Istiqlal, la brûlante déclaration d’indépendance de S DIAMAH
"
Auteur·ice : Joseph Lanfranchi
19/11/2021

Istiqlal, la brûlante déclaration d’indépendance de S DIAMAH

Après avoir retourné nos cœurs jusque dans notre sommeil, fait briller nos yeux sous les stroboscopes et danser au ralenti les nuits de pleine lune au sein d’Opale, le duo dark-disco le plus obsédant de tout l’hexagone, Sophia Hamadi brise ses chaînes et s’envole. Direction l’Algérie où elle enregistre en 2019 des bribes du Hirak qui soulève le peuple. Deux ans plus tard, elle sort Istiqlal, un premier EP cathartique et flamboyant qui invoque l’infinie puissance libératrice du son et renvoie dos à dos la musique et la vie.

Entre-temps, la musicienne franco-algérienne abandonne les couplets funéraires, les vocaux d’outre-tombe et les kicks lancinants. À ses côtés demeure la poésie des compositions, la justesse des arrangements et une mélancolie qui confine souvent au sacré.

On ne sait pas très bien pourquoi, mais les trois pistes de son premier EP nous sont tout de suite précieuses ; rares expériences qui survolent les obstacles et trouvent le chemin le plus court vers nos émotions. Immédiatement proches. Comme ces ami.e.s qui franchissent dès les premiers mots échangés la barrière de notre intimité et s’y épanouissent avec naturel et aisance, qui connectent nos esprits en une seule phrase et entrent en résonance avec nos pensées. Sans jamais bousculer nos sens, en une réelle symbiose, pour un instant d’apaisement, de calme et de joie.

S DIAMAH concentre en trois morceaux l’énergie d’un peuple, l’inertie d’un mouvement qui la dépasse, qui nous dépasses tous.tes. La poésie accroche la réalité et si le choc est brutal elle s’avère finalement plus dure et plus résistante. Alors elle brise les lignes fatales du destin, éclate le miroir sans tain de l’évidence, traverse les certitudes et transfigure le réel.

 

Plusieurs personnes chantent, crient peut-être, sans doute les deux, on ne sait pas trop. Les mains claquent entre elles, paume contre paume, en un cercle qui s’amplifie et propage une tension électrique. L’atmosphère crépite de leur énergie et résonne de leurs appels, prières et avertissements.

Lentement le rythme s’affole, les beats endiablés jubilent, les synthés triomphent, les boîtes à rythmes exultent et de leur transe émerge une ronde vertigineuse, frénétique et incandescente. En son centre s’entrechoquent les mots ; ces mots durs et tranchants que l’on crie et que l’on étouffe. Ces mots que l’on essaye d’asphyxier pour les éteindre, pour les faire disparaître avant d’être submergé par leur puissance plus grande que nous-même, avant l’étincelle qui signera la fin de l’innocence, qui ouvrira nos yeux en grand à la seule force de sa vérité, qui empêchera à tout jamais le retour en arrière ; plus jamais on ne pourra tourner le dos au monde. Mais la course est folle et ne s’arrête plus et les injonctions se heurtent et ricochent l’une contre l’autre de plus en plus vite et les mâchoires se crispent et les muscles se tendent pour ne pas lâcher prise, pour ne pas perdre pied, pour ne surtout pas perdre le dernier appui, ne pas perdre la dernière branche à laquelle s’accrocher, ne pas se faire emporter par le courant, par la masse, même si l’on sait intimement que l’on devrait, mais par peur de l’effort, par peur du manque de courage, par peur, même si l’on sait que le sens du courant est en train de s’inverser et que de toute façon on l’a toujours trouvé injuste, que l’aval et l’amont n’ont aucun sens, que le haut et le bas ne sont que temporaires, ridicules conditions éphémères, que seul compte le flot de la liberté qui irrigue nos organes, qui tape dans notre poitrine et concentre la vie dans notre ventre, ce flot qui nous projette vers les autres, vers leur souffle vital, pour le sentir se mêler au nôtre en une célébration magique. On ne chante jamais faux lorsqu’on est ensemble.