It’s OK, au milieu du tumulte Fantomes sauve nos cœurs
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Auteur·ice : Joseph Lanfranchi
03/03/2021

It’s OK, au milieu du tumulte Fantomes sauve nos cœurs

Sans crier gare, Fantomes déboule à grands coups de guitares saturées et de cris écorchés. Éjecté des tréfonds de la Mécanique Ondulatoire et propulsé dans l’antichambre de la scène indie rock hexagonal par les joyeux éclaireurs de Pan European, le duo est rapidement passé du bar aux salles de concerts. Adoubé par la critique après la sortie de leur premier EP éponyme, pas question pour le groupe de renier ses origines : la musique sera rock, la musique sera forte, la musique sera vraie, la musique avant tout. À leur approche les larsens s’excitent, les cymbales frémissent, les baffles enflent et nos pieds battent la cadence. Un, deux, trois, quatre, les cris des Fantomes déchirent la nuit, entrouvrent le monde, percent le gris des nuages et libèrent les rayons des étoiles. Au pays des Fantomes, le soleil luit pour tout le monde. Avec It’s OK, le rock naïf et sincère des deux musiciens éblouit par sa maîtrise, touche par ses textes subtils et ses thèmes universels traités avec intelligence et honnêteté. La poésie n’est jamais loin, même si le duo encore fraîchement formé semble vouloir la dissimuler derrière des airs insouciants et des avalanches de bruits, par pudeur peut-être.

“Nothing scares me anymore”. Les premiers mots de l’album sonnent comme un cri de ralliement pour toustes les malheureux·ses qui n’ont plus rien à perdre. Celleux qui comprennent d’instinct le cri du cœur qui retentit peu après. “Where’s the rainbow?”. Poursuite d’une bande qui rejette la morosité et affirme d’entrée de jeu qu’elle ne se contentera pas d’un horizon de plomb. Même au fond du trou, le cœur percé ruisselant des larmes d’un amour perdu, leurs yeux ne lâcheront pas le soleil. Pas avant d’avoir aperçu ses rayons dorés. Alternance de mélodies légères et insouciantes et de lourds torrents où les trombes de guitare et batterie s’entrechoquent, le style Fantomes s’exprime d’emblée sur Rainbow. Sans transition, les éclaircies et les orages s’affrontent par instruments interposés. Easy est une parenthèse lumineuse. “Take me Easy my love” pour un moment d’innocence et de soleil sur la peau. La batterie cavale, la guitare électrique slide, le rythme est simple et léger comme un jour d’été, entraînant comme la descente de la dune vers la plage et vivifiant comme le premier plongeon sous la vague salée. Les mots glissent dans les rapides, flots harmonieux emportés vers l’aval. Les Fantomes naviguent à vue sans connaître la destination et sans se soucier des éclaboussures qui trempent leurs cheveux. Et lorsqu’émerge l’embouchure, les planches de surfs apparaissent sous les bras bronzés pour un saut périlleux sans retenue dans le grand bain.

 

“In the city at night, going out so I can shine” chante-t-il avec une ironie douce-amère en ces temps troublés. Mais trois minutes plus tard, ni une ni deux, mort au couvre-feu : on se retrouve à arpenter les rues désertes, à l’heure où la nuit est la plus sombre, entre les arrêts de bus désertés, les lieux fermés et cadenassés, émerveillés et attirés par les néons des épiceries, à la recherche de la vie, la voix cassée cathartique et les feulement des guitares saturées empilées les unes sur les autres à fond dans les oreilles. À la nuit succède l’averse Rain, enchaînement miraculeux de puissants riffs qui pleuvent sans pitié sur nos crânes et de parenthèses ensoleillées qui n’abandonneront jamais l’optimisme. Avec un talent fou, le duo fusionne des couplets saturés et rageurs avec des accalmies confiantes et caressantes. Chanson après chanson, le groupe continue de faire la pluie et le beau temps dans nos cœurs. Le zippo toujours prêt à allumer la mèche de la fusée, direction le ciel. Juste au cas où.

