Bon Voyage Organisation : “Ma musique, c’est de l’artisanat”
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Auteur·ice : Adrien Amiot
22/04/2020

Bon Voyage Organisation : “Ma musique, c’est de l’artisanat”

Parmi la foule de bons disques sortis récemment, un nous a particulièrement marqué. ll s’agit du deuxième LP du projet parisien Bon Voyage Organisation, malheureusement passé inaperçu ou presque. Après deux EP remarquables (Géographie et Xīngyè) et un premier album remarqué (Jungle ? Quelle Jungle ?), BVO revient avec La Course, disque passionnant mêlant free jazz exotique et électronica expérimentale. Adrien Durand, la tête pensante du projet, conçoit et met en forme toutes les sorties du groupe ; il réalise par ailleurs pour d’autres – on lui doit l’excellent dernier album de Papooz notamment. Rare dans les médias, il a accepté de nous accorder un long entretien, pour mettre en lumière sa conception détonnante de la musique et ses nombreuses inspirations. 

Crédit : Lionel Rigal

La Vague Parallèle : Salut ! Merci de nous accorder un peu de ton temps. Comment ça va ? 

Bon Voyage Organisation : Ça va ! Bon, j’ai regardé les infos pour la première fois ce midi et je m’en suis pris plein la gueule, tous ces concerts et live instagram relativement médiocres. Quel enfer on vit ? J’ai peur qu’un de mes voisins s’y mette… J’en vois un de ma fenêtre qui a un synthé, un Moog moderne, contre la fenêtre de son appart. J’ai peur qu’il nous fasse un concert à la fenêtre. Je vais être obligé de lui jeter des cailloux, s’il s’y met ! En tout cas, très content de faire cette interview. C’est l’occasion, pour l’instant personne ne m’a trop posé de questions sur mon dernier disque.

LVP : Oui, je n’ai pas vu d’interviews depuis la sortie de ton dernier disque, La Course, le 20 mars dernier. Première surprise : c’est un disque presque 100% instrumental. Ce choix t’est-il venu de votre première partie de Kamasi Washington, en mai 2018 ? Quelle influence sur ta manière d’écrire de la musique ? 

BVO : Avant de s’appeler Bon Voyage Organisation, le groupe s’appelait Bon Voyage et était déjà majoritairement instrumental. Pareil dans mon ancien groupe de musiques électroniques, Les Aéroplanes. Mais quand on a fait l’EP Xīngyè, j’ai écrit une chanson qui s’appelle Love Soup. Ensuite, j’ai été dans un schéma, par volonté de mes partenaires et moi de refaire la même chose. Je me suis senti obligé, j’ai senti qu’on attendait de moi plus de chansons. J’en ai fait d’autres : GéographieMirage sur le Nil, puis Goma sur l’album, Le Grand Pari… J’ai aimé cet exercice, ça fait partie de ma culture musicale. J’adore la pop et le songwriting, je produis beaucoup de disques de chanteurs. Mais je me trouve pas un talent particulier pour écrire des chansons, en tout honnêteté. Pour autant, le jazz, la musique expérimentale, concrète, contemporaine, classique ont aussi une part importante dans mon éducation musicale.

 

Au milieu de notre précédente tournée, on nous a proposé la première partie de Kamasi Washington . Mais en formation un peu réduite : en quintette, c’est-à-dire à 5 au lieu d’être 7 sur scène. Donc sans chant. On avait préparé un set assez marrant, qui commençait par du Coltrane, avec une reprise de Trans Europe Express version pseudo-hard-bop. Même si dans le groupe il y a des gens qui viennent du jazz, on n’est pas des puristes. Et le jazz, c’est un milieu assez dogmatique. On y est allé sans stress et on a joué le set comme du petit lait : on avait moins la pression de l’interprétation du répertoire, c’est-à-dire la pression d’accompagner le chanteur. On s’est senti plus libre. Ça s’est tellement bien passé que j’ai eu envie de réexplorer cette partie de la musicalité de BVO. Et par ce biais, de mettre en valeur les musiciens du groupe d’une autre manière. On trouve dans BVO des interprètes, qui jouent dans plein de projets, des musiciens de sessions compétents et recherchés, venant de scènes et d’horizons musicaux très différents.  C’est assez unique en France, il n’y a pas  tellement d’autre exemple. Je me suis dit : au lieu de se mettre tous au service d’une voix et de textes – quelle qu’en soit la qualité – essayons de créer un disque où chacun est au service de l’interprétation de l’autre.

