fait pas réellement honneur car c’est bien dans sa globalité qu’elle prend tout son sens. Ce qui interpelle dans cette musique, c’est tout d’abord l’intensité sonore complètement anarchique qui contraste avec le très jeune âge des membres de la formation. Mais au fil des écoutes, tout semble s’éclaircir. Derrière cette intensité se cache une liberté décomplexée, une fougue presque insolente, caractéristique d’une jeunesse en ébullition qui n’a vraisemblablement aucun intérêt pour l’immobilisme créatif. Au cœur de cette joyeuse troupe, difficile de faire l’impasse sur le chanteur, parolier et guitariste Isaac Wood, dont la voix intense et rugissante nous envoûte. Cet orfèvre du langage sublime le sprechgesang (parlé-chanté) en énonçant avec sarcasme des textes aux interjections fracassantes et souvent d’une gravité sombre ; assez bluffant pour un jeune homme de 22 ans !

Quant aux six titres abrasifs qui constituent For The First Time, ils nous donnent du grain à moudre et ce n’est pas peu dire. Les Londonien.ne.s déploient dans ce premier opus une créativité ardente et implacable sans réellement se soucier de la durée des morceaux. À première vue, on pourrait prendre ces longues plages instrumentales alambiquées pour de l’improvisation, mais que nenni ! Les structures des morceaux, bien que largement anticonformistes, sont minutieusement ciselées. Guitares électriques, basse, claviers, batterie, saxophone et violon s’entremêlent avec pertinence et inventivité pour s’embraser comme un feu de joie. Dans ce premier disque, les Black Country, New Road ne laissent rien au hasard mais s’attachent toutefois à retranscrire une dimension live, car c’est bien sur la scène que leur musique s’est affûtée.


Track by track :
Instrumental

Le titre d’ouverture sobrement intitulé Instrumental prend l’auditeur au dépourvu avec son influence Klezmer prédominante qui apporte une couleur presque carnavalesque à l’ensemble. Une boucle rythmique teintée afrobeat, des thèmes de violon et de saxophone à la fois mélancoliques et obsédants nous accompagnent tout au long de cette introduction de cinq minutes construite en crescendo. Il faudra aller du côté des Canadiens de Godspeed You! Black Emperor avec leur titre Mladic pour retrouver un thème folklorique à peu près semblable associé à des sonorités post-rock.

 

 

Athens, France

Sorti en 2019, le titre a été partiellement réécrit et réarrangé pour l’album. La nouvelle version fait la part belle aux nappes jazz et s’achève de manière moins apocalyptique. L’interprétation reste quant à elle intacte avec un Isaac Wood presque acerbe qui dépeint non sans ironie certains pans de la société moderne.

 

 

Science Fair

Discordant et oppressant, Science Fair est un titre où la complexité sonore de Black Country, New Road atteint son paroxysme. La tension malsaine monte d’un cran à chaque seconde, ponctuée par des bourrasques de guitares noisy et une narration de Wood toujours aussi angoissante et sinistre. Au bout de trois minutes le morceau bascule dans une cacophonie à la limite de l’audible, dont l’intensité chaotique nous ramène un instant à la fin des années 60 chez Silver Apples avec des titres comme Velvet Cave ou Dancing Gods.

 

 

Sunglasses

En dix minutes, BC,NR réussit une nouvelle fois à nous désorienter. Des guitares déformées ouvrent cette nouvelle version avant que n’émerge la batterie apaisée de l’originale. Pendant les trois phases du morceau, les instruments suivent fidèlement le texte de Wood qui scande avec colère des scènes de sa vie de couple dont la banalité quotidienne est devenue insupportable. À mesure qu’on avance, la musique s’intensifie, cordes et cuivres précipitant l’ensemble au bord du chaos.

 

 

Track X

Moment de grâce. Track X montre que le groupe est aussi capable de produire un titre sensible et mélodique où violon, saxophone et chœurs forment un ensemble harmonieux. Un instant poignant qui atteint son apogée avec la déclaration presque romantique de Wood : « I told you I loved you in front of Black Midi ».

 

 

Opus

Opus clôture l’album à la manière dont il a commencé, dans l’agitation et l’exaltation avec le grand retour des envolées Klezmer drivées par la violoniste Georgia Ellery et le saxophoniste Lewis Evans. On y retrouve quelque chose de Tortoise, dans cette faculté de déconstruire le post-punk avec l’apport de motifs rythmiques issus d’univers variés. À la fois énergique et grave, Opus sonne le glas d’une époque, ou tout du moins de quelque chose qui renaîtra probablement de ses cendres : « What we built must fall to the rising flames.»

 

 

For The First Time est un disque remarquable et d’une musicalité rare, qui deviendra certainement une référence en matière de rock expérimental. Avec un démarrage aussi excitant, il nous tarde d’écouter la suite de cette jeune formation palpitante et en perpétuel mouvement.


 

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