“Je voulais voir si j’étais le seul à me prendre cette époque de plein fouet” : Martin Luminet, sensible et foudroyant
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Auteur·ice : Joséphine Petit
11/07/2021

“Je voulais voir si j’étais le seul à me prendre cette époque de plein fouet” : Martin Luminet, sensible et foudroyant

Le mois dernier, Martin Luminet a fait résonner les murs de la Boule Noire le temps d’un concert particulièrement touchant au coeur de la réouverture des salles de spectacles. À la fois drôle, émouvant et assurément juste, l’artiste a su donner vie à ses morceaux avec une sincérité débordante de lumière. Aujourd’hui, ce sont nos tympans qui résonnent encore de ce set joliment sensible qui aura vu défiler son premier EP, Monstre, somptueusement présenté sur scène, accompagné de quelques adaptations, duos inattendus, et petites pépites encore inconnues : de quoi rester à l’affût de la suite de ses aventures. À la veille de ce concert, Martin Luminet nous a accueillis chez lui autour d’un petit buffet (en digne petit-fils de chocolatier), où nous avons discuté de la beauté de l’imperfection, ou encore de l’universalité de l’intime entre trois fraises et un carré de chocolat.

La Vague Parallèle : Salut Martin, on se rencontre quelques jours après la sortie de ton premier EP, Monstre, comment tu te sens aujourd’hui ?

Martin : Très bien ! C’est drôle parce que j’ai assez vite démystifié cette journée, ou peut-être qu’elle est arrivée au bout d’un cycle où je me sentais bien. Je n’étais pas dans l’attente de l’euphorie, et je n’avais pas peur de la réaction que ça allait créer. J’ai l’impression d’avoir donné ce que j’avais à donner, et en cela je me sens bien, plutôt ancré dans la sérénité, et hyper heureux de partager quelque chose. Comme quand tu offres un cadeau à quelqu’un, et tu sais que tu as mis tout ton cœur dedans. Moi je sais ce que j’y ai mis, et je ne suis pas du tout pollué par la peur de décevoir, parce que je sais que je n’aurais pas pu faire autrement.

LVP : D’ailleurs, à l’écoute du disque, on ressent une certaine urgence de pouvoir laisser tes mots s’exprimer au grand jour. Quelle a été la temporalité de création de ce disque ? Ce sont des titres qui existent depuis longtemps ?

Martin : Plus ou moins longtemps oui, un an grand maximum. J’ai finalisé l’EP lors du confinement en mai dernier, et on l’a enregistré en juin dernier. C’est vrai que j’ai tendance à écrire sur des sujets une fois que j’ai l’impression de les avoir réglés. Je me sens moins débordé, moins prisonnier et esclave de ce que ça peut créer chez moi. J’ai besoin de vivre la chose à fond, en bien ou en mal, et une fois que je l’ai vécue, je peux me poser pour écrire et en parler. Ces chansons ont donc été écrites après de longs processus de quelques semaines, voire parfois quelques mois. Puis, entre le moment où elles sont finies et le moment où j’enregistre, il y a un petit temps de digestion où j’interroge chaque parcelle de la chanson pour être bien sûr que c’est comme ça que je veux la restituer, car une fois qu’on va l’empailler, elle ne bougera plus. Je suis plutôt partisan de prendre son temps pour que rien ne soit fait dans une excitation trop furtive. J’ai vraiment envie de me dire que cette chose-là m’excite pleinement, profondément, et sur le long terme. Pour le coup, je suis très content, car bien que ces chansons soient écrites depuis plusieurs mois, et qu’elles aient déjà un peu vécu sur scène, aucune d’entre elles ne me lasse. Elles me parlent toujours autant, et c’est parce que j’ai su prendre mon temps. En musique, on ne nous apprend pas tellement à prendre notre temps. C’est vrai que j’étais un peu à contre-courant. Tout le monde me regardait bizarrement, à se demander pourquoi je mettais autant de temps à sortir un premier disque, alors que les morceaux existaient déjà sur scène, et que le projet avait été lancé depuis deux ans. Mais dans ma temporalité, c’était important de prendre ce temps pour être vraiment sûr de ce que j’allais donner.

LVP : Justement, tes morceaux ont un caractère plutôt viscéral, et on sent une réelle sincérité dans tes mots. Est-ce que c’est parce que ton écriture s’inspire toujours de tes expériences personnelles ?