LVP : Une voix intervient à un seul moment dans l’album, à la fin, sur Prière pour le Voyageur partie 1. Je trouve que ça augmente l’impact, on interprète d’autant plus les mots qui sont prononcés. C’est volontaire ? 

BVO : Il s’agit d’un morceau que nous jouons sur scène depuis 2014-2015. Le texte est un bon manifeste de l’univers poétique, s’il en est, de BVO. J’adore la voix d’Agathe (la comédienne Agathe Bonitzer, ndlr) qui est présente dans presque tous nos disques. Je m’intéresse aux timbres des instruments : certains timbres reviennent tout le temps dans BVO, comme les sections de saxophone et de flûte, certains synthés… Le timbre de la voix d’Agathe est une couleur sur ma palette que j’aime utiliser et qui a son importance.

 

LVP : On trouve dans tous tes disques un intérêt pour la linguistique et la symbolique. Par exemple, sur la pochette du premier album, Jungle ? Quelle Jungle ?, il y a des symboles. Enlever les paroles en français peut-il permettre de se libérer des symboles et développer l’imagination des auditeurs ? 

BVO : ll y a évidemment de ça. Moins concentrer l’attention sur un élément… Oui, je suis très intéressé par la symbolique. Le format instrumental m’a permis de me rapprocher d’une certaine attitude liturgique. Je vois l’interprétation et l’écoute de la musique comme une expérience spirituelle. Pas de toute la musique bien sûr, je peux écouter un Paul Simon ou un Michael Jackson et y voir la chanson. Mais quand j’écoute Coltrane, c’est différent. On entend au long du disque un triangle qui vient marquer quelques moments importants, comme un son de cloche à l’eucharistie ou dans une cérémonie bouddhiste.

LVP : Il y a un point commun : les instruments de percussion. Dans ta musique, on sent des inspirations de compositeurs comme Edgar Varèse ou Iannis Xenakis, qui ont beaucoup écrit pour les percussions… 

BVO : J’adore. D’abord pour l’exploration des timbres. J’ai re-découvert sérieusement la musique contemporaine il y a 6-7 ans. Et j’ai remarqué à quel point le marimba ou le xylophone étaient significatifs dans cette musique. Si tu me dis Boulez, je pense xylophone. J’adore Xenakis, j’adore György LigetiBoulez a une vision de la déstructuration de la mesure et de la temporalité dans les morceaux : un espace est donné aux timbres comme rarement. Un coup important peut être suivi d’un long silence : cela permet de percevoir un morceau différemment. Je n’ai jamais entendu aussi bien sonner certaines pièces que dans des enregistrements de la Philharmonie de Berlin dirigée par Boulez. La restructuration du rythme, l’importance des respirations, autant de choses qui sont assez absentes de la musique électronique moderne, avec un pied sur tous les temps.

 

Dans les percussions, il y a une dimension animiste (la croyance en un esprit qui anime les objets, ndlr). Je m’intéresse particulièrement à la percussion qu’on dit latine – alors qu’elle n’a rien de latin, il s’agit de musique afro-cubaine -, directement liée avec la culture yoruba d’Afrique de l’Ouest. J’ai souvent parlé de ce rapport, né avec la route des esclaves. Il y a un disque excellent à ce sujet : Les Routes de l’Esclavage de Jordi Savall.

LVP : Il est vrai que ta musique respire beaucoup, elle est assez lente. J’ai même l’impression qu’elle se ralentit de plus en plus. C’est intéressant par rapport au titre du disque, qui évoque à l’inverse la frénésie. C’est donc une volonté de mieux entendre les instruments, de laisser résonner les timbres ? Y a-t-il d’autres raisons ?

