Mardi, une boule au ventre accompagne mon réveil, des pensées floues, l’excitation, autant de témoins des très grands chez moi. Ils sont peu nombreux. Trois à vrai dire. Des nanas au soleil, un érable écorché et les derniers me souhaitant une bonne saison des neiges.
Le ciel s’assombrit, concluant une journée trop vide et trop longue. A peine mes pâtes froidement englouties que je saute dans le premier 7 venu. Etape numéro un, rejoindre le frangin à Pétillon, puis marcher jusqu’au point de ralliement. Arrivé sur le parvis de sa porte, l’excitation est au max. Quinze minutes passent, la sonnette tempête: Brigitte, notre taxi du soir, trépigne. C’était mardi dernier, il est 18h45.
City & Colour, pseudonyme génialement benêt pour le chanteur Dallas Green, n’est autre que la voix du groupe Canadien Alexisonfire. Ecce homo qui fait ces jours qui marquent mes années, de ceux qui marquent mes âges, des quelques qui m’interrogent sur ma sexualité. À son physique ingrat on y troqua une sensibilité violente, et ainsi naquit cet auteur-compositeur démesuré, de sa voix, de son doigté, gémissant ses cantates depuis plus de dix ans.
A 120 kilomètres à l’heure vers le Trix, dans la banlieue d’Anvers, nous roulions. Le regard courant les reflets jaunâtres des lampadaires, je pensais à ce soir. Plié dans ma main, le tickets d’entrée indiquait un accueil assuré par Lucy Rose. L’Anglaise m’est inconnue et j’appris quelques instants plus tôt que sa musique n’a de commune mesure que son minois. Quelle importance, je pensais à ce soir. Secrètement, je revivais nos derniers concerts. Cette intimité partagée au Botanique, sa musique magnifiée à l’AB. Je souriais, repensant à ses discours gauches, souvent abrégés par sa pudeur maladive. J’étais rêveur, je pensais à ce soir.
Arrivés 20 heures pétantes, on niera quelques dizaines de minutes de la première partie pour les formalités de bière et vestiaires. Allégé, j’avance religieusement avec mon groupe vers la scène. La salle est imposante de simplicité, un volume minimaliste sans fioritures. Le son est agréable, les voisins moins. Sur scène, la rouquine/châtaine/blonde selon les spots caresse mes oreilles. Je dodeline sur quelques titres: Shiver, Bikes et son tube Middle of the Bed. L’avant-dernier morceaux s’achevant, la chanteuse rend sa guitare et s’empare du micro. Absorbé par ses quelques mots, je ne remarque pas immédiatement qu’un deuxième chanteur vient la rejoindre sur scène. Il est là. C’est lui. L’estomac s’est noué, je n’étais pas prêt. Ils entament She’ll Move. J’ignorais à cette date l’originale, mais j’étais sûr d’une chose: à eux deux, ils l’ont magnifiée. Je n’eu pas tort, aujourd’hui je le pense encore. N’en déplaise aux puristes, je filmais avec aubaine à cet instant. J’ai laissé tourné, sans regret.
Le temps d’une dernière chanson, Lucy Rose s’efface tandis que la salle s’illumine. Quelques assoiffés quittent les lieux, et j’en profite pour me faufiler au plus près du micro. Jouant de coude et de chance, je suis à un rang d’humain de lui. J’attends, interminablement. La salle s’éteint à nouveau. Ils entrent sous les sifflements excités. Je ne tiens plus en place.
Dallas Green, farceur et imprévisible, prend son public à revers et ouvre sur Women. Le choix plus que remarquable quand on sait que le titre avait déjà servi de teaser un mois avant l’album et est son premier single. Le gaillard n’a pas changé, ses yeux toujours portés au plafond, le regard fuyant la foule. Timidité insolente.
