Guilty pleasure #1 : KYO au Yoyo – Palais de Tokyo
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Auteur·ice : Paul Mougeot
31/01/2018

Guilty pleasure #1 : KYO au Yoyo – Palais de Tokyo

Dans Guilty pleasure, les chroniqueuses et les chroniqueurs de La Vague Parallèle livrent leurs péchés mignons, leurs petits plaisirs coupables. Avec de vrais morceaux de confessions.

J’ai 9 ans.

Je viens tout juste de connaître mes premiers émois musicaux en assistant, ébahi, à un concert donné par la deuxième promotion de la Star Academy, qui a fait naître en moi un amour pour la pop française exigeante : c’est donc avec passion que je me tourne alors vers les plus fins fleurons de la chanson francophone de l’époque, Nuttea et Corneille (on vous avait promis des confessions).

À ce moment-là, KYO a déjà sorti un premier album éponyme, dans un anonymat presque complet. Leur deuxième album, Le Chemin, connaîtra en revanche un succès immédiat en devenant l’un des rares disques français à dépasser le million de ventes dans les années 2000. Le phénomène connaîtra la même influence dans les cours de récréation : fait rare dans un (très) petit village de province au moment où la musique ne s’écoutait pas encore sur Internet, les enfants partageaient tous une référence commune, connaissaient tous les paroles des Dernière danse, Chaque seconde ou Tout envoyer en l’air – maintenant vous les avez en tête, désolé.

Qu’on s’accorde ou non sur la qualité de la musique des quatre larrons, qui distillent depuis plus de vingt ans (ils sont actifs depuis 1994) une musique mélodique et gentillette, ils ont représenté un premier contact avec le rock pour un certain nombre de jeunes nés au milieu des années 90. Je n’ai pas échappé à la règle, et je dois dire que KYO figure parmi les artistes que j’ai adorés très tôt. Leur troisième album, 300 lésions, a reçu un accueil moins enthousiaste car plus sombre et plus rock. Il s’agit pourtant du dernier bon souvenir que je gardais de KYO, puisqu’ils ont disparu de la circulation après ce dernier opus aux quelques titres accrocheurs.

Les années ont passé, sans nouvelles de KYO, si ce n’est un obscur supergroupe du nom d’Empyr, monté par des membres de Watcha, Pleymo, Vegastar et donc… KYO, qui n’a connu que le sort qu’il méritait en basculant dans l’oubli après deux albums quasi-anecdotiques. Les années ont passé, donc, me condamnant peu à peu à n’écouter KYO que dans la relative intimité des transports en commun, avec un casque soigneusement vissé sur les oreilles et en jetant des regards furtifs à la ronde, terrorisé à l’idée qu’on me prenne à écouter ceux qu’on a bien vite relégués au même rang que les boys bands claqués des années 90. Je dois pourtant admettre, vous l’aurez compris, que je n’ai jamais pu me départir d’une certaine affection pour ces quatre éternels adolescents, même si je n’ai pu me résoudre à écouter leurs derniers albums.

En ce mois de janvier 2018, alors que mes oreilles et tout mon être sont tendus vers de nouvelles pépites musicales (des vraies), je n’ai pu contenir un bref instant de fébrilité lorsque j’ai songé à la possibilité de voir mes idoles déchues en concert pour la toute première fois. Après soigneusement pesé le pour (tenir la promesse que le petit Paul s’était faite, prendre des nouvelles de ces vieux copains, vivre une expérience insolite) et le contre (tenir une promesse beaucoup trop vieille pour être réalisée, revoir des vieux copains un peu gênants, vivre une expérience déplaisante), je me suis jeté à l’eau.

Les retrouvailles étaient prévues au Yoyo, le club situé sous le Palais de Tokyo, où le groupe devait présenter son nouvel album, Dans La Peau. Un rapide coup d’oeil dans la file puis dans la salle m’a permis de me rendre compte que l’audience était composée, pour moitié au moins, de personnes de mon âge, probablement nostalgiques (plus ou moins secrètement) d’une époque désormais bien révolue. Restait à déterminer quelle proportion de cette joyeuse troupe se servirait de la venue de Brigitte ou de Tom Walker ou de Rag’n’Bone Man, les autres artistes présents lors de cette soirée, pour dissimuler leurs véritables intentions. En l’occurrence, les masques sont tombés bien vite : les prestations quelconques des deux premiers cités n’ont suscité que peu d’enthousiasme parmi le public, à peine réchauffé par une interprétation convenue de Battez-vous.

C’est mon coeur, qui a battu. Très vite. À une excitation adolescente se mêlait la crainte d’être déçu et celle, plus grande encore, d’apprécier ce qui allait se dérouler sous mes yeux. Lorsque Ben, Flo, Nico et Fab (les années 90…) débarquent timidement sur scène flanqués de deux autres musiciens, une première pensée : ils n’ont pas changé. Les notes familières d’un gros riff de guitare saturée retentissent et immédiatement, la fosse remplie de plus-tout-à-fait-adolescents-pas-encore-vraiment-adultes est tirée de sa torpeur. Contact.

Toutes ces silhouettes, vaguement intéressées par les deux premiers concerts qui venaient de se jouer sous leurs yeux, ont soudainement pris vie en hurlant de manière presque automatique ce qu’elles avaient appris des années auparavant. Sur scène, les harmonies manquaient parfois de justesse et de puissance, mais elles étaient là. De mon côté, j’ai eu du mal à réfréner mes ardeurs et j’aurais eu peine à cacher l’euphorie naïve et sincère dont j’ai été saisi lorsque j’ai entendu cette rengaine chérie de longue date. Idem au moment où le groupe a joué la tourmentée Je saigne encore, qui a fait naître dans la salle une joie étrange au regard de la mélancolie du morceau.

Tout au long du concert, et malgré les quelques soucis techniques qui sont venus émailler la soirée, le public répondra présent en reprenant in extenso les vieux tubes du groupe : Je cours ou l’inévitable Le chemin, mais laissera à KYO le soin d’interpréter ses morceaux les plus récents, Le Graal ou Ton mec (étrangement nommé aux Victoires de la Musique).

Finalement, je ne regrette pas d’avoir tenté un pari improbable, celui d’un rendez-vous réussi avec des amours de jeunesse.

Au Yoyo, j’avais 9 ans. À nouveau.

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