Blood Orange réaffirme son statut de maestro sur un mini EP atmosphérique
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
29/09/2022

Blood Orange réaffirme son statut de maestro sur un mini EP atmosphérique

Pas facile de garder l’attention de son public quand les projets musicaux pullulent ci et là, et que la frénésie de l’industrie n’arrête jamais vraiment de battre. Pourtant, loin du tumulte, Blood Orange sort d’un silence long de trois ans pour tranquillement nous déposer un mini EP. Quatre titres. Onze minutes. Et, croyez nous, c’est assez que pour captiver toute notre attention.

Ce n’est pas vraiment que Devonté Hynes (de son vrai nom) a chômé ces dernières années. Artiste pluriel et prolifique visiblement insatiable en matière d’expériences, il a notamment glissé son nom sur les crédits des sorties de Tyler, The Creator, The Avalanches, Turnstile, et même Mariah Carey. Comme ce palmarès ne lui suffisait pas, il s’est également essayé à l’exercice de la bande originale pour le cinéma. De Coppola à Guadagnino en passant par la sensation américaine Mélina Matsoukas, c’est pour les plus grand·es qu’il a pu mettre sa musique au service de la fiction. Récemment, c’est aux côtés de celui-que-tout-le-monde-s’arrache (ou voudrait s’arracher, du moins), l’étoile Harry Styles, que Blood Orange donnait de la voix pour quinze (!) dates consécutives au Madison Square Garden, le tout avec quinze sets différents pour chaque soir. On vous le dit, il n’est pas du genre à faire comme les autres.

 

Mais voilà, quand on sait que le multi-instrumentiste enchaînait les sorties à un rythme inconcevable à ses débuts sous le nom de Lightspeed Champion, on a tendance à en attendre un peu plus, plus vite, de la part d’un des grands noms de sa génération. Ou peut-être pas, finalement. Les belles choses prennent du temps, et savoir savourer chaque track avec respect est un précepte qui se perd dans la masse des sorties projectiles par bloc de douze titres, où certains se voient cruellement ombragés par d’autres au potentiel tubesque plus évident. Avec son Four Songs EP, Hynes offre à l’ensemble de sa nouvelle portée la juste dose d’attention. Au menu : un virage moins groovy, plus atmosphérique et suspendu, mais toujours aussi délicieusement vintage.

Si le grésillement sur-saturé qui ouvre Jesus Freak Lighter (et l’opus par la meme occasion) peut laisser penser à une ambiance agressive, les secondes qui suivent rassurent : Blood Orange a envie de nous prendre par la main, sur des ondes moelleuses et éthérées. Et ce ne sont ni les percussions électronisées ni les beats saccadés de l’avant de la scène qui viendront perturber la candeur confortable d’un riff de guitare électrique, absolument jouissif, qui colore l’ensemble depuis l’arrière-scène. Des airs de Beach House sont à relever, même si les falsettos de Blood Orange nous ancrent clairement dans leur univers à eux, entre rêverie et sentiments couleurs pastel.

Un rouge pastel comme l’amour qui ne s’exprime qu’en demi-teinte, mais qui brille d’une beauté intemporelle, pure. Un rouge pastel car Blood Orange ne dit jamais “I love you” comme pourrait le faire un rouge écarlate et criard, mais plutôt “Living in my head/Photo fantasy”, usant d’un mysticisme pudique et d’une poésie timide. Tant de choses tiennent dans si peu de mots.

Quand retentissent les premières cordes de Something You Know, il devient clair que la vocation du compositeur sur ce disque est celle de l’apaisement. Une ballade céleste qui se clôture sur une délicate section de riffs suspendus, pour nous emmener vers Wish, pépite de la collection.

Wish démarre sur un tempo de beats plus soutenus que sur le track précédent – car le format 4 titres ne justifie pas une quelconque monotonie de la part du maestro. L’esprit vaporeux est tout de même réincorporé par des nappes de synthétiseurs en toile de fond, tandis que c’est ici qu’il se fait le plus loquace et explicite pour nous parler du désir de renouveau, de changement.

https://m.youtube.com/watch?v=oJIN1Apnoeo

Breaking in the day
Find another way
To hide all the things I couldn’t do
And you wish it all
Wish it all went away

Sur le final, intitulé Relax & Run, Blood Orange convoque les forces tranquilles de Eva, fidèle back vocals du chanteur depuis plusieurs albums, mais également celle de Erika de Casier. Connaissant l’univers onirique et épuré de la Portuguaise, on entrait dans ce track sans trop de préoccupations quant à l’alchimie de leurs univers. Seul morceau n’étant pas dirigé par des lignes de gratte, c’est ici un loop de touches de piano qui vient ponctuer l’ensemble, pour un rendu plus atmosphérique que jamais, rehaussé sur la fin par un son de thérémine qui nous rappelle qu’on a bien quitté la terre ferme.

Il est fascinant de voir à quel point Devonté Hynes délimite le périmètre d’un univers complet, avec une identité forte, sur un si court laps de temps. Four Songs EP légitime à nouveau le format EP, non plus comme un amuse-bouche annonciateur d’un format plus long, mais plutôt comme un geste spontané qui se suffit à lui-même pour se raconter. Et puis, qu’il nous balance des 16 titres ou des singles, il est toujours bon de retrouver la maîtrise et la poésie de Blood Orange.