| Photos : Hugo Payen pour La Vague Parallèle
Une voix cotonneuse sur une folk aux sonorités rêveuses, Hazlett fait indéniablement partie des plus belles promesses du genre. Impossible de ne pas succomber à Blame The Moon ou à son tout nouveau Shiver. À l’occasion de son premier passage bruxellois, c’est sous le premier soleil de la saison que nous rencontrons Hazlett. Tous les deux résolus à vouloir en profiter avant qu’il ne soit trop tard, direction les parterres fleuris du Mont-des-Arts. On a du temps et beaucoup de questions.
Il y a de ces artistes qui nous marquent plus que d’autres, qui viennent panser des maux dont on ignorait même l’existence. Des artistes qui, du jour au lendemain, se retrouvent projetés sous le feu des projecteurs. On entend souvent qu’une rencontre peut tout changer. Pour certains artistes, c’est parfois un morceau qui peut tout chambouler.
Pour Hazlett, c’est en 2016 que l’aventure commence. Une première sortie aussi timide que son auteur-compositeur venue le pousser dans le grand bain. Avec un talent à la hauteur de son côté mystérieux, Hazlett façonne son univers au fil du temps et des sorties. Entre une acoustique plus brute et un penchant pour des couches plus électroniques, pas facile de s’y retrouver.
Un mélange des genres qu’on (re)découvre à travers ses premiers EP, qui nous ouvrent alors la porte d’un univers en perpétuel construction. Le moment fatidique d’un premier album arrive pour le jeune auteur-compositeur. Un album qui le propulsera alors dans une nouvelle dimension grâce à des morceaux comme Please Don’t Be ou My Skin dès la fin 2023.
Nouveau départ et nouvelles opportunités de tournées grâce à une implication à toute épreuve. Un premier album révélateur à tous les niveaux aussi. Hazlett gagne en notoriété et en succès mais l’appel à la déconnection et à l’échappée ne fait que résonner toujours plus fort dans le cœur du timide des débuts. Une dichotomie entre deux mondes qui, pourtant, le nourrissent et l’inspirent. Mais de ça, Hazlett vous en parlera mieux que nous.
La Vague Parallèle : C’est une première pour toi à Bruxelles ! Comment tu te sens à quelques heures de ta première scène ici ?
Hazlett : Je dirais même une première en Belgique. Écoute, c’est vraiment un chouette endroit ! Je me suis baladé toute la journée dans cette ville qu’on dirait être le parfait mélange entre la France et l’Allemagne ? (rires). J’aime beaucoup l’énergie qui se dégage de Bruxelles.
LVP : Tu as un petit rituel sur Instagram quand tu pars en tournée : tu utilises le réseau comme un journal intime, où tu parles de chaque journée qu’elle soit positive ou négative. Si tu devais parler de ta journée, tu y écrirais quoi ?
Hazlett : Aujourd’hui serait une assez bonne journée ! Je vais pas te mentir que ces derniers jours n’ont pas été des plus joyeux. C’est des hauts et des bas constants. Quand tu pars en tournée tout seul, sans équipe, avec ta seule guitare comme compagnon de route, c’est pas tous les jours la fête qu’on pourrait imaginer. Alors c’est trop chouette de partir avec un groupe, faire leurs premières parties mais à la fin de la journée, tu n’as pas tous les jours la chance d’avoir quelqu’un avec qui discuter réellement. Tu te retrouves souvent seul face à tes pensées, à tes questionnements. Après voilà, ça passe ! Hier par exemple, on avait la journée de off. J’ai pris le temps de me recentrer et de prendre un peu de temps pour moi ! Ce matin, tout était déjà derrière moi. Ça fait du bien parfois de prendre une journée pour te reconnecter ! Puis ce matin, je me suis lancé à la recherche de mon rituel flatwhite / banana bread (rires). Le tout sous le soleil bruxellois. Plutôt pas mal non ? J’essaye toujours de garder dans un coin de ma tête qu’en fin de compte, peu importe ce qu’il se passe, tout ira bien.