BVO : J’avais besoin de prendre le temps d’écouter les timbres et de laisser la musique venir. Tu vois, j’ai fait des écoutes avant de sortir le disque, notamment pour le morceau Un américain à Tanger. Quand je sentais que la personne n’allait pas réussir à se concentrer pendant les 3 minutes d’intro, je lui mettais le morceau directement. Et je voyais bien que l’écoute n’était pas la même que si elle l’avait écouté en entier… C’est comme s’échauffer avant d’aller courir, en fait ! Si tu rentres direct dans le solo de piano de McCoy Tyner (le pianiste du quartet de John Coltrane, ndlr) dans My Favorite Things, ce n’est pas pareil que si tu attends les 7 premières minutes du morceau. La musique, c’est comme un film : difficile de tout sortir de son contexte et de ne regarder que des extraits. Ce n’est certainement pas ce qui va faire mon succès commercial ! Mais c’est ma vision… J’ai une assez haute opinion du public de BVO, je suis certain qu’ils vont comprendre cette évolution et j’espère que ce disque va ouvrir leurs oreilles vers toutes ces référence dont on parle depuis tout à l’heure.

https://youtu.be/NWYWgda5f0I

 

LVP : Considères-tu ta musique comme difficile d’accès ? On trouve beaucoup de sonorités pop sur ton dernier disque.

BVO : Ce n’est pas de la musique qui se bat pour ton attention : il faut que tu ailles vers elle, personne ne te force. Le packaging n’est pas sexy ni convenu au sens large du terme. La part de marketing dans le projet est faible. Pendant des années, j’étais absolument gêné à l’idée de faire payer les gens pour venir nous voir. J’ai toujours eu peur de devenir un des marchands du temple. Je n’ai pas cette attitude dans mon travail de réalisateur pour d’autres artistes, c’est même une part importante de celui-ci. Mais pour ma propre musique ça m’a toujours gêné, c’est de l’humilité. J’ai toujours trouvé impudique de se battre pour obtenir l’attention du public. Tout le monde est tellement agressé… Il y a une sur-abondances de projets musicaux à notre époque. La musique de BVO ce n’est pas un meuble IKEA, c’est de l’artisanat.

LVP : Le morceau La Course, qui donne son nom à l’album, possède une structure étonnante. Il contient presque 3 minutes de silence, ce qui est surprenant à la première écoute. Mais ça donne une impression de respiration et d’espace… Comment gères-tu le silence dans ta musique ? 

BVO : La musique de BVO est souvent très chargée, et sur ce morceau en particulier. On a besoin d’air… Surtout pour se préparer à la suite : mon morceau préféré du disque, Chanson, que je trouve très inattendu, même pour moi. Il faut laisser de l’espace. Avec tout le respect que je dois à mes contemporains, il faut être très fort pour enchaîner 12 chansons sans que ce soit relou.

LVP : Tu préfères le format EP dans ce cas ? 

BVO : Oui ! En ce moment, on me demande beaucoup de mix et de sélections de morceaux. Je me rends compte que j’ai du mal à dépasser 35 minutes. Je ne peux pas faire 1h, ça me paraît très intense. Mais ça m’intéresse quand même plus de proposer des moments de 40 minutes de musique, plutôt que des 3m30. Certaines choses doivent s’installer sur la longueur. Par la force de la réduction, quand je suis en studio 2-3 jours avec des musiciens je sors forcément avec 1h de musique. Avec ce disque, j’ai trouvé ma nouvelle façon de travailler. Il dure 44 minutes, ça fait sens. Mais si tu enlèves toutes les phases d’ambiance, tu as un EP ! Tu vois, je trouve que l’EP Géographie, c’était un putain de format. De chaque côté, l’intro et l’outro. Le morceau au milieu. Bien sûr on a fait beaucoup d’erreurs et de maladresses sur ce disque, mais le format est vraiment cool. Une sorte de Maxi-Single ! D’ailleurs je crois que sur ce disque là il y a une face en 45 et une face en 33.

 

LVP : J’ai l’impression que tu construis ta musique de manière géométrique, comme une structure architecturale. Es-tu d’accord avec cette idée ? 

