Indigo De Souza, créer entre la lumière et l’obscurité
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Auteur·ice : Chloé Merckx
04/05/2023

Indigo De Souza, créer entre la lumière et l’obscurité

Pour Indigo de Souza, la solitude a ce pouvoir magique de cultiver en elle une poésie profonde et cash. Pourtant, le successeur du puissant Any Shape You Take dévoile une facette plus optimiste de l’artiste, une lueur de chaleur qui témoigne du tournant positif qu’a pris sa vie. All Of This Will End est le troisième album de l’artiste américaine et probablement son projet le plus abouti. On y retrouve une sélection de chansons aussi brutes que sentimentales, se rattachant chacune à des moments résonnants dans sa vie.

Elle nous emmène en voyage dans sa mémoire, entre ses souvenirs d’enfance qu’elle raconte dans The Water aux journées chaudes du confinement avec Smog. Mais cet éveil philosophe ne nous prive pas des cris de désespoir, avec un Always cathartique retraçant sa relation épineuse avec son père et une ballade aux airs presque country Younger and Dumber. Dans son ensemble, All Of This Will End nous emmène voyager sur des routes imaginaires, quand le soleil tape sur le pare-brise et que les cactus défilent. Cet album est un concentré de sentiments, dépeints en couleurs pastel sur un fond de magie. En bref, un petit bijou qui mêle feminine rage et pop nostalgique pour le plaisir des hippies modernes que nous sommes. 

C’est dans un espace-temps particulier que se déroule notre interview avec Indigo de Souza, c’est encore le matin en Caroline du Nord alors que chez nous les derniers rayons du soleil transpercent la grisaille. Indigo allume la caméra de son ordinateur, laissant entrevoir la lumière rouge de sa chambre. Posée sur le sol, jambes croisées, l’artiste nous accorde quelques paroles sur son dernier projet, ses créations et son chemin vers la guérison.

© ANGELLA CHOE

 

La Vague Parallèle : Hello Indigo, merci de nous accorder cette interview !

Indigo De Souza : Aucun souci !

LVP : All Of This Will End sort dans quelques semaines, comment te sens-tu par rapport à cette sortie ? 

Indigo : Je suis super excitée, ça fait un petit moment qu’on s’y prépare, à peu près un an. J’ai vraiment hâte et en même temps je ne réalise pas trop, tout cela va très vite.

LVP : Est-ce que tu es dans le même état d’esprit que pour tes sorties précédentes ? 

Indigo : Non pas du tout. Cette sortie me paraît différente, simplement parce que les différentes phases de ta vie te procurent des sensations différentes et que je suis très clairement dans une phase différente que pour mes albums précédents. Cet album vient d’un espace différent, ma vie est différente donc le fait de sortir ces chansons est un sentiment vraiment nouveau de tout ce que j’ai pu connaître.

LVP : On imagine que tu dois avoir hâte de jouer toutes ces chansons live.

Indigo : Oui on vient de commencer à jouer quelques-unes de ces chansons à des shows et c’était vraiment fun. Et puis j’ai quelques nouveaux membres dans le groupe, l’un d’entre eux joue du violon donc le band en lui-même a une tout autre vibe. Tout est nouveau et c’est très excitant.

LVP :  Comment ces changements dans la configuration de ton groupe ont impacté le son final de l’album ? 

Indigo : Depuis le début, j’ai eu trois changements majeurs dans les membres de mon groupe. Pour I Love My Mom et Any Shape You Take j’avais un groupe complètement différent. Pour All Of This Will End, on a composé ensemble avec le groupe qui a tourné avec moi ces derniers mois, Dexter, Avery, Zach et moi. On a enregistré l’album ensemble quand on a commencé à se préparer pour la tournée et puis on a intégré deux nouveaux membres pour donner vie à ces chansons et ces nouveaux membres seront impliqués dans le prochain album.

C’était nécessaire de faire quelques changements mais à présent je suis contente de pouvoir me poser avec les mêmes personnes pour un petit bout de temps et de pouvoir grandir avec eux. Je pense que la formation qu’on a maintenant va devenir une belle famille.

Indigo De SouzaLVP : En parlant de famille, les covers de tes albums sont peintes par ta maman, est ce que c’est chouette de travailler avec elle sur la création visuelle de tes albums ? 

Indigo : Oui ! En général je lui donne une idée de la scène à laquelle je pense et après elle se lance. C’est fun de la regarder ajouter sa touche personnelle sur mes idées et j’adore ce qu’elle fait. Elle est toujours frustrée quand elle peint parce qu’elle est perfectionniste et elle est toujours inquiète que le rendu final ne soit pas bon. Mais elle est plus douée que ce qu’elle pense. (rires)

LVP : Est-ce qu’il y a un fil rouge entre les trois pochettes qu’elle a peintes ? 