LVP : En 2016, tu sors Lowdown, Lay It On, ton premier morceau sous Hazlett. À ce moment-là, c’est la première fois que tu te mets à nu émotionnellement.
Hazlett : C’était l’un des moments les plus stressants de ma vie ! On me demande souvent mon morceau préféré. Pour beaucoup, le morceau le plus « connu » ou écouté serait la réponse évidente mais en réalité, Lowdown, Lay It On restera pour moi le morceau le plus important. J’avais peur du moment où les gens allaient entendre ma voix pour la première fois ! Le fait de se dévoiler aux autres, c’est ça le plus stressant. En fait, la pression je me la suis mise tout seul en pensant que si ce morceau ne fonctionnait pas, j’étais qu’un loser. Aujourd’hui, avec le recul et après avoir sorti un premier album et quelques EP, c’est la dernière chose qui me vient en tête (rires). Après, le besoin que j’ai au fond de moi que ma musique fonctionne et parle aux personnes qui l’écoutent, lui, est toujours là.
LVP : Aujourd’hui, tu viens de sortir Bones Shake, le premier single de ton prochain EP. C’est un sentiment que tu ressens encore aujourd’hui quand tu nous dévoiles tes morceaux ?
Hazlett : C’est toujours aussi stressant en réalité. Alors j’avoue, ça l’est moins qu’au début vu que je vois le nombre de personnes qui écoutent ma musique aujourd’hui, mais ça reste tellement quelque chose de fort. Je ne savais pas si quelqu’un allait réellement écouter ma musique en 2016. Aujourd’hui, c’est plus le cas et j’en suis tellement reconnaissant. Je pense que cette peur venait aussi du fait que j’ai commencé la musique assez tard, vers 26-27 ans. Ce qui a rajouté au stress déjà bien présent. Il fallait que ça prenne directement. J’avais pas trop le choix. Après, le stress est tout autant bénéfique parfois. Il te permet de rester actif et attentif en permanence. On va dire qu’il ne m’empêche plus de dormir (rires).
LVP : Un an après la sortie de Lowdown, Lay It On, on te découvre encore un peu plus sur ton premier EP. Tu dirais que c’est ce premier long format qui a créé l’univers Hazlett et qui a lancé toute cette aventure musicale ?
Hazlett : En fait, Honey, Where Is My Home représente à merveille ce truc de « bonjour, voilà qui je suis et ce que je fais comme musique ». À l’époque, je passais pas mal de temps en Suède à écrire et enregistrer un peu comme je le sentais. C’est la première fois où je me suis réellement posé pour assembler tous ces morceaux et les faire résonner ensemble. C’est un EP plus de découverte on va dire, une bonne représentation de qui je suis en tant qu’artiste. Pourtant, j’ai écrit mon deuxième EP bien avant le premier. J’avais du mal à terminer Monsters. C’est un morceau que j’adorais mais je n’arrivais pas à le terminer sans trop savoir pourquoi. C’est aussi pour ça que j’ai voulu sortir Honey, Where Is My Home avant. Je voulais partir d’une page blanche remplie d’espace à combler. Et pour ce faire, je voulais d’abord mettre le côté plus électronique de côté.
LVP : Et cette période-là, c’est avant ou après t’être fait virer du pub dans lequel tu chantais parce que ton patron ne voulait pas que tu fasses tes propres morceaux ?