Martin : En ce moment, je suis incapable d’écrire des choses fictives, oui. Je n’ai que ça à me mettre sous la dent. Je me dis que là où je peux gagner de la confiance, c’est en parlant de ce que j’ai vécu. Je n’ai pas assez confiance en moi pour inventer quelque chose de toutes pièces. Je pense que j’ai aussi besoin de régler pas mal de choses avant tout. J’ai passé tellement de temps sans exprimer mes émotions, que j’ai vraiment envie de pouvoir les déballer toutes pleinement. Pour l’instant, je ne peux pas faire croire que ça parle de mon meilleur pote (rires). Et c’est aussi ce danger-là qui m’attirait dans l’écriture de l’EP : il fallait que tout ce que je n’arrivais pas vraiment à dire dans la vie et qui me dépassait puisse sortir quelque part. La musique a été une belle bouée de sauvetage de ce point de vue-là.

 

LVP : Parlons un peu du titre Monde, où tu évoques avec de l’espoir une société plutôt imparfaite. À travers ces sentiments contradictoires, c’est important pour toi d’aborder le fait qu’on peut vivre et accomplir de belles choses sans pour autant être exemplaire ?

Martin : C’est un peu ma devise, oui. Rien n’est parfait, ça ne sert à rien de courir après la perfection, parce que ça n’existe pas. C’est une sorte d’injonction. On nous demande de l’être, alors que personne ne l’est profondément. Si on le devenait, ce serait se renier soi-même : on ne peut pas être soi, et parfait en même temps, ça n’existe pas. On vit dans un monde imparfait, on est des personnes imparfaites, et c’est une très bonne nouvelle. Le côté négatif, c’est qu’on est responsables de tout ce qui nous arrive. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’on est aussi la solution. Il n’y a que nous qui puissions soigner tout cela. L’espèce humaine a quelque chose d’assez fascinant : elle se relève de tout. Et nous, on a la chance de se relever en essayant de créer de la beauté, avec pourtant beaucoup de souffrance. C’est parfois de la souffrance vécue par procuration, qu’on ne vit pas personnellement, mais qui nous affecte réellement. Il faut accepter de se dire qu’on a des zones monstrueuses, des endroits de lâcheté, d’échecs, d’aveux de faiblesse, et qu’il y a beaucoup de choses qui sont au-dessus de nos forces. Il faut l’accepter, sinon, à trop vouloir se prouver le contraire, on finit par passer à côté de nos vies. Il y a des mauvais moments qui sont bons à vivre, et qui nous construisent plus qu’ils nous détruisent.

LVP : Tu utilises souvent les pronoms “nous”, comme dans Monde, ou encore “on” dans Amour. Est-ce que tu as le sentiment que ce que tu écris représente quelque chose de générationnel ?

Martin : Quand tu l’écris, tu ne fais pas vraiment attention à ça, sinon tu vis une expérience hors de ton corps. Je trouve que ce n’est pas sain de vouloir écrire pour plaire, ou prendre la parole d’autres gens. Pour moi, l’enjeu était déjà d’avoir mis beaucoup de temps à dire “je”, et d’avoir quelque chose de frontal dans mes morceaux. Quand j’ai réussi à le faire et à l’éprouver, je me suis dit que ce “je” n’avait de sens que si je pouvais le conjuguer en “nous”. Je crois vraiment au “nous” qui est une somme d’individus, pas le “nous” qui absorbe les personnalités. Au contraire, ce sont toutes ces personnalités différentes qui peuvent créer un vrai “nous”, sans que chacun ne rejette ce qu’il est vraiment. Sur Monde et Amour, j’ai donc eu la tentation de me dire que j’allais écrire la chanson la plus intime possible en me mettant un peu en danger, car ce sont des chansons que j’aurais pu chanter à la première personne. Je voulais voir s’il y avait quelqu’un au bout du fil, si ça parlait à d’autres gens que moi, et si j’étais le seul à me prendre cette époque de plein fouet. Au fond de moi je sais que non, mais j’avais besoin d’en avoir la preuve. Avec Monde, j’ai eu un retour de flamme heureuse de gens qui s’y reconnaissaient, et ça m’a fait beaucoup de bien. Je n’aurais pas cru que ce geste-là puisse avoir un retour. C’était vraiment cool, car c’était pour moi tout l’enjeu de cette chanson. La musique, c’est quelque chose de très égocentré. Tu défends un petit égosystème où tu parles de toi, et tant mieux car je ne veux pas parler à la place d’autres gens, mais personnellement, j’ai l’impression de faire de la musique pour justement reconnecter à d’autres et échapper à la solitude. Ce qui me fait du bien, c’est de me dire que quelqu’un qui n’a pas du tout la même vie, la même histoire, ou le même sexe, puisse penser qu’il vit quelque chose exactement de la même manière que moi. C’est ce qu’il m’arrive quand j’écoute des chansons de Barbara. Quand j’écoute ses titres, j’ai l’impression que quelqu’un a mis mon cœur sur écoute. Certains films me font aussi le même effet, par exemple Frances Ha (de Noah Baumbach, ndlr), où j’ai vraiment cru que quelqu’un m’avait filmé pendant deux ans et avait sorti un film pour se moquer de moi. C’est fait avec beaucoup d’intimité, et c’est ce qui est beau : l’intime, c’est finalement la chose la plus universelle.