Indigo : Peut-être… je ne suis pas sûre qu’il y ait vraiment une histoire. Bien sûr ce sont les mêmes personnages à chaque fois et ils vieillissent et grandissent au fil des albums. Je ne suis pas sûre qu’il y ait vraiment une histoire derrière mais on pourrait en faire une. (rires)

LVP : Ton identité visuelle est vraiment unique et fort travaillée, est-ce que tu prends autant de plaisir à peaufiner ton esthétique qu’à travailler la musique ? 

Indigo : Oui j’adore travailler l’aspect visuel de mon art ! Dans le passé je n’avais pas beaucoup confiance en moi à ce niveau-là mais avec cet album-ci et toute la promo qui l’entoure, j’étais assez fixée sur ce que je voulais visuellement. Je me suis beaucoup amusée à créer ces visuels de manière intentionnelle, avec un message qui me correspond. Et même avec la merch, j’ai commencé à y incorporer mes propres dessins, mes mantras, des citations, et ça me semble plus personnel. Cela a un sens plus profond que quand je proposais des t-shirts qui avaient juste mon nom inscrit dessus. J’aime que les gens puisse se procurer un petit morceau de mon art qu’une simple pièce de merch. Et avec les vidéos aussi, c’est la première fois que je réalise des clips moi-même et j’ai vraiment aimé rendre ces clips plus personnels, étant donné que la musique était fort personnelle aussi.

 

LVP : En parlant de clips, tu as dévoilé une vidéo pour Younger and Dumber que tu as dirigée toi-même, comment s’est déroulée cette expérience pour toi ?

Indigo : C’était assez fou. Je ne sais pas si vous l’avez lu quelque part mais j’avais pris des champignons pour le tournage, donc j’étais en plein trip pendant qu’on filmait. Cette expérience était plutôt intéressante parce que le travail de réalisation était fait en amont. Toutes les directions étaient préparées avant que j’arrive sur le set ainsi que les décors, l’éclairage… Tout le monde a été très respectueux de mon espace, on a mis de la musique sur laquelle j’aimais danser et j’ai improvisé mes mouvements. En est ressorti quelque chose de très beau, en adéquation avec ma vision.

C’était assez surprenant parce que cela paraissait un peu sauvage, personne n’avait jamais tourné un clip de cette manière auparavant et c’était assez courageux de la part de tout le monde de me suivre dans mon idée. (rires)

LVP : Et ton costume était incroyable également !

Indigo : Merci, on l’a fait ensemble moi et ma mère, puis une amie à moi a fait le masque, c’était chouette de porter ces pièces faites par des gens que je connais, et de danser sur ce set construit par ma mère et mes amis. C’était très particulier de mettre la main à la pâte plutôt que d’arriver sur un set déjà tout fait. Tout sortait de mes mains et de mon esprit.

LVP : Et justement pour le clip de You Can Be Mean c’était aussi une réalisation vachement DIY, mais pour le coup c’est un changement d’ambiance radical.

Indigo : Oui, au début on était parti·s sur quelque chose d’un peu plus travaillé avec plus de gens impliqués dans le processus, mais je n’ai pas eu l’occasion de mettre tout ça en place et très honnêtement on n’avait pas vraiment de budget. Donc j’ai juste décidé de tout faire toute seule chez moi avec mon téléphone (rires). J’avais justement ma maison pour moi toute seule ce mois-là donc j’ai couru dans tous les sens avec ce mannequin. Si quelqu’un m’avait vue, je serais sûrement passée pour une folle (rires).

 

LVP : Il y a beaucoup de nouvelles sonorités dans cet album, tu sembles avoir exploré plus de styles et d’influences, est-ce que c’est difficile pour toi d’avoir confiance en tes choix créatifs ? 

Indigo : Je pense que c’était plus le cas dans le passé, mais pour cet album je me suis sentie très en confiance et capable. J’avais une vision très claire et j’ai l’impression que j’ai vraiment composé de la manière dont j’avais envie d’interagir avec l’enregistrement.

Mes guitaristes Dexter et Alex qui ont co-produit avec moi ont été d’une aide précieuse et ça a été génial de travailler avec eux. C’était très facile parce qu’ils comprenaient ce que j’avais en tête.

LVP : Sur cet album, certaines chansons paraissent plus pop voire joyeuses que ton travail précédent. Est-ce que tu as l’impression d’avoir exploré musicalement une autre facette de tes influences ou de ta personnalité ? 

Indigo : D’une certaine manière oui, je pense que ce qui s’est passé c’est que je suis à une étape différente de ma vie, avant j’avais un autre groupe d’ami·es, je ne faisais pas les mêmes choses, je me retrouvais parfois à zoner dans d’autres espaces et je pense que ma vie d’avant avait juste plus d’obscurité.

Ma vie maintenant a plus de lumière, l’obscurité est toujours présente mais elle joue plus avec cette lumière alors qu’avant j’avais tendance à romantiser le noir, parce que c’était ce que mon entourage faisait. C’est assez difficile pour moi d’expliquer mon processus d’écriture ou comment ça se passe, je ne cherche pas toujours à savoir pourquoi quelque chose a changé, mais j’essaye de deviner (rires).