Hazlett : C’était après (rires). J’ai commencé à jouer de la basse dans un groupe pendant un petit temps. Quand le groupe s’est arrêté, je suis rapidement rentré chez moi. J’ai commencé à jouer dans quelques pubs mais à un moment, jouer les mêmes covers continuellement, c’est marrant deux minutes. J’ai commencé à écrire mes propres morceaux et à les jouer un soir dans ce pub en question. Le patron, qui était là ce soir-là, n’a pas aimé mes morceaux et à dit au manager de ne plus m’engager (rires). Sur le coup en réalité, j’ai arrêté la musique. Ça fait mal quand tu y penses. J’en pouvais plus. J’ai fini par faire un stage dans une agence publicitaire pour avoir le graal du « job à temps-plein » dont tout le monde « rêve ». La voie facile donc, la vie d’adulte selon un grand nombre de personnes. C’est ma mère qui a remarqué que j’étais pas heureux, je ne m’épanouissais pas du tout là-dedans. C’est elle qui m’a convaincu de retenter l’expérience. Et me voilà (rires) !
LVP : Il ne devait pas imaginer que quelques années plus tard, tu ouvrirais pour Lany à travers les stades américains (rires). Ces dernières années, tu as fait pas mal de route avec des artistes de renom. Tu dirais que ces expériences ont aussi forgé la manière dont tu conçois ta musique aujourd’hui ?
Hazlett : En fait, avant de pouvoir faire la première partie de ces artistes je suis juste un énorme fan de base (rires). Durant la création de mon second EP, Thundering Hopes, dont on parlait plus tôt, j’étais à fond sur Lany. Musicalement comme humainement, ce sont des personnes que j’adore depuis toujours. Je pense que le fait de vouloir mélanger mon univers très acoustique à ces sonorités plus électroniques je vais dire, vient de là aussi. J’ai toujours aimé mélanger plusieurs idées, plusieurs univers, les coller et voir comment ils fonctionnent entre eux. Je suis un grand fan de mood board ! Avant d’être musicien, j’étais designer graphique, c’est de là que j’ai appris cette manière de tirer son inspiration un peu partout je pense. D’aller puiser ces inspirations pour les imbriquer à ton univers et créer tes propres idées. Pour moi, c’est exactement la même chose en musique.
LVP : Je suppose qu’à l’époque, tu n’imaginais pas pouvoir un jour partir en tournée avec ces artistes que tu écoutes et admires depuis toutes ces années.
Hazlett : Absolument pas non ! Tu sais, avant l’année dernière, je passais mon temps à frapper à des centaines de portes, à envoyer des centaines de messages à une multitude d’artistes leur proposant d’ouvrir pour eux. Des messages qui, pour la majeure partie, restaient sans réponse. Puis tu reçois une réponse et six mois plus tard, tu reçois une seconde réponse. C’est un processus très long. Puis là cette année, j’ai jamais eu autant de dates que ce que j’ai cette année tu vois. On m’a demandé récemment quel était mon plus grand talent. Et le truc, c’est que je ne me vois pas vraiment comme quelqu’un de talentueux. J’ai par contre répondu que ma plus grande qualité est que je ne baisse jamais les bras. Je connais pas mal d’artistes de mon âge qui se sont lancés dans la musique avant de vite abandonner le business pour se lancer dans le schéma habituel. Après, je suis conscient que la vie que je mène qui oscille entre composer et partir en tournée possède à la fois des aspects positifs autant que négatifs mais tu vois, j’en ai toujours rêvé. Le négatif fait aussi partie du jeu et de ce mode de vie-là. Il existe tellement d’artistes incroyables qui luttent en permanence pour leur art. Le fait d’avoir eu cette première réponse, cette chance-là je vais dire, fait que je suis encore plus reconnaissant de ce qui m’arrive aujourd’hui.
LVP : Tu fonctionnes beaucoup avec cette idée du « tout arrive pour une raison » d’ailleurs ?
Hazlett : Ça remonte à pas mal d’années ça. Je devais avoir 18 ou 19 ans quand un ami à moi m’a offert cette carte d’anniversaire avec cette phrase écrite en grand (rires). En fait, sans trop le réaliser, c’est quelque chose qui m’a pas mal marqué. Depuis, cette carte reste bien au chaud dans mon étui à guitare et me suit un peu partout dans le monde. J’adore cette idée qu’une porte s’ouvre automatiquement dès qu’une autre se ferme. Ça me permet de garder un minium de positivité quand les choses deviennent plus challengeantes.