 

LVP : Si on revient à l’écriture, sans être exhaustive, quand on entend “un balai dans le cœur”, “l’amour à perpétuité”, “mon double magnifique”, et qu’on lit une belle partie des sous-titres du clip de Magnifique, on se dit que jouer avec la langue française et ses expressions figées, c’est quelque chose qui t’anime.

Martin : Oui, j’aime bien ce côté un peu punchline, mais plutôt une punchline où le fond a plus d’importance que la forme, ou du moins autant. J’ai des carnets remplis de punchlines que je trouve cool, mais qui ne sont pas assez profondes. J’écrème beaucoup et j’essaie de chercher la bonne tournure. Je trouve que c’est assez joli de voir une expression figée être complètement déformée et dévisagée. C’est drôle, parfois il suffit de changer une lettre dans un mot, un seul son dans une expression, et d’un coup ça dit tout le contraire. Je trouve ça beau. Par définition, les expressions dressent une scène, et il y a quelque chose de provocateur à vouloir vicier la scène établie. Ça m’amuse de partir de ça, car c’est toujours déstabilisant de détourner une expression que tout le monde connaît. Je trouve aussi que c’est plus parlant. Il y a beaucoup de sens qui tombe en très peu de mots, ce qui est aussi mon but dans les chansons. Comme je suis très bavard, il faut que j’arrive à dire beaucoup de choses en peu de mots. Ça m’arrange de faire de la punchline comme ça.

LVP : On a aussi pu t’entendre reprendre plusieurs morceaux anglophones dans des adaptations en français postées sur tes réseaux sociaux. Julian Casablancas, Girls in Hawaï… L’adaptation, c’est un exercice qui te plaît ?

Martin : Oui, parce que je chante hyper mal en anglais. J’ai un accent catastrophique. Et il y a ces chansons que je chante seul à tue-tête mais que je suis incapable de chanter devant des gens. Pourtant, ce sont des morceaux qui me transpercent, comme le morceau de Casablancas. Je trouvais dommage de ne jamais pouvoir vraiment les chanter. Je n’ai pas commencé la musique en faisant des reprises, j’ai tout de suite chanté mes chansons. Je suis donc en train de rembobiner le temps en me faisant plaisir avec ces morceaux. Je me suis dit qu’il me suffisait de prendre le texte, de voir ce qu’il m’évoquait, et d’y mettre mes mots. Ça m’a fait beaucoup de bien. Pour moi, c’est la solution pour pouvoir chanter avec l’énergie que quelqu’un d’autre m’a transmise, sans trahir ce que j’ai envie de dire, ni ce que cette chanson a évoqué d’intime en moi. C’est pour cela que je parle d’adaptation et non pas de traduction : je me sens plutôt libre avec le texte. Mais j’essaie d’être fidèle à l’émotion qu’elle m’a procuré, par rapport à ce qu’elle raconte.

© Alice Sevilla

LVP : Et le spoken word, c’est quelque chose qui t’est venu naturellement, ou bien plutôt dans une démarche de mise en valeur de tes mots ?