En quelques mots de milieu d’après-midi, Bored affiche l’apathie omniprésente qui gangrène la moitié la plus riche de la planète. It’s been always the same, we get bored over here”. Perdu dans les paroles désabusées et les contraintes permanentes, ce flegme moribond semble ne plus jamais vouloir nous lâcher. Pourtant le rythme chaloupé et le son chaud de la guitare nous font relever la tête, de quelques centimètres, et, encore accoudé au sol, attraper au vol l’espoir fugitif qui passe si souvent devant nous mais qu’on dénigre par habitude. Affermie par la musique, notre poigne ne le lâchera plus. On va même le tirer à nous et l’arracher aux limbes. Suivre son cours à la force de notre volonté et remonter à son origine jusqu’à en extirper le Soleil, la Lune et les étoiles. Finis les doutes, aux oubliettes les remords, adieu aux peines et mort aux peurs. Moteur ronflant et pneus crissant, direction le soleil couchant ! Transporté par les rythmes endiablés et les glissades insouciantes de guitare de Back With The Sun. À la recherche de la rédemption, courage en bandoulière et espoir plein les yeux à l’écoute de cette pilule bourrée de vitamine D.  

 

Les carburateurs flingués de Sometimes réveillent une nostalgie adolescente. Le temps des problèmes francs et des solutions à portée de main, ou au pire à un pâté de maison. Des souvenirs qui se transforment vite en dépit lorsqu’on réalise que l’enfance s’enfuit et que notre visage ne change plus de jour en jour. Lorsque la peur de se retrouver enfermé dans une personne tristement adulte, morne et grise s’intensifie. Encore une fois la musique nous sauve. Détaché de ses attaches et de ses barrières, le rock furieusement doux de Sometimes décolle sans attendre, ni vous, ni moi, ni les musiciens qui courent après leur musique autant qu’ils courent après leur vie. Parce qu’elle fuse cette musique, de tout côté et dans tous les sens. Entre deux embardées jouissives, les sonorités old school poussent de tous bords les couplets poétiques et alcoolisés. Comme si le duo ne savait pas sur quel pied danser, tiraillé entre une veine romantique aux fins si risquées et le plaisir facile de tout envoyer en l’air, d’ouvrir la portière en route et de sauter sans au revoir. Refusant de choisir, ce sera tout ou rien. Ce sera surtout oui au monde et oui à l’amour puisqu’ils sont tout. Ce sera oui à la vie et oui aux bonheurs primaires dans cette maison remplie de nos amours présents, passés et futurs. Oui aux amoureux qui blasphèment leurs amours et scandent “all alone in a sweet house full of love”. Oui à Parker Lewis et aux groupes de potes qui rejoignent la danse et braillent en cœur “in a sweet house full of love”.

A travers leurs morceaux, le bonheur et la désolation dansent toujours côte à côte. C’est leur sœur désillusion qui guette sur Brother, complainte aux élans de slacker rock importée tout droit des plages et skateparks californiens. Dans ce réquisitoire aux mots tranchants psalmodiés avec dépit, rien ne semble pouvoir vaincre la blessure profonde de l’abandon. Sauf peut-être… la cavalcade ardente de la batterie et la clameur victorieuse de la guitare. Fantomes fuse à toute allure sur Colors. Fuite en avant à travers le vaste monde, le dernier morceau de l’album retentit d’adrénaline. Plus libre que jamais, le duo exalte nos cœurs et déverse des torrents de sang dans nos corps pour une apothéose volcanique, explosion de couleurs et de fougue.

En dix titres, Fantomes se met à nu sur. Pas de carapace pour les deux rockers, pas de couche de cuir protectrice pour se fermer du monde. It’s OK vibre au contraire d’un fouillis de sentiments, d’expériences, de sensations bien humaines, des plaies béantes par lesquelles s’échappent autant leurs rêves que leurs démons. S’ils appuient sauvagement sur l’accélérateur et ne se gênent pas pour faire hurler la mécanique sous la pression, leur musique ouvre une soupape de décompression. Au milieu du tapage, l’air afflue, nos organes se détendent, se décrispent et respirent un grand coup. 

Et merci pour ces cris, ces cris directs qui montent du fond de l’âme, qui cherchent l’arc-en-ciel, qui détruisent l’ennui, qui enterrent enfin les regrets et mettent à la porte le chagrin. Qui font bouillir nos corps, qui nous font entrer en résonance et hurler aussi, hurler qu’on va tout foutre en l’air, s’aveugler des couleurs immenses de la vie et crier encore jusqu’à ne plus avoir de voix. Et si ce n’est pas dans une salle de concert la musique sera quand même trop forte, dans nos casques ou dans nos baffles. Et si ce n’est pas vrai et que ce n’est que le temps de quelques chansons, que le monde d’avant sera encore là après, la tempête n’en aura pas été moins belle. Parce qu’après avoir écouté Fantomes, le monde n’est plus comme avant.