LVP : Plus le temps passe, plus ton public grandit. Tu joues devant des centaines de personnes tous les soirs. Pourtant, tu te décris comme “quelqu’un de timide qui a du mal à se sociabiliser quand il est face à un grand groupe de personnes“. Être vulnérable comme ça face à tant de personnes, c’est pas trop compliqué ?
Hazlett : Je pense qu’il y a de ça quelques années, j’ai eu comme un déblocage. J’étais quelqu’un d’assez stressé dans le passé. Je le suis toujours, surtout avant de monter sur scène mais avant c’était à l’extrême. Le genre de stress où tu te cognes au micro, où tu fuis les gens du regard, etc. En fait, ça va sonner égoïste mais ce déblocage est venu quand j’ai décidé de ne plus chanter pour impressionner les autres. De chanter pour moi avant tout. Je me suis concentré sur l’histoire de ces morceaux, sur les raisons pour lesquelles je les ai écrits. Et ce qui est plutôt fou, c’est que c’est à ce moment-là que les gens ont commencé à réellement se connecter avec ma musique en live. Depuis, dès que je rentre sur scène, je suis vraiment dans ma tête, dans mon monde. Ce qui a commencé comme un mécanisme de défense, une couverture de sécurité, est en réalité devenu la seule manière pour moi de jouer mes morceaux sur scène ! Du coup aujourd’hui, j’essaye de ne plus trop réfléchir à combien de personnes sont dans la salle, même si j’avoue c’est pas toujours facile (rires). Certaines soirées sont plus dures que d’autres et la nervosité prend le dessus mais je fais de mon mieux.
LVP : Sur les réseaux sociaux, tu as une assez grosse communauté. Instagram notamment où tu parles ouvertement de tes émotions, de ta musique à venir, des hauts et des bas. On voit aujourd’hui que c’est de plus en plus commun pour les artistes mais d’oser s’ouvrir comme tu le fais reste assez rare. Ça nous permet en tant qu’auditeur·ice de nous connecter encore plus aux histoires que tu veux nous raconter. C’était quelque chose d’important pour toi, cette connexion avec ton auditorat malgré cette timidité dont on parlait plus tôt ?
Hazlett : Quand même oui. On en parlait plus tôt mais les tournées en solo ne sont pas toujours aussi joyeuses que ce qu’on pense. Le fait de partager tout ça sur les réseaux sociaux me permet aussi de recevoir toute l’énergie et le soutien qui manquent au même moment, avec les centaines de messages et de réponses que je reçois. Si ça fait sens ? Pendant des journées comme hier où j’avais vraiment mon moral au plus bas, le fait de recevoir ce message me disant « hey, ton morceau m’a beaucoup aidé à remonter la pente après ma rupture, merci pour tout » ou ce genre de choses, ça peut tout changer. Je dirais que les réseaux sociaux peuvent être à la fois le pire endroit mais en même temps, le meilleur. Ils prennent plus d’énergie qu’ils en donnent, c’est clair. Mais ils m’ont apporté tellement de jolies choses au fil du temps que j’en suis arrivé au point où toutes les connexions que j’ai pu y faire, les premières parties que j’ai réussi à avoir, c’est aussi grâce à eux. J’essaye d’y mettre pas mal d’énergie, même si c’est souvent épuisant. Je préfère faire tout ça que ne rien faire du tout et le regretter dans quelques années. C’est aussi ma manière de rendre la pareil à toutes les personnes qui se sont connectées d’une manière ou d’une autre à ma musique, à mon univers.
LVP : En tournée, tu vois une ville par jour en moyenne. Pourtant, la nature semble avoir une place assez importante dans ton processus de création, dans ton inspiration aussi. Comme une safe place où tu te réfugies quand tu en ressens le besoin. Tu la décrirais comment cette relation avec cette nature ?