S’enchainent Northern Blues, If I should go before you et Wasted Love. Bon, il est certainement impatient de jouer ses nouveaux bébés, soyons bon public et patientons. Vingt interminables minutes plus tard, Dallas annonce « We are going to play an old song ». Electrique toujours en main, j’hausse un sourcil, incrédule. Les deux premiers albums brillaient par leur arrangement très acoustique, qu’est-ce qu’il me joue là ? Assez vite, mon frangin me murmure « C’est Hello, I’m Delaware », « N’importe quoi » lui rétorquais-je aussitôt, « Il n’oserait pas la jouer à l’élect… »…Dallas m’interrompt « So there goes my life… ». Je reste paf. Il me fait violence. Ma mémoire cherche désespérément les accords que je connais. A l’acoustique complexe du studio, en live mon canadien de cœur répond une soupe rock. Le temps de forcer l’oreille à la nouveauté le deuxième couplet s’achève. Parfait ! Il précède justement le pénultième refrain et cette montée lyrique qui me fait autant vibrer onze ans après. Je guette sa posture, tends l’oreille, prêt à discerner l’authenticité de sa voix au souffle du baffle, chérir l’organique à l’aimant, «…my body achs…», on y arrive, il décale sa mâchoire, « … I weren’t here tonight… », ses yeux se ferment, «…but this is my life… », les miens s’écarquillent, un dernier accord… et rien… le plat… le néant… même tonalité, même souffle. La frustration est grande, la platitude extrême.
La foule applaudit. Trop sourde ou trop polie je n’en sais rien. L’assistant barbu, qui à l’entracte rapait « een, twee… » sur tous les micros de scène, s’avance vers l’artiste et lui tend religieusement une Martin-0017. Folk ! Enfin ! Je souris, soulagé. Dallas accorde, frotte le premier accord. Un mi mineur… vous voyez Sleeping sickness arriver ? Moi aussi. J’en frissonne. Vous voyez la déception aussi arriver ? Moi non. Et elle fut dure. Le jeu est monotone, les chœurs dans les aiguës. Même le solo de guitare est terne, se contentant d’un simple riff répété avec plus ou moins de coup de vibrato. Gordon Downie, si tu me lis, pardonne leur car ils ne savent ce qu’ils font.
Blasé, mon regard fuit sur le bras de ma voisine de tête. Juste après le poignet, la même mésange rouge et bleue du premier album y est tatouée. Les yeux dans le vide, je m’interroge. Est-ce respectable ou désespérant ? Le canadien profite de mon esprit évasif pour jouer Friends, un bref appel à une vague attention latente portée sur la scène et je l’écoute cette fois expliquer qu’elle fut écrite pour ses amis. Chapeau l’artiste !
Sans grande saveur, les titres s’enchaînent. Puis surgit Grand Optimist. Et caque… c’est, déjà, l’une des plus ennuyeuse de sa discographie. Et non, ça ne loupe pas. Les musiciens hument au refrain comme attendu, mais là encore, rien ne prend. Le morceaux touche à sa fin, tous les instruments se taisent… silence… City & Colour reprend son souffle, inspire et s’égosille: « I guess I take after my mother »…s’il existe une émotion mélant impatience et surprise, je l’ai eue. Merci le niaiseux, t’auras attendu tout ce temps pour me le sortir ce cri du cœur.
Mais Dallas, dis moi… Pourquoi ? Pourquoi cette prestation si délavée ? Pourquoi la spolier de sa saveur ? La grosse caisse est frappé d’un C&C, certainement pour Concert Chiant ou Chanteur sans Couleur. Oui, peu, très peu d’acoustique, pas d’harmonica, pas d’âme, pas de Body in A Box, pas de charisme, pas d’envie…est-ce que tu t’ennuies ? Toi autant que tes musiciens étiez léthargiques. Amis lecteurs, ça ne vous surprendra pas mais The Hurry et The Harm n’est pas mon album favori mais de là à ne pas en jouer une seule note ? Le renier à ce point ? Venez, et Consolez mon Cafard s’il vous plaît.