LVP : Tu traduis en musique les émotions que tu canalises ? 

Indigo : Oui c’est ça. Souvent j’écris des chansons sur des évènements qui se sont déroulés dans le passé, quand moi-même j’ai dépassé un certain stage. Tu arrives mieux à identifier le processus de ce qui s’est passé dans ta vie. Mais quand je suis en plein milieu de quelque chose, c’est plus difficile de le digérer et je n’écris pas de manière consciente.

C’est drôle parce que une grosse partie de ce qui est sur cet album est en effet plus joyeuse, mais il y a aussi des moments plus dark et même si je ne traverse plus ces choses en ce moment, c’est très précieux pour moi de pouvoir regarder mon évolution.

LVP : Avec ces chansons, on ressent beaucoup que tu essayes d’aller de l’avant et de laisser le chaos derrière toi.

Indigo : Oui totalement. La plupart des chansons ont été écrites pendant la pandémie, j’étais assez isolée, je vivais seule et j’essayais de m’éloigner de plusieurs amitiés qui me nuisaient. Je ne m’étais pas sentie aussi seule depuis un bon bout de temps. Je pense que dans cette phase d’isolation j’étais plutôt triste et je n’arrivais pas à faire des choses bénéfiques pour moi.

Et puis je m’en suis sortie et je suis arrivée dans une phase de self-love, j’ai réalisé que je devais faire confiance à ma propre boussole et me reconnecter avec moi-même. Quand c’est arrivé, j’ai recommencé à écrire pas mal de chansons et une grande partie de l’album est ressortie de cette période. Après je me suis sentie mieux, je me suis faite de nouveaux amis et je suis entrée dans une des meilleures phases de ma vie.

Et puis j’ai enregistré l’album quand je me sentais vraiment bien, entourée par une communauté que j’adore. Donc je pense que cette chaleur et cette énergie que j’ai rencontrées durant la pandémie se sont glissées dans le son de l’album.

LVP : Est-ce-que l’écriture t’as permis de guérir d’une certaine façon ? 

Indigo : Oui, c’est toujours le cas. Je souffre de dépression et d’anxiété et quand j’ai une crise, c’est très dur pour moi d’écrire quelque chose ou de m’y intéresser. Mais dès que je m’y mets, je me sens mieux directement. C’est un peu comme quand on essaye de sortir du lit (rires). M’asseoir avec ma guitare et chanter, c’est parfois un défi.

LVP : Comment tu vis la connexion que tu peux avoir avec un public qui comprend le sens de tes chansons? 

Indigo : Ça fait vraiment du bien. J’ai toujours été quelqu’un qui aime partager, j’adore le fait que quand tu partages quelque chose qui vient de ton cœur, les gens te rencontrent là, dans cet espace. J’ai toujours aimé ça, quand on est vraiment honnête avec quelqu’un tout s’adoucit et ça permet de rendre les choses plus confortables pour que la rencontre se passe. Donc j’ai toujours apprécié ce que des chansons permettent d’accomplir à ce niveau-là. J’aime les conversations que ça peut démarrer, que ce soit entre moi et l’auditeur·ice, ou l’auditeur·ice dans sa propre vie.

LVP : Il y a beaucoup de vibes différentes sur cet album, Younger and Dumber est plus mélancolique, Wasting Your Time est plus punchy et Smog est carrément pop. Comment tu as réussi à rassembler ces ambiances différentes dans un ensemble cohérent ? 

Indigo : Je ne sais pas trop, je pense que ce qui rend cet ensemble cohérent est le fait qu’elles viennent de moi. Donc même si musicalement elles sont différentes, elles viennent d’un même cerveau. Parfois quand je prépare une album je me demande si l’ensemble va être cohérent, parce que c’est parfois un gros bordel (rires). Mais d’une certaine manière ça fonctionne. C’est un spectre d’émotions qui viennent de la même personne.

LVP : Maintenant que tu es dans une phase de ta vie plus épanouissante, comment envisages-tu ton futur ? 

Indigo : (rires) J’ai beaucoup d’espoir et de rêves dans ma vie perso qui sont de renforcer mes relations avec la nature, avec mes ami·es, ma communauté et de continuer à créer et apprendre. Et puis pour ma carrière, j’ai déjà l’impression d’avoir accompli pas mal de choses, j’espère juste que ça continue et que ça continue à avoir du sens pour moi. J’espère avoir de plus en plus de connexions avec les gens et de construire une communauté avec les gens qui s’intéressent à mon art. Je suis juste très reconnaissante pour tout ce que j’ai l’opportunité de faire et de pouvoir vivre ma passion.

LVP : Merci Indigo pour ce moment ! 

Indigo : Pas de problème, c’était très chill.


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