Hazlett : C’est surtout quelque chose qui me suit ces derniers temps. Au début, j’ai beaucoup été influencé par les grandes villes, leurs activités et leur rapidité. Par le voyage. Je visitais New York pour la première fois à l’époque par exemple, c’est presque impossible de ne pas se laisser influencer par cette ville. Je voyageais pas mal, je visitais ces grandes villes et j’en profitais pour écrire en même temps. J’ai fini par avoir cette influence très métropolitaine je vais dire. J’ai donc réalisé que c’était l’espace qui m’entoure en tant que tel qui m’inspirait. Une grosse ville en pleine effervescence autant qu’un studio. L’année passée, j’ai réalisé que j’en avais assez du studio où on enregistre tout depuis des années avec Freddie. Je sais pas comment l’expliquer mais j’étais plus inspiré, plus aucune idée ne sortait de ma tête. J’étais coincé. C’est à ce moment-là que je lui ai proposé de faire la chose la plus commune en folk qui consiste à s’enfuir dans une cabane dans les bois (rires). On est arrivés dans ce chalet et on y a installé ce petit studio. Et c’est là que tout a commencé à revenir. C’est à ce moment-là que j’ai compris que c’était vraiment la diversité des endroits qui m’inspire le plus. Puis j’ai eu la chance de voyager encore plus, de visiter toujours plus d’endroits, d’aller encore plus loin. Ce qui fait que j’ai commencé de plus en plus le besoin de reconnexion justement. J’adore la nature, me balader en pleine forêt et écrire. Il y a quelque chose de tellement apaisant. Quelque chose qui me donne ce sentiment de nouveauté à chaque fois je dirais. C’est devenu l’endroit qui me procure le plus de bien, le plus de calme en parallèle à la rapidité que la vie me procure aussi aujourd’hui. La nature me permet de me déconnecter et de me reconnecter en même temps. Je dirais que c’est la phase dans laquelle je suis entré récemment dans mon processus créatif et qui m’apporte vraiment le plus de positif.
LVP : Ce besoin de déconnexion, c’est le point de départ de ton récent Bones Shake non ?
Hazlett : Clairement ! Je dirais que le processus de Bones Shake a été assez naturel. Ce qui fait sens avec ce dont on a parlé et la phase créative dans laquelle je suis actuellement. J’y avais jamais trop réfléchi avant qu’on en parle mais pour le coup, ça fait sens ! Je pense que c’est clairement son point de départ !
LVP : Tu parlais plus tôt de l’enregistrement de Goodbye to the Valley Low, ton dernier EP sorti fin 2023. C’est quoi l’histoire derrière ce titre ?
Hazlett : En janvier de la même année, j’ai sorti mon premier album, Bloom Mountain. C’est un album qui m’a pris deux ans à faire et qui m’a épuisé je dirais. Je me poussais pour terminer cet album, garder la même énergie en permanence, mettre en place toutes les idées que j’avais envie d’y mettre. Quand j’y repense, c’est une expérience qui s’est étalée sur une sacrée période de temps. À sa sortie, je n’ai pas célébré la sortie comme je le pensais. C’est là que j’ai eu ce besoin de partir me reconnecter à moi-même. Cet album, c’était comme avoir genre invité plein de gens chez moi tout en étant l’introverti. C’est un sentiment assez particulier. Puis, imagine quand toutes ces personnes partent. J’étais à la fois content parce que je me retrouvais dans mon cocon de nouveau mais en même temps, déjà nostalgique du moment gorgé d’énergies. Pour continuer dans la métaphore, disons que si Bloom Mountain était une grosse soirée, Goodbye to the Valley Low représente le moment où tout le monde part, quand il ne reste plus que toi dans ce salon vide et où tu peux de nouveau être toi-même. J’aime bien cette idée de continuation.