BVO : J’ai une manière bien spécifique de construire la production, dans le placement dans la stéréo par exemple. De réfléchir au “qu’est-ce qui me manque” pour pouvoir finir, d’organiser mes sessions Pro Tools… D’abord, je me laisse un moment assez libre dans l’écriture et la production. Puis j’aime l’idée d’imposer une structure à quelque chose qui n’en a pas. À ce moment-là, je commence à organiser, tout nettoyer, tout rendre propre. Quelque chose se déclenche dans mon cerveau. La géométrie, c’est mon obsession pour les timbres, les formes d’ondes, les enchevêtrements de percussions, le lien continu entre la percussion et l’harmonie… Par exemple, les percussions et les éléments batterie sont toujours accordés dans les tonalités des morceaux. Je suis à la recherche de l’arpège que vont faire la batterie et les congas. Pour que ça suggère harmoniquement quelque chose qui intéresse le reste du morceau. Je n’entends plus tellement ça dans la pop.

LVP : On en revient toujours aux percussions ! C’est vrai que leur traitement dans la production actuelle est souvent frustrant. 

BVO : Les percussions sont toujours le parent pauvre. Exemple typique : un disque, presque fini, dans lequel le jeu des musiciens n’est pas top. Au dernier moment, on fait venir un gars pour faire une piste de shaker. Et toute la responsabilité est sur ses épaules pour que ça tourne. Ça ne peut pas fonctionner comme ça. Non, les percussions ne sont pas des instruments de deuxième division. Les congas sont un vrai instrument, ce n’est pas anecdotique. Ce n’est pas  : “Je mets un pin’s sur ma veste”. Non, c’est une veste. C’est fascinant la percussion.

LVP : Aimerais-tu bien en jouer, dans le futur ? 

BVO : Je n’ai pas la prétention d’être percussionniste… Mais quand le confinement a été annoncé, la première chose que j’ai fait c’est appeler un studio pour demander au propriétaire si je pouvais lui emprunter ses congas. En ce moment j’apprends la marcha et tous les rythmes de salsa. Sans ambition quelconque, juste pour comprendre. Je n’ai en général pas l’impression ni la prétention d’être un très bon musicien ou compositeur, mais j’aime être bien entouré…

 

LVP : Il faut quand même connaître certaines notions solfégiques d’harmonie et de rythme pour écrire la musique de BVO ? 

BVO : Je suis pas un grand spécialiste de l’harmonie ou du solfège. On entend bien dans mes arrangements que je n’ai pas fait le CNSM (Conservatoire National Supérieur de Musique, ndlr) ! Je suis très à l’écoute des autres musiciens du groupe à ce sujet et je prends beaucoup de temps pour écrire. C’est à mon avis surtout ma vision et mon goût pour la variété des timbres, mon respect pour le processus d’enregistrement et pour l’interprétation qui rendent ce que je fais sophistiqué.

LVP : Comment se passe une session d’enregistrement avec BVO ? Laisses-tu reposer la musique dans ton ordinateur après l’avoir capturée ? 

BVO : Il n’y pas de règles, mais sur La Course j’ai laissé reposer. On a répété un peu, puis on a fait 2 jours d’enregistrement de section rythmique. C’était une période où j’avais beaucoup de projets en cours. Donc je n’ai pas tout de suite touché aux sessions. Un jour j’ai commencé à m’y remettre peu à peu. Parfois, simplement prendre le temps d’écouter un morceau, en fin de journée, ou y toucher sans sauvegarder les modifications. Puis le moment venu, les choses ont commencé à se construire, j’ai trouvé un rythme de travail.

Crédit : Lionel Rigal

J’ai commencé à enregistrer des claviers additionnels, à coller des ambiances que j’avais. Toutes les ambiances sonores sont faites maison, les bruits d’oiseaux sont des synthés, des sifflements, plein de sons retouchés au magnétophone. Il n’y a pas un vrai bruit de jungle ou d’orage dans le disque, que du fait maison. Vu que j’ai une grosse collection de ces plages d’effets sonores, j’ai commencé à les placer selon l’inspiration et l’ambiance du morceau. Il n’y a pas eu une phase de mixage à proprement dit. Peu à peu les morceaux arrivaient vers une fin… Je n’ai pas édité le jeu des musiciens : j’ai juste fait des collages. J’ai parfois découpé des bouts de structure pour les coller à d’autres endroits, mais très rarement, l’idée était de respecter au maximum l’interprétation des musiciens.

