Avec Laurel Hell, Mitski devient sa propre métaphore et nous emmène dans ses fleurs du mal
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Auteur·ice : Chloé Merckx
11/02/2022

Avec Laurel Hell, Mitski devient sa propre métaphore et nous emmène dans ses fleurs du mal

Mitski Miyawaki, la chanteuse américano-japonaise de 31 ans, fait un retour endiablé pour son 6e opus : Laurel Hell. Si les 4 premiers singles Working For The Knife, Heat Lightning, The Only Heartbreaker et Love Me More ne nous donnaient que peu d’indications sur la direction qu’allait prendre la chanteuse pour ce nouvel LP, on pouvait déjà pressentir un retour dramatique et émotionnel.

Laurel Hell (Lat. Kalmia Latifolia). Fleur des montagnes américaines qui, lorsque l’on y tombe, nous emprisonne. Si Mitski a choisi cette fleur pour représenter son album, c’est parce qu’elle était attachée à l’idée d’être cloisonnée dans une explosion de beauté.

Sa communauté attendait son retour avec impatience, depuis qu’elle avait annoncé, en 2019, qu’elle quittait les réseaux sociaux et que son concert à Central Park serait “son dernier show, indéfiniment”. Dès lors, ses fans très actif·ves se consolaient de l’absence de leur sad girl préférée, en slurpant des lavender latte à 7 €, et en s’offrant une collection de plantes vertes, dans laquelle iels pouvaient se relaxer, en créant des memes sur leur état dépressif. Pourtant, qualifier Mitski de “Sad Girl” serait très réducteur. Si ses chansons sont en effet fort empreintes de ce sentiment, la tristesse n’est qu’un fragment des multiples dimensions qu’offre sa musique.

Du synthé et des roses

Un peu comme dans un journal intime, Mitski écrit avec ses tripes. Son dernier album Be The Cowboy avait été canonisé par Pitchfork comme étant le meilleur de l’année 2018. Cet album ne se présentait pas vraiment comme une maquette d’un son définitif ou même d’un ensemble unifié. Pour Laurel Hell, son approche est un peu différente. On ressent que l’écriture et la composition ont été faites avec beaucoup de recul. Elle a rechargé ses batteries et s’est éloignée de la scène pour canaliser son énergie créative dans la construction d’un son plus fédéré. Ses chansons sont d’ailleurs plus longues qu’à son habitude.

Pour ce nouvel LP, on ressent une forte influence eighties dans la production. On ne peut pas lui en vouloir, c’est un choix esthétique assez logique lorsqu’on écrit un album sur l’amour, les relations complexes et leur toxicité. Les meilleurs films à l’eau de rose sont, en effet, sortis dans les années 80. D’ailleurs elle nous offre carrément sa version de Flashdance lorsqu’elle virevolte dans le clip de Love Me More.

Un son cinématique

“Asseyez-vous confortablement sur votre siège, la séance va commencer”. Avec Valentine, Texas, Mitski nous accueille dans son univers. Un peu comme avec Geyser dans Be The Cowboy, elle place le décor de son film et nous emmène dans son road trip émotionnel. Avec un instrumental qui commence doucement, elle capte notre attention, pour pouvoir nous prendre par surprise avec une symphonie épique qui explose d’un coup et qui nous donne des frissons. Son explosion de beauté, elle est là. Maintenant elle nous tient, dans ses fleurs du mal, dans son laurel hell.

Working For The Knife raconte, de manière subtile, sa relation conflictuelle avec le succès. Elle évoque, à l’aide d’une mélodie anxiogène et de synthétiseurs très graves, la difficulté d’écrire des chansons candides dans un monde impitoyable pour les artistes qui tentent de garder leur notoriété. “I always knew the world moves on/I just didn’t know it would go without me”. Le couteau symbolise les attentes des autres, du public, qui restent comme un objet froid dans la main.

Lorsque vient Heat Lightning, on a comme l’impression de rentrer dans un épisode subconscient. Sa voix résonne comme l’incantation d’une enchanteresse dans cette atmosphère sous tension. Elle monte en puissance tout le long du premier couplet, puis, en une fois, la pression se relâche pour retomber sur un piano, presque jazz, presque dissonant. Dans le second couplet, l’ambiance est plus bourdonnante que pressurisée. Comme si on avait enclenché la sourdine d’un piano pour mettre en valeur sa voix salvatrice. Dans cette chanson, on reconnaît le talent de Mitski pour assembler joliment des éléments qui, séparés, sonneraient en cacophonie. La chanson fait moins de 3 minutes, et pourtant, la montée vers le climax est parfaitement maîtrisée pour nous fournir un mini orgasme auditif.

Avec un métronome qui bat en ternaire et un instrumental fort minimaliste, Everyone se présente presque comme un interlude. Comme le tic tac d’une horloge au fond d’une salle de classe, Mitski nous laisse le temps d’assimiler tout ce qu’elle nous raconte.

On enfile les épaulettes

Alors qu’on a l’impression de rentrer dans un univers austère avec les premiers titres de l’album, on enfile nos rollers néons et nos épaulettes avec Stay Soft. Les sons plus pop de l’album créent un contraste fort intéressant. Mitski a parié sur le mariage du sombre et du dansant. Toujours avec un twist un peu fétide, inspiré des “ghost stories” qu’elle aime tant.

En écoutant les titres Love Me More, Stay Soft ou That’s Our Lamp, on ne doute plus de l’influence disco. Autant dans la production que dans les mélodies, elle use de rythmes et d’airs de référence tout en rajoutant des éléments fiévreux. Certaines chansons comme There’s Nothing Left For You nous laissent un peu sur notre faim à cause de la production. On aimerait parfois avoir droit à un “grand final” ou un drop puissant, mais on ressent comme une sorte de pudeur, lorsqu’elle s’aventure trop loin dans le sensuel. L’impact de certains titres semble comme édulcoré dans un mixage un peu étouffé. Elle termine son périple avec That’s Our Lamp, un titre enjoué et enfantin sur la nostalgie d’une relation.

Une relation toxique

Intense et ténébreuse, Mitski a puisé dans sa relation toxique avec la scène pour nous déployer sa grande énergie créative. Tout en gardant ses distances, elle nous ouvre les portes d’un sous-sol rempli de trésors dans lequel nous tâtonnons avec une lampe de poche. L’album oscille entre de l’indie, un peu occulte, et de la pop, un peu new wave, sans un réel entre-deux. Mitski s’éloigne progressivement du son expérimental et garage de Bury Me At Makeout Creek ou Puberty 2 pour former une ébauche de sa forme finale. Impossible de savoir si cet opus sera le dernier de l’artiste. Est-ce un baiser d’adieu, un au revoir ou simplement une bouteille à la mer ? Nul ne le sait. Comme un mirage dans nos vies, Mitski passe et nous laisse médusé·es sans qu’on ait trop compris ce qu’il venait de se passer.

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