LVP : Quand on écoute Goodbye to the Valley Low, on ressent d’ailleurs très fort ce caractère très authentique, très brut des sonorités. C’est quelques chose que tu avais en tête ou qui est venu plutôt naturellement aussi ?
Hazlett : Quand Bloom Mountain est sorti, j’avais vraiment peur que personne ne l’écoute. Peur et anxieux parce que bon, je venais de passer deux ans dessus quand même. C’est énormément de temps. Ce soir-là, je me suis assis à la fenêtre de mon appartement, j’ai accordé ma guitare puis je sais pas trop mais j’ai eu comme une montée d’inspiration. À la fin du week-end, j’ai eu envie de partir enregistrer une petite collection de six ou sept morceaux. Ça fusait d’idées dans ma tête ! C’est là que j’ai appelé Freddie, je lui ai dit « écoute, il faut qu’on aille enregistrer ces morceaux, vite ». Je voulais plus le faire en studio, j’avais besoin d’autre chose. Je lui disais qu’il fallait qu’on parte vite parce que j’étais sur une bonne vague d’inspiration (rires). C’est là qu’on est partis, préparés et avec un certain objectif. L’objectif d’enregistrer ces morceaux avec cette authenticité du moment, loin des deux ans que m’a pris Bloom Mountain. Je voulais plus passer autant de temps sur chaque mini détail, trop réfléchir à toutes ces choses dont on a pas forcément besoin. C’est comme si on s’interdisait de prendre le temps finalement. Et finalement, on a enregistré des morceaux qui résonnent encore plus authentiques qu’avant et j’ai adoré ça. Pour la première fois, je prenais un peu de recul sur le côté très minutieux que j’avais pour l’album. C’était un processus assez libérateur finalement et surtout très honnête, dans tous les sens du terme.
LVP : Cette honnêteté brute dont tu parles, on peut dire que c’est un peu l’essence de ta musique ?
Hazlett : Je dirais même que ça l’est de plus en plus au fil des sorties. Je venais à peine de me mettre à la musique, ou du moins au chant, quand j’ai sorti Lowdown, Lay It On. Beaucoup de choses ont évolué. Pas dans le caractère « vrai » des morceaux je dirais mais plus dans leur construction, dans la manière dont ils sonnent. On en parlait plus tôt, à l’époque je ressentais ce besoin d’écrire pour faire plaisir aux autres, écrire ce que les autres voulaient écouter. Aujourd’hui c’est tout l’inverse ! J’écris ce qui moi me procure le plus de bien et ce, à tous les niveaux. Plus j’écris, plus je compose et plus j’enregistre les morceaux avec cette idée, plus j’explore ce côté naturel en fait.
LVP : Quelque chose que tu ressens dès le début de ton processus créatif ?
Hazlett : Je pense bien. J’ai jamais réellement eu énormément confiance en moi. Du coup, au plus je me force à tendre vers ce dont on parlait – ce qui est loin d’être facile –, au plus j’arrive à atteindre cette authenticité, ce côté très organique dans ma musique, dans mes mots. Et je sais pas trop comment mais ça me procure un peu plus de confiance en moi au fil du temps – et des sorties. Et j’essaye de m’accrocher le plus possible à cette idée parce que ça entretient et favorise surtout ces sentiments-là de confiance et de libération.
LVP : Cette confiance dont tu parles, elle est importante. On a souvent du mal à s’y accrocher. Souvent, on ne peut pas s’empêcher de se comparer aux autres, que ce soit dans la manière dont on compose créativement, dont on écrit, dont on s’inspire aussi. Sur ce sujet, Rick Rubin dit que « si on se ressemblait tous, notre art ne résonnerait pas de la même manière et serait privé d’âme. On est tous différents et c’est justement dans nos imperfections qu’on trouve notre singularité ». C’est quelque chose qui résonne un peu avec ta manière de penser si l’on en croit ta biographie, le fait que tu adores toutes les personnes créatives mais que tu les jalouses autant qu’elles t’inspirent.