La musique s’arrête net, les musiciens s’en vont, sans un sourire, sans un signe. Certes, le rappel est aussi dogmatique qu’attendu, mais quand même. Quelques minutes s’écoulent dans le noir. Le même assistant à la pilosité folk voyage sur les planches et trifouille. Dallas revient, seul cette fois, et empoigne -heureusement- une acoustique. Je priais intérieurement « Sauve ce concert. J’ai tant mal pensé. Si tu reviens, j’annule tout. Paisiblement, un arpège résonne dans le Trix. Day Old Hate, quelle ironie. Toi qui est sur scène tu me provoques, je le sais. Mais j’ai espoir. Je te retrouve. Ton jeu impeccable. Ta mélodie. Tu es là. Enfin.
Les yeux fermés, je me laisse bercer. Les paupières parfois réchauffées par les spots qui courent le public, et mes lèvres murmurent ces choses que l’on fait pour se garder vivant. Par révérence et jusqu’à la dernière note, la salle restera muette, mortifiée, complètement transie. Le temps d’un silence, d’une profonde inspiration,et tes doigts dansent à nouveau. Toujours du même album The Girl. Tu te devais de la faire, je le sais, je ne t’en veux pas. Trop emporté, trop lénifié, mes yeux fixent ces huit lettres qui habillent tes phalanges. TRUE LOVE, je sais, moi aussi. Viennent les « oooh oooh oooh…» tiens, déjà la fin du couplet ? Brisant ma rêverie, les musiciens reviennent sur scène. Fidèle à l’originale, City & Colour compte les mesures « one…two…one two three four ». Je sens la foule s’animer, une marée de tête se mettent à hocher, le réveil collectif des comateux.
En maître des cœurs et des humeurs, tu durcis le ton: Fragile Bird. Le choix est entendu par tous, la fin s’amorce. Le live respecte la version studio, ni plus ni moins. N’étant pas ma préférée, elle me rend mes esprits. Alors j’observe. A trop plonger mes yeux dans les tiens, j’en oublie tes complices. Mais eux-même fuient le public, vous êtes comme étrangers, très peu de regards se croisent, à chacun sa marche, à chacun son rôle, et je ne comprends pas. Il n’y a eu aucune larme cette fois-ci, aucune mélancolie. Rien ou presque ne m’a porté. Et pourtant, à ton sujet, je suis vulnérable.
Et là… comme si tu entendais ma complainte, ton batteur entame un rythme lent, au tempo marqué: As Much As I Ever Could. Est-ce là ta réponse ? Tu mens, je t’ai connu d’autrefois. … « give me one last kiss »… non… « For soon, such distance »… ta faute… « Bring me your love, tonight »… j’essaie… « No, I am not where I belong. So shine a light, guide me back home »… je te laisse ces derniers mots.
La guitare s’arrête, la foule applaudit à tout rompre. Bien que, curieusement, la batterie continue sa frappe. Je rassemble mes affaires, empoigne ma veste et jette un œil à mes compagnons de chemin. A peine la première manche passée que ton guitariste beugle un mi mineur résonnant. Je relève la tête. Personne n’a bougé. Il joue avec ampleur, presque brutalement Sorrowing Man. Dallas, ton message devient confus. Je reste immobile, une moitié de corps déjà apprêtée, l’autre toujours perdue dans ce bain sonore. Tu me berceras, un peu hagard, pour une dernière fois ce soir. A ce moment, je te le concède, tu m’es revenu. De leur jeu homérique ou de ton lyrisme hurlant, je l’ignore, mais tu m’es revenu. Mélancolie des derniers instants peut-être.
La scène dût s’éteindre… j’ai perdu mémoire des derniers instants, par pudeur, ou par aliénation.
Tout ce qui me revient, ce sont mes pas me portant vers la sortie, le frangin derrière, Brigitte et son homme à la chevelure aussi ébouriffée qu’elle devant. Je les interroge, ils ont aimé, certains préfèrent même le live au studio. Je suis aussi surpris que blessé, l’esprit morne. En théoricien je tire le trait. Marié depuis huit ans, reconnu Outre-Atlantique… est-ce qu’à une vie plus rangée, l’artiste est-il plus apaisé ? Je l’ignore.
« La rupture s’annonce-t-elle ? » ricane-t-on dans mon dos. Non…Il n’en sera rien.
Enfant de l’amodernité, aussi critique acerbe que musicien raté. J’execre Tame Impala à mes heures perdues.