Douceur et aspérité. C’est avec cette formule simple et mystérieuse que le duo franco-américain composé d’Erika Ashleson et de Guillaume Siracusa, nous offre une nouvelle parenthèse sonore irradiant d’une beauté sans artifices, au cœur de l’indie pop originelle. Mettez vos écouteurs et laissez votre esprit voguer et dériver librement au fil des onze titres introspectifs de leur premier album signé chez Howlin’ Banana et Hidden Bay Records.
Artwork de l’album
© Erika Ashleson
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Erika et Guillaume se connaissent depuis peu. Ce n’est qu’en 2017, que leur rencontre inopinée dans un studio montreuillois scelle leur amitié “spéciale” et marque le démarrage d’un projet musical exaltant, fruit de jams improvisés et d’expérimentations sonores prolifiques. Elle à la batterie, lui à la guitare, et toujours à deux voix, les Special Friend composent avec aisance leurs premiers morceaux en quelques mois et accèdent rapidement à la scène parisienne pour les présenter à leur public naissant. En 2019, le duo dévoile un premier EP au nom éponyme, dont l’esthétique lo-fi et minimaliste révèle un procédé créatif spontané, illustrant la singularité de leur univers DIY.
Les titres planants Low Tide et Wonder Why en sont d’ailleurs les archétypes, surmontés d’un halo psyché et shoegaze. Dans la foulée de la sortie de l’EP, les deux amis continuent à jammer régulièrement sur des idées qui deviendront progressivement les morceaux définitifs de leur premier album enregistré à l’été 2020 par Vincent Hivert (En Attendant Ana, Belmont Witch).
Intemporel, Ennemi Commun aurait très bien pu être composé dans les années 19990, en s’inscrivant dans la veine de Duster et Low, avec ce don presque mystique de véhiculer des émotions, de créer une atmosphère intimiste et cérébrale avec finalement peu de choses. De prime abord, le binôme guitare/batterie peut sembler trivial voire ennuyeux, pourtant, le disque nous prouve rapidement le contraire grâce à une recette bien calibrée de pop à guitares chatoyante et atmosphérique qui nous fait osciller entre différents états émotionnels à la manière des montagnes russes. Une énergie vivifiante émane de Motel et Ennemi Commun où les harmonies vocales dégagées, tranchent avec les élans noisy. Dans l’abrasif Forest, la distorsion atteint un point culminant faisant la part belle aux riffs de guitares bruitistes et à la voix presque nonchalante de Guillaume Siracusa.
Mais que serait Special Friend sans sa mélancolie ambiante ? Les titres Destructionist, Manatee et Flaring Jean ressuscitent le slowcore vintage où les voix faussement imparfaites amplifient la beauté de l’ensemble. Mention spéciale aux refrains qui distordent l’espace pour nous propulser toujours plus haut vers les cieux. Plus légers, Movement of the Planets, Pastel et HCM sont de jolies pépites twee pop réconfortantes, caractérisées par des arrangements simples et répétitifs portés par un chant doux et innocent. Répartis sur l’ensemble de l’album, ces trois morceaux créent un certain équilibre en apportant la juste dose de fraîcheur et de naïveté. Toujours dans cet esprit de sobriété “rafraîchissante”, Hazard et Meant To Gather donnent plus de rythme et nous transportent instantanément dans la nébuleuse indie pop de Beat Happening et son album phare de 92 Turn Me On. Ici encore, et avec une évidence déconcertante, les voix se détachent et s’entremêlent avec poésie, comme les corps d’un couple de danseurs.
A la croisée de la noise pop, de l’indie pop et du slowcore, Ennemi Commun fait planer au-dessus de nos têtes un nuage de mélancolie percé par de belles éclaircies sans jamais nous lasser. Un album à écouter dans son intégralité où chaque chanson constitue une pièce essentielle du puzzle.
Mélomane en apesanteur.
#jamaissansmoncasque