Hazlett : Rick Rubin a toujours les bons mots, j’adore ce livre (rires). Blague à part, ça résonne clairement avec ma manière de penser oui. La première fois qu’on m’a demandé d’écrire une biographie pour les plateformes, c’était la page blanche. Qu’est-ce que c’est compliqué ! (rires). J’ai donc commencé à écrire sur moi selon ma propre perspective. J’avais envie de mettre de côté ce besoin qu’on a tous de vouloir impressionner les autres constamment. Je voulais être honnête. De la comparaison, on en parle souvent avec d’autres artistes (rires). Quand Bon Iver sort un morceau par exemple, tu te dis « ah ouais, il a recommencé » tellement c’est magnifique (rires). Puis tu doutes de toi. C’est ça qui est fou, parce que ce genre de choses peuvent à la fois te donner envie de tout arrêter et en même temps te donner la motivation de tout faire pour y arriver. Puis pas forcément qu’avec des grands groupes, j’ai la même chose avec Royal Otis ! Je les adore. Récemment j’ai eu la même réaction avec un de leurs morceaux. C’est constamment ce sentiment d’aller-retour. Ça garde notre motivation éveillée. Et je pense qu’être honnête avec ma musique est ma manière d’y arriver. J’ai vu certaines personnes se montrer comme ils ne sont pas. Vu de l’extérieur, ça me paraît tellement exténuant. Si je dois être exténué, je préfère l’être en étant honnête.
LVP : Ton morceau Slow Running explore ce besoin qu’on ressent de devoir protéger nos émotions. Tu penses que faire de la musique te permet de comprendre et digérer tes propres émotions ?
Hazlett : Pour le moment, je me laisse un peu porter par l’inspiration, sans trop y faire attention. Mais avant ça, c’était vraiment des morceaux plus intimes et personnels oui. J’avais le besoin de gérer mes émotions à travers la musique. Après, tous mes morceaux démarrent d’une émotion ou de quelque chose que j’ai vécu.
LVP : J’ai une dernière citation avec laquelle je pense, tu es familier. David Jones, un poète britannique, a écrit que ressentir les choses aussi intensément est en même temps une malédiction et une bénédiction. Pour pas mal de personnes, c’est perçu comme quelque chose de triste, de négatif parfois, cette mélancolie constante. Pour d’autres, c’est la plus belle des choses. On peut dire que ta discographie est remplie de mélancolie. Tu la décrirais comme toi, ta relation à la mélancolie ?
Hazlett : J’adore ça. Je pense que la mélancolie et la nostalgie sont deux notions qui se ressemblent et se complètent d’une certaine manière. Pour certaines personnes, je pense que la tristesse est vue comme inconfortable vu qu’elle fait remonter quelque chose d’enfoui profondément. Alors que pour d’autres, c’est loin d’être inconfortable justement. Je reçois pas mal de messages me disant « oh, j’adore les chansons tristes » (rires). En réalité, ces morceaux peuvent paraître tristes, je l’avoue. Mais pour la majeure partie d’entre eux, il est pas question de tristesse, au contraire. C’est ma manière de process les choses, comme on en parlait plus tôt. Au final, chaque morceau représente le souvenir d’un moment, d’une émotion. Un souvenir de la manière dont j’ai réussi à gérer cette émotion justement. Pour moi, c’est vraiment l’opposé de quelque chose de triste. Je pense qu’il y a une certaine nuance à avoir entre être triste et être mélancolique, nostalgique. Je comprends ce sentiment de tristesse que peuvent ressentir certaines personnes mais je considère pas la finalité de la mélancolie comme de la tristesse.
Toujours au premier rang d’un concert par amour mais surtout parce que je suis le plus petit. Je fais de la mélancolie mon principal outil.