LVP : Tu parles des bruits d’oiseaux, ça me fait penser à l’exotica et au disque Ritual Of The Savage de Les Baxter. C’est une inspiration pour toi ? 

BVO : Évidemment, l’exotica s’est intéressé de près à ces sonorités. Les Baxter , Martin Denny… Il y a aussi Messiaen qui a écrit sur les chants d’oiseaux, relativement à la même époque d’ailleurs. J’adore ça ! C’est magnifique ! Quelle utilisation des timbres, du vibraphone… J’ai eu une grosse période exotica. Cela dit, je trouve qu’il y a le même potentiel exotique dans du Boulez que dans du Martin Denny. C’est ce que j’appelle la jungle. C’est sauvage. Quelle que soit ta culture musicale, tu n’es pas préparé pour ça quand tu y arrives. Je pourrais enchaîner un titre de Martin Denny avec du Boulez. Il y a quelque chose de commun dans l’utilisation des timbres et des percussions.

 

LVP : Est-ce que ça t’intéresserait de créer de la musique pour d’autres supports, par exemple pour des jeux vidéos ou une pièce de théâtre ? 

BVO : J’ai des propositions pour travailler sur de la musique de film, en tant que réalisateur également. Ça m’intéresse, évidemment je vais le faire… Je suis très curieux du changement de format, mais je suis très conscient de mes limites. J’ai besoin d’essayer pour voir si j’y arrive. Je le vois comme un challenge, parce que les contraintes sont différentes. Dans BVO j’ai une liberté très forte, et en tant que réalisateur j’ai une certaine expérience. Le film c’est une nouveauté, j’ai hâte.

LVP : Parlons de tes clips. Celui de Goma, réalisé par Visions Particulières, était marquant. Comment en êtes-vous arrivés à travailler ensemble ? Aimerais-tu réaliser un de tes clips ? 

BVO : C’est une graphiste qui a fait tous les clips de BVO et toutes les pochettes jusqu’au dernier album. On avait une relation de travail longue, donc on s’entendait et on se comprenait bien. Elle a beaucoup de talent. Aujourd’hui, tout le monde veut être peintre, musicien, producteur, chanteur, prof… Tout en même temps. C’est un métier, réal ! Je ne suis pas dans le trip de l’amateur éclairé. Je préfère bosser avec les gens et voir quelles sont leurs idées. Je suis ravi par le travail avec d’autres. Dans les disques de BVO, ce qui me plaît le plus, c’est ce qui ne vient pas de moi ! Tout ce que je fais, c’est sculpter de la matière venue d’autres musiciens. C’est humaniste et j’aime ça. J’ai la même attitude face à la vidéo ou au graphisme.

 

LVP : Pourtant, c’est la tendance en ce moment, “tout faire seul”. 

BVO : Je ne suis pas sûr que ce soit toujours un gage de qualité… En tout cas ce n’est pas mon attitude. J’aime être entouré de professionnels, l’amateurisme a son charme mais ce n’est pas ma façon de penser. Des gens comme Adrien Soleiman, qui sont dans une réflexion continue autour de leur jeu de saxophone depuis presque 20 ans… Ça existe, et qu’est-ce que c’est enrichissant ! Ça l’est davantage que le mec qui se lève un matin et décide de devenir une star Instagram. Avoir du talent c’est une chose, construire sur son talent en est une autre.

LVP : Cette idée rejoint ce qu’on disait sur le disque : étirer les choses, contempler, prendre le temps, laisser reposer. Ralentir La Course

BVO : Oui. Respecter ce qui est là, respecter la musique qui vient et ne pas essayer de la forcer dans un format. Je dis souvent aux artistes avec qui je bosse en réal : tu as toute ta vie pour faire le disque que tu veux faire, faisons le disque qu’on peut faire. Qu’a-t-on comme matière première ? Si on a du sapin, faisons un beau meuble en sapin mais n’essayons pas de faire croire qu’on a fait un meuble en chêne. Encore une fois, c’est de l’artisanat.

 

LVP : C’est très différent de la tendance actuelle. Pour certains, c’est la vision inverse : il faut produire un maximum, être sur tous les fronts, omniprésent sur Internet. Rares sont les gens qui prennent le contrepied.