Martin : Un peu des deux. Je voulais surtout que ça sorte de la manière dont j’aurais aimé le dire, en face des personnes à qui j’aurais dû le dire, au bon moment et au bon endroit. Que ça soit en soirée, en famille, avec des amis, avec quelqu’un que j’aime, il n’y a souvent rien qui sort, simplement parce que je ne sais pas le faire. Je ne sais pas parler. Alors je me suis dit, quitte à être lent, autant le restituer de la manière la plus naturelle possible. Pour qu’au moins je m’entende enfin le dire à quelqu’un avec ma voix, en me disant que si la personne à qui la chanson est destinée l’entend, elle l’entendra de la façon dont j’aurais aimé que ça sorte au bon moment. Le spoken word m’a bien aidé pour ça. Puis, je me suis un peu autorisé à chanter. Au début, je refusais d’esthétiser la chose. Je ne voulais pas dire des choses dures de façon jolie, juste pour faire passer la pilule. Je voulais que ça sorte de la manière la plus brute possible, au plus proche de la vérité. Je m’interdisais de chanter, jusqu’au moment où, en travaillant sur mon corps et ce que ces mots évoquaient en moi, ça m’a un peu fait chanter. Ça m’a fait beaucoup de bien aussi, alors que je repoussais le fait d’utiliser ma petite voix de rossignol dès le départ (rires).

LVP : Finalement, c’est plutôt le chant qui t’est venu naturellement alors !

Martin : Totalement. Mais le spoken word, c’était aussi parce que je me disais que ma place musicale se trouvait là, dans quelque chose de très naturaliste. Pour moi, c’est de la vie augmentée. Il fallait que ça sonne comme de la vie avec de la musique derrière, tout en restant ma vraie voix. Et au final, en chantant, tu te rends compte que tu n’as pas à travestir ta voix, tu délivres plutôt ta vraie voix.

LVP : Tu nous parlais de Frances Ha tout à l’heure, je crois que tu aimes aussi particulièrement le cinéma.

Martin : J’adore Netflix oui ! (rires)

LVP : Est-ce que mêler différents arts constitue une vraie réflexion pour toi dans la construction de ton projet musical ?

Martin : Ce n’est pas du tout prémédité. Je vois plus les différents arts comme des langues, où l’on choisit ensuite la langue qu’on veut pour exprimer ce qu’on souhaite dire. Je n’ai pas du tout de mal à me dire que je peux mettre une émotion en chanson, et qu’une autre marchera mieux à l’image. Petit à petit, j’aimerais construire un spectacle sur scène qui soit un peu hybride, qui ne se refuse pas d’aller emprunter une émotion qui va se dire par le silence, le corps ou encore l’image. J’ai beaucoup traîné dans les cinés, et dans un espace culturel à côté de chez mes parents. Il y avait là-bas beaucoup de spectacle vivant, de danse mêlée à de la poésie, de cinéma mêlé à de la musique. Je pense à la Compagnie Kiss And Cry, dont les fondateurs ont monté un spectacle pour connecter leurs deux métiers de danseuse et réalisateur. Sur scène, ils créent une expérience où tu peux regarder soit les réalisateurs qui filment les danseurs en direct, soit les danseurs eux-mêmes, ou soit l’écran où le film est diffusé en même temps. En voyant cela, on se demande pourquoi on s’interdit beaucoup de choses, et pourquoi on ne décloisonne pas les arts. Je suis plutôt sensible à tout cela.

 

LVP : D’ailleurs, tu es à l’écriture et la réalisation de tous tes clips. C’est une volonté de ta part de garder la main afin de maintenir une continuité artistique ?

Martin : Comme je n’ai pas fait de formation de réalisateur, je n’ai pas le vocabulaire pour dire à un réalisateur ce que je voudrais. En essayant de le faire, je me suis heurté à un problème de communication. Jusqu’au moment où un chef opérateur avec qui je travaille, Romain Wilhem, m’a dit qu’on n’avait pas besoin de langage technique pour être réalisateur, simplement de trouver les personnes qui parlent son propre langage. J’ai essayé avec lui, et ça a marché. Il suffit en fait de trouver le langage entre la personne qui tient la caméra et soi-même. C’est une histoire de rencontres, comme ça peut l’être avec Benjamin Geffen, avec qui je fais les prods, ou avec Marion Richeux, qui manage le projet. On réfléchit à tout ensemble. Après, sur mes clips, ce n’est pas que je ne veux rien lâcher, c’est surtout que je suis incapable d’expliquer ce que je veux faire, et qu’il vaut mieux que je le fasse moi-même.

LVP : Toujours à la réalisation, d’où t’es venue l’idée de lancer ton podcast vidéo Hardcoeur ?