BVO : De toute manière je n’en serais pas capable. Difficile de maintenir un niveau de qualité et d’originalité constant tout en essayant de courir après les likes.

LVP : Peut-on parler de ton goût assez surprenant pour les génériques d’émission télé ? 

BVO : C’est un style d’œuvre d’art complètement décrié, mais qui passe complètement inaperçu. C’est un vrai savoir-faire ! Il y a un mec, Mike Post, qui a fait tous les génériques de la franchise Law & OrderNew York Section Criminelle, etc… Et c’est dingue parce que tout le monde connaît ces génériques. C’est de la musique par ordinateur des années 90, mauvais ou excellent goût, difficile à dire, je trouve qu’il y a du génie chez ce gars… Dans les séries on trouve plein de trucs, Hill Street BluesNYPD Blue… Les génériques de policiers sont généralement bien faits. Ce qui est incroyable, c’est qu’il y a souvent plus de budget, de qualité visuelle et sonore dans le générique que dans la série elle-même. Ça, c’est top : des séries complètement pourries avec des génériques fantastiques. Par exemple le générique français de Côte Ouest, ça sonne, c’est beau à voir… Pour les films, le générique supérieur c’est Les 3 jours du Condor de Dave Grusin. Et côté émissions télé, je trouve que Sept sur sept c’est superbe. (ll chante). Boum, avec la basse qui change. Thalassa aussi, très vénère… Aux États-Unis, le générique de Jeopardy est insensé : c’est une madeleine de Proust pour des centaines de millions de gens.

 

LVP : Ça t’intéresserait de composer un générique, comme Nicolas Godin pour Au Service de la France ?

BVO : C’est vrai que je n’ai jamais été un grand fan de Air. À l’époque où les gens écoutaient Air, j’écoutais Aphex TwinSquarepusherAutechre. Je suis beaucoup plus fan de Phoenix ou des Dafts. Pour être parfaitement honnête, je n’ai pas vu cette série. Mais oui, l’exercice de style de composer une musique référencée invoquant l’idée d’une autre époque… Pourquoi pas ?

LVP : Le début du premier morceau de l’album, Nocturne 305, est composé des mêmes harmonies que Vertige de l’Amour de Bashung. C’est une inspiration ?

BVO : C’est trop bien, j’adore Bashung. Un disque que j’adore : Play BlessuresBashung Gainsbourg. Ça irait bien avec du Boulez.

 

LVP : Tu te rappelles de tous tes concerts ? Si je te parle d’un concert dans un amphi, pour l’association l’Oreille de Dauphine, en 2016 ?

BVO : Je me rappelle absolument bien de ce concert. Celui-là était particulièrement exceptionnel, parce que c’était dans un amphi. À l’époque j’étais gosse donc j’avais quelques potes à Dauphine, on était déjà allé foutre la merde dans cet amphi. Après je ne suis pas le mec le plus “école de commerce”-friendly, il faut le dire. Cela dit j’avais adoré, l’association était très cool, c’était une bonne ambiance. La prog était intéressante, dans mon souvenir. Et jouer dans un amphi, c’est marrant quand même.

LVP : Merci beaucoup ! Toute dernière question. J’ai l’impression en écoutant ton disque que tu portes la responsabilité de combler un vide. Il manque une case quelque part, il y a un disque qui n’existe pas, et c’est un besoin vital pour toi de le créer.

BVO : Beaucoup de gens font de la musique avec cette motivation, je ne crois pas être le seul. Cela dit, beaucoup de gens font de la musique parce qu’ils croient en eux plus qu’en la musique. Mais il ne faut pas leur enlever, c’est aussi ce qui fait l’entertainment et le show business. Ça me fait plaisir que tu dises ça, oui c’est un besoin vital. Ce n’est pas pour l’argent, le succès ou la joie de vivre que ça me procure : c’est le fait d’être dans cette situation d’être avec tous ces musiciens autour de moi. Je me dis qu’il faut absolument les mettre sur bande, pour témoigner de ce que je vois et entends. La qualité du jeu, du niveau de discussion et de compréhension de la musique… Il faut en témoigner, voilà. Merci à toi !

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