Martin : À la sortie du confinement, j’avais profondément envie de voir des gens, de profiter qu’on soit dans un état de vulnérabilité accessible pour se dire qu’on allait se retrouver et parler de vraies choses. Il y a beaucoup de sujets qui ont été secoués par le confinement, que ce soit le couple, ou encore le désir. J’avais envie de savoir ce qu’il restait de tout cela. J’avais aussi mis un point d’honneur à ne pas faire de livestream, à ne pas m’auto-filmer pour ne pas qu’on m’oublie. Je voulais profiter d’avoir du temps vide, prendre le temps de me demander ce qu’il y avait dans ce vide et comment je l’habitais. À la sortie du confinement, je n’avais pas vraiment envie de montrer ma tête et de m’exposer, excepté en montrant les points communs que j’avais avec d’autres personnes.

© Alice Sevilla

LVP : En passant derrière la caméra finalement ?

Martin : Exactement. C’était très pratique d’aller parler de sujets qui me touchent profondément. Je n’ai pris que des thèmes que j’abordais dans l’EP. C’était super de se dire que ces vidéos racontaient plus de choses sur moi, plutôt que si j’avais parlé directement à la caméra. C’est peut-être l’une des choses les plus intimes que j’aie faites, parce que les gens venaient à moi sans filet. Je suis très reconnaissant des personnes qui y ont participé.

LVP : Et le noir et blanc ici, ça avait quel sens pour toi ?

Martin : Je n’avais pas vraiment envie de dater ce projet. Ce noir et blanc rendait l’exercice un peu hors du temps. À mes yeux, les émotions traversent les siècles. On pourra parler d’amour dans cent ans, et on en parlait déjà il y a cent ans. Le noir et blanc venait un peu détemporaliser tout ça. En plus, c’est de la voix off, un peu comme des pensées, un songe. Ça me plaisait de ne pas pouvoir mettre une date dessus, et pouvoir y revenir dans quelques années, en se demandant quel rapport on a avec ce qu’on s’était dit dans ces épisodes. Je suis content d’avoir créé cette espèce d’ambiguïté temporelle.

LVP : La question à mille euros : est-ce qu’on peut espérer une saison 2 ?

Martin : Oui ! J’en ai déjà tourné deux. J’aimerais bien en tourner trois autres encore. À la base, on a sorti Hardcoeur sans trop savoir comment ça allait être perçu. On était plutôt dans une survie émotionnelle, où on avait envie de s’exprimer. Et les retours que j’ai eus étaient juste à l’endroit où je les espérais. J’ai eu l’impression que ça avait touché l’intime d’autres personnes. Et dès lors, je me dis que c’est quelque chose qui a une utilité, donc je continue.

LVP : Tu joues dans quelques jours à la Boule Noire. Tu te sens comment à l’idée de retrouver la scène et le public pour présenter ce nouveau disque ?

 Martin : J’ai tellement attendu ce moment que je n’ai ni stress, ni doute, ni quoi que ce soit. J’ai juste envie de le faire. C’est un peu inexplicable, car au fond de moi j’aimerais dire que je suis dans une sorte d’euphorie et d’hyper peur. Alors, bien sûr que j’ai peur, et bien sûr que je suis euphorique, mais j’ai l’impression que l’émotion qui prédomine, c’est plutôt la sérénité. Je sais pourquoi je le fais, et ce que j’ai envie de donner. Je ne suis pas du tout dans une position de vouloir plaire ou surprendre. J’ai l’impression d’avoir trouvé ma place dans les propos que je développe. Si ça plaît c’est une très bonne nouvelle, et si ça ne plaît pas, je ne vais pas changer ce que je fais. Je me suis trouvé.

LVP : Pour finir, est-ce que tu peux nous confier ce qui tournait en boucle dans tes oreilles pendant l’écriture de l’EP ?

Martin : Je m’étais fait une petite playlist, non pas pour savoir où je voulais aller esthétiquement parlant, mais plutôt pour savoir rester bien droit, avec des chansons de gens qui avaient suivi leur route et avaient fait ce qu’ils devaient faire. Je me disais que je devais tendre vers cet état de grâce. Ce n’étaient pas des styles qui ressemblaient à ce que je fais, mais plutôt des artistes qui, à mes yeux, n’avaient fait aucune concession. Et l’album qui m’a vraiment accompagné dans ce moment, c’était celui de Weyes Blood, avec la chanson A Lot’s Gonna Change. Là, je me disais que j’étais face à une artiste dont j’avais accès à toute l’intimité et la profondeur. C’est une musique qui se pose sur toutes les émotions par sa sincérité. Puis, il y a toujours évidemment Spanish Sahara de Foals, que j’écoute tout le temps, que j’aille bien ou mal (rires).

Martin Luminet - ITW 3

© Alice Sevilla